« On n’a pas le même niveau d’exigence » ou comment traiter un problème de couple au mauvais niveau
« On n’a pas le même niveau d’exigence. » C’est de cette façon que de nombreux couples expliquent la différence de répartition de la charge domestique et mentale. « Je n’y pense même pas » dit l’un. « Je ne vois que ça » dit l’autre.
« On n’a pas le même niveau d’exigence », un faux problème
S’en suivent des discussions sans fin sur le niveau d’exigence. Chacun essaie de convaincre l’autre que son niveau d’exigence est plus adapté. Le laxiste vante les mérites du lâcher-prise alors que l’exigeant explique les vertus de l’anticipation. Et hop on est parti pour des heures de discussions + ou – stériles.
A noter : dans les couples, la répartition est vue comme « juste » (au sens de équilibrée) quand les femmes font 66% des tâches et les hommes 33%. Pour que les femmes perçoivent la situation comme déséquilibrée, il faut arriver à 75% des taches pour les femmes et 25% pour les hommes. (source : ‘L’injustice ménagère » – François de Singly).
Si un problème semble insoluble, c’est qu’on ne l’aborde pas au bon niveau.
Le niveau d’exigence n’est pas qu’une question de décision individuelle. On ne décide pas de venir plus ou moins exigeant aussi facilement qu’on décide de changer de slip. Si c’était le cas, croyez bien que l’immense majorité des femmes iraient boire un café avec des copines au lieu de faire le ménage.
Faire le ménage ou prendre en charge les enfants n’est pas dans les gènes. Cela relève d’un apprentissage, d’un conditionnement dont le poids est souvent inconscient.
Quand on veut vraiment changer mais que ça coince, il y a probablement quelque chose qui se joue dans l’arrière-boutique de notre cerveau
Derrière le niveau d’exigence, il y a des décisions individuelles … mais il y a aussi tout le poids des stéréotypes de genre.
Quand vous rentrez dans une maison mal rangée, qui jugez-vous ? Vous pensez plutôt « madame tient mal son ménage » ou bien « monsieur tient mal son ménage » ?
L’impact du stéréotype de genre est là : à qui s’adresse la désapprobation sociale si la tâche n’est pas faite ? Cette personne-là aura inévitablement du mal à devenir moins exigeant-e.
Décider de s’affranchir des stéréotypes n’est donc pas qu’une décision individuelle. C’est aussi le regard de la société qui est en jeu (le stéréotype). L’intensité avec laquelle nous avons intégré ce stéréotype représentera un poids supplémentaire.
Le stéréotype veut que le domestique soit de la responsabilité de la femme. D’où des difficultés à lâcher prise. Chez les hommes s’ajoute une double difficulté : aux stéréotypes intégrés s’ajoute l’échelle de valeur entre féminin et masculin. Le féminin est en effet, dans notre société, moins bien considéré que le masculin.
Quelques exemples :
- « des trucs de femme » sont moins bien considérés que « les trucs d’homme » : par exemple le bricolage est plus valorisant que le ménage.
- un homme faisant « des trucs de femme » est très mal considéré, bien plus qu’une femme faisant « des trucs d’homme ».
Pour les hommes, devenir plus exigeant sur le ménage implique en plus de lutter contre un stéréotype, de prendre le risque de faire des tâches dévalorisantes ET d’accepter des contraintes supplémentaires. Juste pour le plaisir de défendre le principe d’égalité. Autant vous dire que c’est compliqué de mobiliser les hommes sur le sujet : ils n’ont pas beaucoup de raisons de changer !
Ce triple frein explique à quel point la situation évolue lentement : entre 1986 et 2010, le temps passé quotidiennement par les hommes aux taches domestiques (incluant bricolage, jardinage, soin aux enfants et aux animaux, etc) a BAISSE … de 1 mn (passant de 2h07 à 2h06).
La fausse bonne idée de la femme de ménage
Le niveau d’exigence est donc un dilemme insoluble. Face à l’impossibilité de trouver un compromis, certains proposent de prendre une femme de ménage. Parfois c’est une solution. Et parfois c’est une fausse bonne idée …
En effet, sur le même laps de temps (de 1986 à 2010), le temps quotidien des femmes sur les taches domestiques a baissé de 35 mn. Super, allez-vous me dire … Oui mais non !
Cette baisse ne s’est pas faite grâce à l’implication des hommes
Rappel : en 2010, ils passent 1 mn de moins qu’en 1986 sur ces taches … et 1h21 de moins PAR JOUR que les femmes.
Ce gain s’est fait par le développement des vêtements pas chers (on fait moins de couture), de l’électro ménager et des plats industriels (on fait moins à manger). La femme de ménage n’est qu’un agent extérieur supplémentaire mais ne remet pas les relations dans le couple en question.
Dans ce contexte, prendre une femme de ménage ne répond pas DU TOUT à l’enjeu d’égalité ! La femme de ménage va soulager la charge de travail mais ne va pas rendre votre couple égalitaire.
En résumé : si l’enjeu dans votre couple c’est l’égalité, la femme de ménage ne résoudra rien. C’est peut-être pour ça qu’il vous est aussi difficile de vous résoudre à en prendre une 🙂 …
Comment on s’en sort ?
Il n’y a pas de miracle dans ce domaine mais des étapes à respecter :
- prendre la décision PERSONNELLE d’accepter de remettre en question ses propres stéréotypes (TOUS LES 2)
- prendre la mesure ce qui se passe dans votre couple : mesurer la répartition des taches (en temps et en pénibilité), mesurer l’ampleur de la charge mentale
- Mettre en place des moments de partage pour se questionner sur ce qu’on fait, pourquoi on le fait et comment on le fait sans jamais rien prendre pour acquis.
Cette démarche prend forcément du temps. Remettre en cause des implicites portés par des dizaines (des centaines ?) d’années d’histoire ne se fait pas en 1 jour. Cela demande de la patience et du courage.
Pour aller plus loin sur la répartition des charges
Je suis en train de préparer un guide de la charge mentale, destiné aux couples. Il vous donnera des informations sur les stéréotypes, la charge domestique et mentale et des outils pratiques pour aborder ce sujet en couple. Il sera disponible très bientôt. Si vous souhaitez être informé-e de sa publication, il vous suffit de me le faire savoir en cliquant ici
En attendant, vous trouverez sur la boutique une conférence en ligne « couple parental, construire l’équilibre ». Elle vous donnera des clés de compréhension et des outils sur le sujet, en attendant le guide.
D’autres articles sur le blog traitant de ce sujet (ou des sujets connexes) :
- elle est pour qui la charge mentale de la rentrée ?
- oui mais maman, tu travailles moins que papa
- l’angoisse des « dis maman … »
- et tous les articles de la rubrique « dans le couple »
J’ai aussi abordé ce sujet dans d’anciennes newsletters (elles contiennent des réflexions supplémentaires par rapport au blog, notamment une sur le sexe comme faisant partie de la charge mentale). Vous pouvez y avoir accès en vous inscrivant sur ce lien.
Quelques livres :
Merci pour cet article, ce phénomène est tellement vrai… Il me vient tout de même une interrogation : si inconsciemment les hommes et les femmes sont marqués par les stéréotypes de genre, ils semblent communément plus marqués par les stéréotypes de genre féminin (qui se voit attribuer les « basses » tâches). Je serai quand même curieuse de savoir à quel point les stéréotypes de genre masculin sont présents dans les esprits, comme celui du bricoleur (hum hum… combien d’hommes se précipitent spontanément sur les réparations en attente, les ampoules à changer, les meubles à monter ou les étagères à poser, tel un devoir ancestral irrépressible ancré dans leurs inconscients ?) 😉 Heureusement il y en a, mais ceci m’interroge aussi sur le rapport au devoir du point de vue féminin et masculin.
Bonjour
Le stéréotype de genre pour le masculin est beaucoup plus tourné vers l’extérieur : travailler, être dans l’action … mais pas ou peu au foyer qui est un lieu qui relève de la responsabilité de la femme. Donc non l’homme ne sent pas l’irrépressible besoin de poser des étagères. Mais celui de privilégier son travail sur sa famille, celui de fournir des finances à la famille.
Dès l’enfance, les garçons vont plus occuper l’espace : ils parlent plus que les filles, occupent l’espace central dans la cour de récréation, trainent dans la rue. Les filles restent plus à l’intérieur : on leur coupe plus souvent la parole, elles sont sur le pourtour de la cour de récréation (et font même le tour pour la traverser), et restent à la maison.
Qui plus est prendre une femme de ménage, c’est encore faire porter les tâches ménagères à une femme. Donc là aussi pour l’égalité on repassera.
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