Gérer et accompagner le changement : et si on parlait d’émotions ?

En entreprise, on agit parfois comme si le changement était simple et facile. Il semble qu’on devrait avoir du plaisir à changer et souhaiter le changement. D’ailleurs on parle très souvent de la « résistance au changement » et on encourage les managers à accompagner le plus vite possible leurs collaborateurs à dépasser cette résistance. Comme si cette résistance au changement était seulement inutile et encombrante. Mais est-ce vraiment le cas ?

Je constate aussi que, dans les formations à l’accompagnement au changement en entreprise, pour aider les managers dans ces phases de transition, on parle aussi de la courbe du deuil, inspirée des travaux d’Elisabeth Kubler-Ross. Cette courbe semble être un incontournable de la gestion du changement. Rares sont les formations parlant du changement où cette courbe n’est pas présentée. Or cette courbe me laisse plutôt sur ma faim.

La courbe du deuil, c’est quoi ?

Courbe faite Par Bertrand GRONDIN  → (Travail personnel) [GFDL ou CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

Courbe deuilLa courbe du deuil est censée représenter les différents états par lesquels passent les gens concernés par le changement. On la trouve représentée de différentes manières, avec des axes qui varient mais globalement on y retrouve plusieurs grandes phases qui seraient inévitables lors d’un changement, quel ce changement soit personnel ou professionnel.

Pourtant, lorsque cette courbe est présentée, elle est aussi accompagnée de précautions multiples : tous les gens ne traversent pas toutes les phases ; les phases sont parfois vécues dans le désordre ; …

En bonne scientifique que je suis – à la base, je suis ingénieure en mécanique – je sais qu’une théorie qui n’explique pas les exceptions est soit incomplète soit fausse.

J’ai donc toujours été gênée par cette courbe qui, bien que séduisante à regarder, n’explique finalement pas grand chose, ne s’applique pas tout le temps, pas dans l’ordre et pas à tout le monde.

De plus, cette courbe ne dit rien de la façon dont on peut accompagner les collaborateurs concernés et rien non plus sur les risques psychosociaux associés. Et c’est justement là que sont coincés les managers que je vois. Et c’est là où ils ont besoin d’aide.

C’est pourquoi je préfère ne pas utiliser cet outil qui me semble limité dans ses applications concrètes. Cela est vrai aussi pour des professionnels de santé qui sont amenés à accompagner leurs patients dans des changements : face à la maladie

Alors comment comprendre les réactions observées face au changement ?

Et comment agir de façon plus efficace et plus concrète pour diminuer l’éventuelle souffrance professionnelle générée par celui-ci ?

Et si on parlait d’émotions ?

Pour survivre, chaque être vivant – et même chaque système – a besoin d’un système lui permettant de détecter les changements dans son environnement et lui permettant de décider de la meilleure stratégie pour s’adapter à ce changement. C’est une question de survie. Si je ne fais rien pour m’adapter à un environnement qui change, je risque fort d’y laisser ma peau.

Evidemment les êtres humains que nous sommes ne font pas exception. Le système qui nous permet de détecter les changements dans notre environnement, ce sont nos sens. Et le système qui nous permet de décider de la stratégie à adopter, c’est notre cerveau dans toutes ses dimensions, notamment intellectuelle et émotionnelle.

Lorsque nos 5 sens perçoivent un changement dans notre environnement, cette information est transmise à notre cerveau. Celui-ci traite et gère des milliers d’informations chaque seconde sans que nous nous en rendions compte.

En fonction de nos apprentissages passés et  notre contexte, le cerveau va décider sans que nous en ayons conscience de l’importance à donner à telle ou telle information. S’il juge qu’une information est importante car elle implique un risque pour nous, le cerveau va alors déclencher une réaction en chaine destinée à nous amener à agir pour sauver notre peau ou au moins à préserver un équilibre satisfaisant.

Ce processus survient chaque fois qu’une modification se produit dans notre environnement. Autrement dit : à CHAQUE changement, que celui-ci soit minime ou important, qu’il soit souhaité ou subi.

Cette réaction est SPONTANEE et hors de notre contrôle volontaire : nous ne pouvons pas DECIDER d’être ou pas inquiets, tristes ou en colère face à un évènement. Nous pouvons à la rigueur – parfois, mais pas toujours – décider comment agir face à cette émotion ressentie.

Pas toujours tout simplement parce que le ressenti émotionnel peut nous faire perdre de vue le comportement le plus adapté ou nous empêcher d’avoir le comportement qui serait le plus efficace. Nos apprentissages passés jouent aussi un rôle dans nos comportements face à u ressenti émotionnel. Nous ne décidons pas toujours – pas souvent devrais-je dire 🙂 ! – volontairement et consciemment d’agir de telle ou telle façon. Certains de nos comportements se mettent en route presque malgré nous. A l’insu de notre plein gré en quelque sorte 😀 …

Plusieurs facteurs influent nos comportements : sommes-nous plus ou moins à l’aise avec le ressenti de telle ou telle émotion ? Comment avons-nous appris à gérer telle ou telle ressenti ou situation ?

Par exemple, si je suis à l’aise avec la peur, si je me sens en confiance avec mes capacités à gérer ce moment désagréable d’incertitude, j’aurais moins besoin d’être rassuré et je verrai rapidement les avantages possibles liés à un changement. Si au contraire, je ne suis pas à l’aise avec la peur et que j’ai besoin de contrôler – d’avoir beaucoup d’informations, de vérifier, … – je serai plutôt dans l’argumentation afin de tout vérifier.

De la même façon, dans le changement, il y a un renoncement à faire sur la situation passée, donc de la tristesse. C’est une émotion assez mal vue dans notre société, notamment en entreprise. La phase de repli sur soi souvent nécessaire pour traverser cette phase de tristesse est logique et habituelle mais elle n’est pas nécessaire pour tout le monde. Cela dépend de chaque individu.

Mieux connaitre le fonctionnement émotionnel permet de mieux comprendre et accompagner les résistances au changement

Dans la courbe du deuil présentée plus haut, les différentes phases proposées sont donc en fait des COMPORTEMENTS qui sont interprétés comme de la négation, du rejet, de la dépression par l’entourage. En réalité, ces comportements sont seulement la manifestation visible du processus émotionnel en cours chez les personnes concernées par le changement. Certains de ces comportements sont – selon les gens – tout à fait légitimes et doivent être encouragés pour permettre une transition correcte. D’autres sont à faire diminuer car ils sont le signe d’une difficulté à traverser la situation.

Ces différents comportements peuvent aussi être une réaction face à la façon dont l’entourage réagit à ces mêmes comportements. En effet, selon les cas, si l’entourage minimise le ressenti émotionnel, nie les réactions vécues – « tu exagères« , « ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer« , … – ou au contraire leur donne trop d’importance, cela peut amplifier le ressenti émotionnel … et donc renforcer les comportements inefficaces ou contre-productifs. L’émotion est comme un boomerang : si la personne qui la ressent ne se sent pas comprise ni entendue, l’émotion va revenir plus fort pour se faire entendre.

L’entourage joue donc un rôle non négligeable dans le maintien ou l’arrêt des comportements inefficaces ou inadaptés.

Il n’existe malheureusement pas d’attitude ou de solution toute faite qui marchera à tous les coups pour aider et accompagner des collaborateurs confrontés à une situation émotionnelle. En effet, les processus émotionnels et interactionnels sont multi-factoriels et complexes. Imaginer qu’on puisse résumer tout cela à quelques outils est inimaginable. Cela reviendrait à une simplification abusive du fonctionnement humain.

Cependant, mieux connaitre et comprendre les processus émotionnels est une première étape indispensable pour mieux accompagner les autres, quel qu’en soit le cadre (management mais aussi éducation, relation de soin, …).

L’autre étape est aussi d’apprendre à avoir un regard relationnel sur les situations accompagnées. Il s’agit d’apprendre à prendre du recul sur ses propres attitudes, à voir leur impact sur les autres et de savoir mettre en oeuvre un comportement radicalement différent quand le nôtre n’a pas été efficace. Le fameux lâcher prise tellement prisé actuellement finalement …

L’accompagnement au changement est donc un processus qui demande une bonne connaissance de l’humain et la prise en compte de sa diversité.

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Pour en savoir plus sur l’accompagnement au changement

Evidemment, tout cela ne s’apprend pas en 5 mn au coin d’un article sur le net mais voici quelques ressources pour aller plus loin

Quelques articles sur ce blog à propos d’émotions :

Quelques articles sur ce blog à propos de management :

Conférences et formations à propos du management du changement

Et enfin quelques livres (les liens ci-dessous sont sponsorisés. Il se peut que vous ne les voyez pas si votre navigateur utilise un bloqueur de publicité) :

Sandrine Donzel

Parentalité, couple, communication, développement personnel ? Votre vie ne ressemble pas à ce qui est décrit dans les livres ? Pas de panique et bienvenue dans la VRAIE VIE, celle qui est abordée sur ce blog ! Je vous y propose des outils concrets, pragmatiques et REALISTES pour répondre à vos interrogations. Bonne lecture !

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2 thoughts on “Gérer et accompagner le changement : et si on parlait d’émotions ?

  • 26 mai 2015 à 11:07
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    Ce qui me gène dans votre article sur le changement c’est que jamais n’est évoquée la possibilité d’une remise en cause de la pertinence de celui-ci.
    J’ai travaillé auprès des enfants et acquis des compétences en ce qui concerne la psychologie de l’enfant, son développement intellectuel et émotionnel (et je me tiens au courant des évolutions des connaissances dans ce domaine) et le relationnel bienveillant. J’en ai vu les résultats positifs sur le court et le long terme et participé à la mise en place progressive de dispositifs inter-professionnels allant dans ce sens.
    Cependant quand ceux-ci commençait à porter leurs fruits aussi bien dans le partenariat entre adultes qu’en ce qui concernait le bien-être des enfants – et encore plus celui des enfants en difficulté, tout a été cassé pour mettre en place des normes comportementales venues d’en haut prônant la mise en place de règles à imposer aux enfants et faisant fi de toute connaissance concernant ceux-ci.
    Les personnes remettant en cause ce changement se sont vues accusées de rigidité psychologiques, de passéiste nostalgiques de Dolto (j’assume même si je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’elle a dit et écrit !) et ont été disqualifiées professionnellement.
    Actuellement ce que j’observe autour de moi c’est une normalisation des enfants avec des protocoles stéréotypés qui préconisent que pour un comportement x de l’enfant il faut apporter une réponse y et c’est très violent.
    Je ne sais pas si j’ai envie de m’adapter à tout changement – le milieu social n’est pas un milieu « naturel » dans lequel nous ne serions que des proies victimes potentielles des intempéries ou des prédateurs que nous devrions nécessairement subir en nous y adaptant (la loi du plus fort néodarwinienne) – ni si j’ai vraiment envie de vivre sur des bases où l’on formate comportementalement les enfants comme des objets standardisés ou des poussins de batterie sans tenir compte ni de ce qu’ils sont ni de ce qu’ils éprouvent, ni de leurs motivations à agir comme ils le font au nom du sacro-saint respect à la règle.
    Jusqu’à quel point devons-nous être flexibles ?
    Donc il me semble, mais peut-être l’avez-vous déjà posée que la première question est en quoi le changement est positif pour nous-mêmes et pour les autres et en matière éducative en quoi est-il nécessaire de changer nos pratiques pour qu’elles soient bénéfiques aux enfants et donc à nous-même parce que les sciences du cerveau découvrent actuellement l’eau tiède c’est à dire qu’on ressent plus de joie à voir le bonheur que l’on a procuré à quelqu’un que l’on aime qu’à se procurer du plaisir à soi-même. Ce qui expliquerait en partie que les personnes les plus égoïstes sont les plus aigries.
    « L’aide et le partage chez les humains sont souvent motivés par l’empathie et accompagné d’un sentiment de satisfaction. » Franz de Waal

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    • 26 mai 2015 à 15:04
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      J’ai prévu un autre article sur la résistance au changement et un autre sur le déni. Car vous avez raison, ces « résistances » au changement sont généralement légitimes et logiques. Elles sont importantes et permettent parfois de mettre le doigt sur des problématiques importantes que ce soit pour les personnes ou pour l’organisation.
      L’un des points primordial est donc effectivement de cesser de considérer la « résistance au changement » comme un problème mais au contraire comme une source d’information très importante.

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