Pourquoi vous ne pouvez pas négocier avec vos enfants

La semaine dernière, j’ai reçu cette question dans le cadre du SOS S Comm C :

Comment réagir avec un enfant de 4 ans 1/2 qui ne respecte pas ses engagements malgrré qu’ils aient été pris après discussion (type résolution de conflits Gordon) ? Ce sont des cris, pleurs, hurlements ou mensonges …

Cette question n’a pas été tirée au sort mercredi matin. Mais elle m’a donné envie de vous un article plus complet sur le sujet. C’est en effet un point important qui peut créer de réelles difficultés chez les parents et chez les enfants.

Négocier avec ses enfants : de quoi parle-t-on ?

Il nous semble logique aujourd’hui de considérer l’enfant comme une personne à part entière. Mais cela ne signifie pas que l’enfant est à égalité avec les adultes.

Les enfants ont des émotions, ils sont capables de sentir ce qui leur convient et ce qui leur ne convient pas. Ils ont d’énorme capacités pour analyser et comprendre le monde qui les entourent.

Ils ont aussi des limites. Leur impulsivité en est une majeure. Cette impulsivité n’est pas un défaut : elle est naturelle et liée au développement de leur cerveau. Cette impulsivité évolue avec l’âge et diminue en général fortement à partir de 7/8 ans. Elle ne disparait jamais totalement 🙂 (moi par exemple, je peux être très impulsive quand il s’agit de manger des bonbons 😀 !!!)

l'enfant n'est pas un adulte. Négocier avec les enfants ne se fait pas comme avec un adulte.Considérer l’enfant comme un être humain compétent, capable et dont les droits sont les mêmes que ceux d’un adulte a de bons côtés. Cela incite à respecter l’enfant en tant que personne, à prendre soin de lui et à tenir compte de ses ressentis. Cela a aussi permis qu’on se mette à négocier avec ses enfants.

Mais l’enfant n’est PAS un ADULTE. Régler un conflit avec des enfants, négocier avec des enfants ne peut pas se faire comme avec des adultes.

La question qui m’a été posée en témoigne : cet aspect est souvent mal compris ou négligé.

La discussion dont il est question dans la question est une résolution de conflits type communication non violente. Elle suppose de formuler des demandes claires et se termine par un engagement de CHACUNE DES PARTIES.  C’est, d’une certaine manière, un contrat.

Négocier avec ses enfants suppose quelques connaissances juridiques

Les engagements ou les contrats sont des outils fréquemment utilisés à l’école ou au collège par exemple. Parfois à l’école maternelle (si, je vous assure !). Et franchement, ça me fait un peu (beaucoup) bondir.

Comme d’autres outils, les engagements sont à manier avec d’ENORMES précautions, sinon il sont négocier avec ses enfants suppose des connaissances juridiquesau mieux inutiles et au pire ils aggravent le problème.

Dans une ancienne vie, j’ai été acheteuse en entreprise (personne n’est parfait). Ce passé m’aide parfois à être plus pertinente dans mes relations avec mes enfants. C’est précisément le cas pour le sujet qui nous intéresse.

Un engagement est une forme de contrat, au moins dans l’esprit. Il n’est pas forcément assorti d’un document signé, bien que la signature d’un contrat soit parfois utilisée dans les écoles ou les collèges.

Pour être valide, un contrat doit réunir 4 conditions bien précises (source Maxicours).Ces conditions n’ont pas été édictées par hasard : elles sont là pour garantir la justice pour les parties prenantes. C’est important aussi pour nos enfants …

Pour négocier avec nos enfants, leur consentement doit être exempt de vice

Je cite Maxicours au sujet du contrat :

Condition n°1 : un consentement exempt de vice : Le consentement doit être libre et éclairé, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être vicié. En effet, si l’une des parties n’a pas donné son consentement en pleine connaissance de cause, ou si elle a subi une pression, son consentement est vicié. On répertorie trois vices du consentement : l’erreur, le dol et la violence. L’erreur correspond à une représentation fausse ou inexacte de la réalité que se fait l’une des parties. Le dol correspond à une tromperie ou à une manœuvre frauduleuse de la part d’une partie, pour décider l’autre partie à contracter. La violence consiste en une contrainte physique ou morale sur la volonté d’une personne, pour l’obliger à donner son consentement.

Condition n°2 : la capacité des parties : pour qu’un contrat soit valable, les parties doivent avoir la capacité juridique : les mineurs non émancipés et les majeurs incapables ne peuvent pas contracter.

Ces 2 premières conditions rendent de fait tout contrat ou engagement entre un enfant et un adulte caduque.

Un enfant n’est jamais libre face à un adulte. A fortiori face à un adulte dont il est dépendant.

J’en avais déjà parlé dans cet article sur le consentement, à lire ici. Le consentement d’un enfant est de fait vicié (au sens juridique). On ne peut pas signer de contrat avec quelqu’un dont on est fortement dépendant. Ce contrat est nul car il y a pression.

L’enfant est-il en mesure de dire clairement :

« Je ne me sens pas capable de faire ce que vous me demandez. »

« Je veux bien essayer de trouver des solutions mais si je n’y arrive pas ou si je n’arrive pas à les mettre en oeuvre, que se passera-t-il ? »

« Je ne suis pas d’accord avec les objectifs éducatifs que vous fixez pour moi. »

Si la réponse est NON, alors l’enfant ne peut pas s’engager.

D’autre part, la capacité à s’engager chez un enfant est très faible, a fortiori à moins de 7 ans. Elle augmente avec l’âge mais reste fragile. L’impulsivité naturelle de l’enfant explique cela très bien : l’enfant peut très bien proposer des choses pour résoudre le problème mais dans le feu de l’action, il ne parviendra pas forcément à tenir ses engagements. C’est ce qu’on pourrait caractériser comme une erreur (sens juridique) : l’enfant a une représentation fausse ou inexacte de la réalité (et de ses compétences).

C’est particulièrement vrai chez les enfants souffrant de troubles de l’attention. Ils peuvent avoir vraiment envie de se concentrer, d’écouter attentivement, de lire les consignes mais ne pas y parvenir.

Bref, sur ces 2 conditions, nous sommes déjà loin des conditions qui permettent à l’enfant de s’engager dans de bonnes conditions.

Négocier avec les enfants : quel est l’objet et la cause du contrat ?

Les 2 dernières conditions rendant un contrat valable sont :

  1. un objet certain et licite : la chose qui en est l’objet doit être possible, déterminée et licite.

  2. une cause licite  : la cause est la raison, le motif qui conduit chaque partie à contracter. Elle doit être licite, c’est-à-dire conforme aux lois.

Pour ce qui concerne la cause licite, avec les enfants, elle va de soi (nous ne demandons pas à nos enfants de faire des choses illicites).

Par contre l’objet est de l’engagement est beaucoup plus discutable dans les négociations avec les enfants. Un contrat suppose un objet et une réciprocité : CHAQUE PARTIE DONNE QUELQUE CHOSE.

En gros, tu me donnes et je te donne.

Quelle contrepartie donnons-nous à nos enfants quand ils s’engagent ? En général rien du tout. Par contre s’ils ne tiennent pas leurs engagements, alors là oui, nous donnons du négatif : punition, sermons, morale, énervements, …

Autre question : l’objet du contrat est-il clairement défini ? Là encore, c’est rarement le cas. Clairement signifie de manière précise, quantifiée, concrète (déterminable à l’avance) … et évidemment réaliste ! Donc un engagement ne peut pas porter sur quelque chose que l’enfant doit faire systématiquement SANS EXCEPTION. Les ratages ou manquements doivent être prévus. C’est même l’intérêt d’un contrat, parole d’acheteuse et de négociatrice : prévoir quels seront les ratés pour éviter de s’énerver lorsqu’ils surviendront.

Quand vous faites une résolution de problèmes, ces ratages et manquements sont-ils prévus ? La réaction correspondante de votre côté l’est-elle aussi ?

Pour résumer, nos résolutions de conflits sont généralement insuffisamment concrètes et détaillées. Elles sur-estiment aussi les capacités et compétences des enfants. Ils peuvent bien sûr nous surprendre positivement. Mais dans ce cadre, prévoir le pire permet de s’énerver moins.

Pourquoi l’enfant avec lequel on a négocié pleure, s’énerve et ment ?

Dans la question initiale, l’enfant – 4 ans 1/2 – s’engage. Son consentement est-il réel, non vicié et éclairé ? Probablement pas.

Un moyen simple de savoir si le consentement est réel : l’enfant a-t-il la possibilité de refuser de négocier sans qu’on le lui fasse « payer » ce refus (sermons, morale, punitions) ?

Pour engager une discussion avec un enfant, il est nécessaire de lui permettre d’exprimer ses doutes, ses difficultés, ses refus. Pour cela il faut lui poser des questions sur ce qu’il ressent et comment il vit ce qu’on lui demande et ensuite accueillir ses critiques sans réagir négativement, sans le sermonner ni lui faire la morale. J’en avais donné un (tout petit) exemple dans cet article.Et évidemment, ça suppose d’accepter de réfléchir en se demandant en quoi il a peut-être quand même un peu raison dans ce qu’il dit (et il a TOUJOURS un peu raison !).

Que se passe-t-il ensuite ? L’enfant ne parvient pas à faire ce qui est attendu de lui ou bien n’est pas d’accord avec ce qu’on lui demande de faire. Mais il s’est engagé. Donc il est coincé : s’il ne tient pas ses engagements, il se fera surement gronder.

Quel moyen a l’enfant de dire qu’il se sent coincé, pris au piège ou incapable de faire ce qu’il a annoncé ? Très souvent il n’en a aucun. Là encore, c’est important de lui apporter ces moyens-là.

Les pleurs, cris, crises ou mensonges de l’enfant, surtout à 4 ans 1/2, sont souvent simplement un moyen d’exprimer qu’il se sent coincé et qu’il n’a pas d’autre moyen de le faire comprendre.

Vous pouvez relire mon article « je mens, tu mens, il ment, nous mentons » à propos du mensonge justement :-).

Pour pallier à ces inconvénients, prévoir les ratages au moment de la résolution de conflits est INDISPENSABLE.

Alors négocier avec ses enfants, on peut ou pas ?

Vous l’aurez compris, je suis assez mitigée au sujet des engagements demandés aux enfants, notamment quand il s’agit d’enfants de moins de 6 ans.

négocier avec des enfants de moins de 6 ansAvant 6 ans, les engagements et discussions seront plus efficaces s’ils portent sur des sujets de faible importance et qui seront mis en application rapidement. Il devra y avoir une contrepartie positive systématique chaque fois que l’enfant tient ses engagements. Un compliment descriptif fera parfaitement l’affaire avec les plus petits. Cela nous conduit à une attitude proche du renforcement positif. C’est une alternative très efficace et très bienveillante à la punition. J’en ai parlé à demi mots à plusieurs reprises (voir dans les articles référencés plus bas dans les ressources complémentaires), il faudrait sans doute que je rédige un article complet à ce sujet. Dites-moi en commentaire si ça vous intéresse. N’oublions pas non plus de nous intéresser à ce qu’ils ressentent à la fois face au problème et face à nos demandes.

Avec les plus grands, l’essentiel est d’ouvrir un VRAI dialogue : ils doivent avoir une réelle possibilité de donner leur point de vue, d’exprimer leurs limites ou leurs craintes sans que cela entraine des critiques,négocier avec des enfants de plus de 6 ans : ouverture et dialogue remarques ou la négation de ce qu’ils ressentent. Les « ratages » devront être considérés comme faisant partie du processus et anticipés : « que ferons-nous la 1e fois où ça ne marche pas ? et la 2e fois ? et la 3e fois ? ». L’enfant doit pouvoir exprimer ce qu’il attend de nous pour l’aider.

En conclusion – et pour répondre à la question initialement posée : « comment réagir face à un enfant de 4 ans 1/2 qui ne respecte pas ses engagements ? » – je dirai donc qu’il faut juste partir du principe qu’il ne peut pas tenir d’engagements et aborder les choses totalement autrement :-).

Comme je ne sais pas quel est le comportement problématique qui aboutit à la résolution de problèmes, je peux difficilement proposer quelque chose de plus concret … Mais ça peut faire l’objet d’une prochaine question pour le SOS S Comm C 🙂 !


La session de janvier 2019 de l’atelier « Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour qu’ils parlent » a bien démarré. Une nouvelle session démarrera en mars 2019. Cliquez sur l’image pour plus d’infos :

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Des ressources complémentaires pour à propos de la négociation avec les enfants

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Sandrine Donzel

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