A quoi sert le consentement ?

relation patient soignant la question du consentementDepuis quelques jours une affaire secoue (un peu) Internet, celle des touchers vaginaux (TV) pratiqués sur des patients sous anesthésie générale … et donc sans le consentement des patients.

D’abord minimisée par les instances officielles, cette affaire a pris de l’ampleur parce que ces pratiques ont été confirmées par des soignants – médecins, sage-femmes, etc – et qu’elle ne relève donc pas de l’imagination de patients – devrais-je dire de patientEs – hystériques et qui voient le mal partout … Voici le tweet initiale de Béatrice Kammerer – Mme Déjantée qui a lancé l’affaire :

La question du consentement dans la société

Je crois que cette question du consentement dépasse largement le domaine médical. Elle en dit long sur la façon dont nous envisageons le rapport à l’autre d’une manière générale.

Elle montre à quel point nous imaginons que le rapport de force – même masqué sous un dehors très bienveillant et paternaliste, le fameux « c’est pour ton bien ! » – est la norme en matière de relation. Elle prouve que, dans notre société, vouloir le « bien » de l’autre suppose qu’on passe outre son avis et qu’on lui impose des choses. Que nous pensons globalement que l’autre, en position de faiblesse réelle ou supposée – enfant, femme, patient, … – ne peut qu’être un imbécile qui ne sait pas ce qui est bon pour lui.

Ce point a des retentissements partout, dans toutes nos relations avec des gens en plus ou moins en position de faiblesse :

  • Avec les enfants en tant que parent et enseignants : cette question justifie qu’on utilise des rapports de force avec eux, le chantage, la menace, la punition. Les enfants sont par définition déraisonnables dans l’esprit collectif. Il est donc obligatoire que les adultes prennent des décisions à leur place sans les consulter. Elle justifie que l’éducation et l’instruction soient vus comme l’injection à l’intérieur de l’enfant de savoirs et de règles extérieurs à eux et non comme une construction commune.
  • En situation médicale, avec les patients : notre vision actuelle justifie que le consentement du patient soit parfois une chose accessoire. Après tout, le patient pourrait risquer de refuser. Le pauvre patient qui ne voit pas où est son bien – « cet acte est nécessaire médicalement. On ne peut pas perdre du temps à expliquer » ou le « il faut bien que les étudiants se forment« . Ne pas demander le consentement de quelqu’un le met donc en position infantilisante : le patient est alors considéré comme incapable de prendre la « bonne » décision.
  • dans le couple enfin où cette question du consentement crée des problèmes innombrables à ce que j’en voie dans mon cabinet : nous utilisons généralement le rapport de force, la menace (de partir ou de tromper) , le chantage à peine voilé, la culpabilisation (si je vais mal, c’est parce que tu n’as pas envie de moi), … pour exiger des relations sexuelles d’un conjoint qui en a moins envie que nous. J’en avais déjà largement parlé dans « comment obtenir plus de sexe en faisant moins d’efforts ? »

Je crois donc qu’il est temps que nous nous penchions vraiment sur la question du consentement d’une manière globale et pas uniquement dans le milieu médical.

Cela demande simplement d’imaginer qu’un autre rapport entre les humains est possible. Un rapport non basé sur la force, la domination et la peur.

Cela rejoint les articles que j’ai publiés la semaine dernière à propos des différents types d’autorité sur ce blog ici et sur les Vendredis Intellos là.

A quoi sert le consentement ?

Je crois que ce qui m’a le plus choquée dans ce débat, c’est l’argument « demander le consentement détruirait la confiance entre le patient et le médecin. »  Cet argument me semble relever au mieux d’un manque d’empathie assez terrible et au pire d’une mauvaise foi plutôt incroyable … ou alors d’une méconnaissance assez poussée des mécanismes du fonctionnement humain.

Comme je l’avais déjà expliqué dans l’article à propos de sexe cité plus haut, notre réticence à nous voir imposer des choses contre notre volonté est innée et spontanée. Elle est un mécanisme de défense extrêmement puissant. C’est vrai dans tous les domaines de la vie et pas uniquement dans la relation patient-soignant.

Parfois ce mécanisme de défense peut effectivement nous amener à avoir des comportements inefficaces, qui nous amèneront à nous faire du mal sur le long terme. Des comportements qui peuvent à première vue inadéquats, voire destructeurs, mais qui ont toujours une intention positive à notre égard.

Mais cela ne signifie absolument pas qu’on doive forcer ce consentement ou passer outre.

Car le passage en force ne conduit qu’à renforcer la défense. Ou à détruire la volonté de celui qu’on force. Un peu comme une place-forte : lorsqu’elle a été prise une fois, on renforce les défenses, on modifie sa construction pour le rendre encore plus imprenable. Et si ça ne suffit pas on finit par l’abandonner.

Passer outre le consentement, ne pas le demande conduit donc fort logiquement à renforcer les défenses de celui qui subit : phobie des actes médicaux, angoisse devant les soins, méfiance à l’égard des soignants, … Et non l’inverse !

A l’autre extrême, passer outre le consentement envoie le message à celui qu’on force qu’il n’est qu’une partie négligeable, un objet qu’on peut utiliser à sa guise. Message extrêmement dévalorisant s’il en est et peu propice à l’installation de la confiance. Dans ces circonstances, la personne qui accepte les actes n’est pas librement consentante. Elle est persuadée qu’elle n’a pas le choix et qu’elle ne vaut pas mieux. Elle ne pense même plus qu’elle pourrait décider par elle-même.

Donc peut-être que demander l’accord des patients pourrait détruire la confiance entre patients et soignants … Mais ne pas le demander la détruit pour de bon et avec certitude.

Demander le consentement, c’est au contraire faire passer le message qu’on est confiant dans les capacités de la personne en face de nous à prendre ses propres décisions.

 Les gestes médicaux sans consentement chez les enfants

Pour lutter contre l’existence de ce rapport de force, il me parait important d’inculquer à nos enfants d’une manière générale que leur volonté est importante et qu’elle doit être respectée. La plupart des articles que j’écris sur ce blog vont dans ce sens.

Concernant le corps en particulier, un effort particulier peut être fait. Faire passer à ses enfants – filles et garçons – que leur corps ne peut pas être touché sans leur consentement est un axe de la prévention des violences sexuelles … et des violences tout court.

Je suis souvent surprise de voir qu’on force des enfants à des gestes médicaux, parfois en leur maintenant de force à plusieurs adultes.

Pas étonnant que l’enfant se rebelle et/ou ait ensuite peur des soignants et des actes médicaux par la suite. Souvent les soignants sont d’accord avec cela … Mais il faut pour cela que l’enfant reste « raisonnable » – autant dire mission impossible – et surtout qu’il ne faille pas attendre trop longtemps. J’ai ainsi souvenir d’une infirmière pour une prise de sang qui avait fait le geste par surprise sur ma fille, ce qui avait fait hurler cette dernière et qui m’avait rétorqué : « je ne peux pas attendre. Sinon je n’en finis plus« . Mais qui n’avait pas su quoi répondre à la question « vous faites pareil avec des adultes ? »

Il est aussi assez fréquent d’entendre dire à un patient – enfant ou adulte – « Ce ne fait pas mal, ne vous inquiètez pas. » C’est une négation de la peur, bien naturelle, que ressent la personne face à l’acte. Et toute appréhension de sa part, tout recul, toute hésitation est de fait disqualifiée par ces propos. Le patient n’a plus aucun moyen de faire entendre que les choses ne lui conviennent pas, il est coincé.

Comment faire alors pour mieux prendre en considération le consentement du patient ?

Pour tous les soins médicaux, y compris à la maison, respecter le ressenti émotionnel de l’enfant est primordial : « tu n’as vraiment pas envie de le faire » ou « tu as peur que ça te fasse mal ». Cela ouvre le dialogue et le soignant – qu’il soit parent ou professionnel – peut alors entendre de quels aménagements le patient a besoin.

Parfois, c’est simplement attendre qu’il soit prêt. Combien de fois, pour enlever un simple pansement, ai-je simplement dit à mes enfants : « dis moi quand tu es prêt« . Et leur réponse – « Vas-y tu peux l’enlever » met entre 5 secondes et 1 minute à venir, montre en main. Sommes-nous si pressés que nous ne puissions pas attendre 1 mn ?

Lorsque les enfants sont plus réticents parce que le geste leur est vraiment difficile ou douloureux, simplement leur demander ce que nous pourrions faire pour qu’ils le vivent le moins mal possible est une façon d’adapter la situation. Ils ont généralement plein d’idées.

Très souvent aussi, simplement familiariser l’enfant avec le milieu qui l’entoure suffit. Ainsi mon dentiste, qui intervient sur des enfants autistes, prend le temps d’installer l’enfant, de lui montrer le fonctionnement de chaque outil, de lui en faire entendre le bruit et sentir la sensation dans la bouche, y compris le jet d’eau et l’aspirateur avant d’entreprendre les soins. Il parle à l’enfant tout au long de la consultation et lui explique tout ce qu’il fait. Il lui dit systématiquement « si tu as mal, tu me dis« . Et malgré tout cela, le soin d’une carie ne prend que 15 mn, tout compris.

J’insiste sur le « si tu as mal, tu me dis » : cette petite phrase permet à l’enfant de savoir que sa douleur éventuelle ne sera pas minimisée et qu’elle sera prise en compte. Dire « ça ne fait pas mal, ne t’inquiète pas » disqualifie toute manifestation de douleur et empêche l’enfant de l’exprimer, non de la ressentir. Pouvoir dire qu’on a mal n’augmente pas la douleur, au contraire : ça la diminue car on sait que ce sera pris en compte. Et ça diminue aussi par la même occasion les émotions désagréables qui y sont liées.

Toutes ces astuces sont vraies pour les petits bobos aussi bien que pour les pathologies lourdes ou chroniques. Elles sont d’autant plus utiles pour les pathologies chroniques comme le diabète qu’elles remettent l’enfant au coeur de sa situation et développent son autonomie. En procédant de cette façon avec lui, on lui fait faire en douceur les apprentissages qui lui seront utiles toutes sa vie : il apprend que oui c’est normal d’en avoir ras-le-bol par moments des soins, oui on c’est normal d’avoir peur d’un soin qui fait mal (même si c’est un tout petit peu mal) et il apprend aussi les stratégies qui vont l’aider à gérer ces émotions désagréables en étant « raisonnable » par rapport à sa pathologie.

Et lorsque l’enfant est vraiment trop réticent pour un soin qui est inévitable, on peut simplement lui poser les choses de cette façon (en ayant préalablement expliqué les tenants et les aboutissants du geste en question en des termes compréhensibles pour l’enfant, y compris les nourrissons) :

Je sais que tu n’as pas envie, que tu as peut-être peur. Mais en tant que parent, je suis obligé de te soigner et il va donc falloir faire ce geste. Tu peux choisir le moment et comment on peut s’organiser pour que ce soit le moins difficile possible pour toi. Mais il faudra le faire, je ne peux pas te laisser le choix.

Il est excessivement rare que l’enfant continue à résister lorsque qu’il a la possibilité d’exprimer librement ses réticences sans qu’elles soient minimisées et qu’elles sont prises en considération.


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Pour aller plus loin au sujet du consentement :

Photo Credit: Alex E. Proimos via Compfight cc

Sandrine Donzel

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1 thoughts on “A quoi sert le consentement ?

  • 14 février 2015 à 16:56
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    Pile-poil le complément parfait à l’article « j’ai tout essayé sauf l’amour ».
    Ou comment répondre aux « mais pourquoi tu te prends la tête comme ça avec tes gosses ? »
    Ben oui, une fessée et file dans ta chambre, c’est tellement plus facile…

    Je crois que je vais les imprimer en de multiples exemplaires, dont un que je vais coller sur le frigo !

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