L’écoute active pour aider mon enfant à gérer ses émotions
Comment aider un enfant à gérer ses émotions ? Oui, l’écoute active est un outil indispensable à maitriser pour cela … Mais elle est souvent présentée comme un outil tellement magique qui rend instantanément les gens (et les enfants) raisonnables, ce qui est très éloigné de la réalité et crée des attentes irréalistes du côté des parents. Alors je vous propose de répondre plus précisément à cette question : l’écoute active peut-elle aider mon enfant à mieux gérer ses émotions ?
A noter : cet article existe en version vidéo disponible ici sur Youtube:
Oui l’écoute active est un outil indispensable pour apprendre à gérer ses émotions !
Franchement – et je n’ai aucun doute à ce sujet : l’écoute active est un outil absolument indispensable à maitriser pour les parents (et pour toute personne qui a pour but d’avoir une bonne relation avec son entourage personnel ou professionnel !!!).
Elle facilite extraordinairement la vie dans de nombreuses circonstances. J’en ai donné de multiples exemples sur ce blog (à lire ici, ou là ou encore là par exemple).
Pourtant, dans la vraie vie – à l’inverse de ce qui se passe dans les livres – malgré une écoute attentive et bienveillante, l’enfant (ou le collaborateur 😁) reste fâché ou triste et continue à se conduire de manière déraisonnable : « on a essayé l’écoute mais ça ne marche pas« , « Même quand je l’écoute et j’accueille son émotion, il ne veut pas » entend-je dans mon cabinet.
Ce qui conduit les parents à se demander si ce sont eux qui s’y prennent mal ou si c’est leur enfant qui a un problème. Ce constat, bien que frustrant, m’amène à soulever un point important : à quoi sert vraiment l’écoute active ?.
Parce que c’est souvent là qu’est le problème : on attend de l’écoute active des choses qu’elle ne peut pas nous donner.
Le mythe de l’écoute active et de la vidange émotionnelle
Un mythe commun de l’écoute active est qu’elle agit comme une sorte de « vidange émotionnelle ». Beaucoup croient que parler de ses émotions est toujours utile et apaisant, une idée répandue mais souvent inexacte.
Bernard Rimé, dans son livre « Le Partage Social des Émotions« , souligne plusieurs points à ce sujet :
- parler de nos émotions, les exprimer pour les porter à la connaissance des autres est un comportement spontané chez l’être humain. Nous sommes des animaux sociaux et nous avons survécu en tant qu’espèce parce que le groupe nous protège et nous enrichit. Obtenir l’approbation ou le soutien des autres membres du groupe est une condition de notre survie.
- l’intérêt individuel d’exprimer ses émotions à d’autres dépend largement de la manière dont elles sont accueillies. Ce n’est pas juste une question d’exprimer ou de vider nos émotions ; c’est aussi une question de comment et par qui ces émotions sont reçues et traitées. Contrairement à l’idée populaire que parler de ses problèmes est en soi cathartique et apaisant, Rimé met en lumière que l’effet cathartique est plus complexe. Parler de ses émotions peut être utile, mais pas dans tous les cas et pas automatiquement. Je crois que nous avons tous fait l’expérience d’une écoute frustrante ou stressante et de ce qu’elle peut engendrer émotionnellement (et je reviens sur ce point plus loin dans cet article).
- Justement dans la manière dont elles sont accueillies, l’écoute active est un outil indispensable à maitriser : un accueil empathique et compréhensif peut contribuer au bien-être émotionnel, tandis qu’une réponse négative ou indifférente peut aggraver le malaise.
- Le partage des émotions a aussi un rôle social et culturel : partager ses émotions contribue aussi à enrichir l’intelligence émotionnelle de ceux qui écoutent … et fait évoluer la culture et les normes sociales (autrement dit : ça ne sert pas qu’à celui qui s’exprime)
L’écoute active peut donc aider à faire du bien à la personne écoutée. Et c’est précisément pour ça qu’il faut savoir la maitriser. Mais j’ai un scoop pour vous :
L’écoute active ne sert pas à rendre les gens (adultes ou enfants) raisonnables.
Ni à modifier leurs émotions.
Bon mais à quoi peut bien servir l’écoute active alors ???
Les émotions en jeu et leurs messages
Prenons l’exemple de Zoé.
Zoé peut avoir 5 ans et vouloir absolument son verre bleu pour le repas, les bras de son papa et sa maman pour s’endormir ou une histoire supplémentaire avant de mettre son pyjama. Mais ses parents ne semblent pas vouloir coopérer, les vilains !
Zoé peut aussi avoir 12 ans et réclamer de passer de sortir à sa guise, de voir ses amis sans limite de temps ni d’horaire mais ses parents ne veulent pas … vraiment trop relous ces parents !
Zoé peut avoir 35 ans et trouver que son chef franchement ne sait pas manager et voudrait bien que ça change. Mais son chef n’a pas l’air de l’entendre de cette oreille, le bougre (bon en vrai je vais me concentrer sur la parentalité mais le parallèle est facile à faire).
La situation est simple : Zoé veut quelque chose qu’elle ne peut pas avoir. Résultat logique : Zoé est certainement déçue, peut-être triste, indéniablement en colère.
Triste et déçue de devoir renoncer à quelque chose qui aurait été satisfaisant pour elle. Ce qui est logique, la tristesse étant l’émotion qui dit « tu dois renoncer et passer à autre chose« . Et ça peut faire vraiment mal de l’accepter (la tristesse est une émotion très douloureuse, ce qui nous amène souvent à préférer la colère bien moins dure à vivre)
Et en colère contre ce qu’elle considère être l’obstacle à sa satisfaction : le parent qui dit non, le chef qui ne change pas.
Cette colère, elle va la manifester avec d’autant plus de force qu’elle pense avoir pouvoir faire changer la personne en question.
Et oui, la colère, c’est l’émotion qui dit « ceci n’est pas acceptable pour moi et je veux que ça change !« . C’est aussi l’émotion qui nous donne de l’énergie pour changer les choses.
Zoé va donc manifester son mécontentement pour tenter d’influer sur la situation et obtenir satisfaction.
Le seul et unique moyen de faire disparaitre les émotions de Zoé – et notamment sa colère – c’est de lui donner ce qu’elle veut. (ce qu’ont peut appeler « céder »).
Mais si ses parents ne peuvent pas – ou ne veulent pas – lui donner satisfaction – ils restent avec son encombrante et souvent bruyante émotion sur les bras.
C’est là qu’ils recourent à l’écoute active, avec l’espoir de faire disparaitre les inconvénients de l’émotion = le bruit, l’agitation, les comportements agressifs.
Mais l’écoute active ne sert pas à faire disparaitre les émotions.
Et c’est là où certaines approches de la parentalité peuvent nous piéger : les émotions désagréables y sont parfois présentées comme un stress dommageable qu’il faudrait réduire. Et l’écoute active comme le moyen d’apaiser ces émotions désagréables et donc malvenues.
Pourtant les émotions, y compris les désagréables, font partie de la vie. Et ceux qui sont le mieux dans leurs baskets et qui gérent le mieux leurs émotions ne sont pas ceux qui ont réduit le nombre de ces émotions désagréables mais ceux qui ont appris à les apprivoiser et surtout à les surmonter.
(à lire à ce sujet « Eloge de la lucidité » d’Ilios Kotsou, une merveille).
Et c’est là que l’écoute active peut vraiment jouer un rôle essentiel pour aider un enfant à gérer ses émotions
L’écoute n’a donc pas le pouvoir magique de faire apparaitre des verres, de faire disparaitre des chefs ou de rendre les parents plus compréhensifs.
Elle ne sert pas non plus à rendre magiquement une situation douloureuse en moment agréable. Elle ne supprime pas les émotions, ne les apaise même pas.
L’écoute empathique sert uniquement à donner du courage à l’enfant pour surmonter le moment difficile qu’il traverse.
Et à rien d’autre.
Si vous voulez mieux comprendre, je vais vous donner un exemple concret.
Le gâteau au chocolat pour comprendre le pouvoir de l’écoute sur les émotions
C’est un exemple que j’utilise souvent en conférence ou en formation et que je trouve très parlant.
Imaginez que vous passez une journée affreusement pourrie. Des mauvaises nouvelles s’empilent, des urgences à la pelle, des clients mécontents. Bref, rien ne va. Vous n’attendez plus qu’une chose : que la journée se termine.
Pour vous réconforter, vous vous raccrochez à l’idée que vous allez passer chez votre pâtissier préféré pour acheter votre gâteau doudou, celui qui vous console de tout (si vous n’aimez pas les gâteaux au chocolat, choisissez-en un autre ou prenez un fromage ou tout autre chose qui vous réconforterait).
A chaque nouveau problème qui se présente dans la journée, l’idée de ce gâteau vous aide à surmonter l’épreuve.
La fin de journée arrivée, vous partez enfin et vous allez fissa dans votre pâtisserie préférée … Et là catastrophe : rupture du fameux gâteau au chocolat !!!!
Vous êtes au bord des larmes, et vous commencez à vous énerver contre la vendeuse – qui objectivement n’y est pour rien. Votre manifestation de colère sera à la hauteur de votre déception et de l’espoir que vous aviez mis dans ce moment de réconfort.
Imaginez qu’une personne proche est avec vous (votre partenaire de couple, un ou une ami-e) et que cette personne vous dise : “rho mais tu ne vas pas nous faire un fromage pour un gâteau au chocolat ! Prends donc une tarte au citron !”
Même si, sur le fond, cette personne n’a pas tort, il est probable que cette réponse ajoute à votre frustration : non seulement vous avez toujours passé une journée pourrie et vous n’avez même pas votre gâteau pour vous réconforter. Mais en plus vous êtes en compagnie d’une personne qui, décidément, ne comprend rien à rien.
De quoi vous décourager non ?
Alors que si cette personne se montre un peu plus empathique, elle pourrait vous dire par exemple : “ah mince, quelle frustration ça doit être après cette dure journée ! Tu préfères prendre un autre gâteau ou bien tu es vraiment trop déçue pour en choisir un autre ?”
Il y a des chances ici que vous vous sentiez plus de compréhension et que cela vous SOULAGE.
Remarquez bien que cette attitude ne change ABSOLUMENT rien à la situation : votre journée est toujours pourrie, vous n’avez toujours pas votre gâteau et vous n’avez pas plus l’espoir d’en avoir.
La seule chose qui change, c’est que maintenant vous avez du soutien ! Vous n’êtes plus seul-e face à votre déception.
Et ce soutien vous donne DU COURAGE ! Et il faut pour affronter cette journée d’enfer et la frustration de ne pas avoir de gâteau.
Courage qui va probablement vous aider à prendre du recul et à choisir comment réagir plutôt que de subir la situation.
CQFD : l’écoute donne du courage !
L’écoute active donne du courage et c’est le courage qui permet d’apprendre à gérer ses émotions
Je l’illustre encore autrement avec un approfondissement de l’image du ballon émotionnel. J’avais parlé du ballon émotionnel de façon très succincte ici si vous voulez comprendre comment ça marche.
En résumé : quand notre ballon est à l’équilibre, nous sommes en capacité de prendre du recul, de choisir des stratégies pour faire face à la situation, d’agir de manière socialement acceptable et en cohérence avec nos valeurs. Quand notre ballon est déséquilibré… c’est l’inverse 🙃.
Zoomons sur la partie basse du ballon : ce qu’on peut y voir c’est l’émotion de base, augmentée d’émotions désagréables qui surviennent quand on ne se sent pas écouté-e ou soutenu-e.
Si l’enfant continue de manifester ses émotions sans se sentir soutenu, son niveau émotionnel monte et il peut finir débordé émotionnellement alors que son émotion de base n’était peut-être pas si importante.
Chaque interaction non soutenante fait de plus en plus déborder l’enfant. Et chaque tentative infructueuse du parent de le calmer fait aussi monter le niveau émotionnel du parent (il ne se sent pas entendu lui non plus !).
Reprenons l’exemple du gâteau au chocolat. Vous êtes vraiment dépité-e de ne pas avoir votre gâteau ET frustré-e que cette déception ne soit pas prise au sérieux. Il se peut alors que vous insistiez pour lui faire comprendre à quel point c’était important pour vous. Si votre interlocuteur persiste dans son incompréhension, vous risquez fort de vous énerver franchement au bout d’un moment et de l’envoyer sur les roses. Vous allez le/la trouver insupportable … et lui ou elle va vous trouver déraisonnable.
(toute ressemblance avec des situations existantes est évidemment … tout à fait logique 😁)
La même chose se produit avec la (petite) Zoé : ses émotions de base sont la déception et la tristesse.
Si les adultes autour d’elle répètent les règles, redonnent des explications de pourquoi elle ne peut pas avoir ce qu’elle veut, elle risque fort de s’agacer de plus en plus au fil des interactions non soutenantes.
Si les adultes s’emploient à utiliser l’écoute active en espérant la rendre raisonnable, il y a aussi de fortes chances que Zoé capte l’implicite de la situation et qu’elle comprenne très vite que ce n’est pas du soutien qu’on veut lui fournir mais qu’on veut juste qu’elle se calme.
C’est cela qui rend l’écoute active si difficile à maitriser : pour l’utiliser à bon escient, il faut abandonner l’idée qu’on va apaiser les émotions de l’autre et simplement se positionner humblement en personne qui n’a aucune idée de comment se sortir de la situation mais qui offre sincèrement son empathie et son soutien.
Je vous donne un exemple plus complet de ce que ça peut donner dans l’article « je vais te tuer, t’es qu’une conne, gérer la violence d’un enfant sans s’énerver »
Pour être un peu plus concrète dans mon aide aux parents :
Si vous interagissez avec votre enfant sous le coup de l’émotion et qu’il s’énerve de plus en plus, c’est probablement qu’il a le sentiment que vous ne le comprenez pas et qu’il essaie de vous le faire comprendre.
C’est un peu comme si vous étiez en train de jeter de l’huile sur le feu alors que vous pensiez y mettre de l’eau pour l’éteindre.
Dans ce cas là, la 1e des choses à faire est de faire un peu de côté et de reconnaitre que vous faites fausse route en disant quelque chose comme : « je crois qu’il y a quelque chose que je ne comprends pas, tu veux bien m’expliquer ce que c’est ?« .
Puis de rester dans une posture de soutien et d’écoute, en ne proposant des solutions ou des conseils que si votre enfant vous le demande.
Pour aller plus loin au sujet de l’écoute active comme outil d’aide à la régulation des émotions
Ma série d’articles sur l’écoute active :
- comment marche l’écoute active ?
- écoute active : posture et freins
- 4 clés pour une bonne technique d’écoute active
- Les 3 grandes limites de l’écoute active
- Réagir à la violence d’un enfant
Retrouvez aussi le Guide des émotions, qui peut vous aider à mieux comprendre les messages de chaque émotion.
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