Qui trop écoute mal aide
Pour aider un enfant à gérer ses émotions, l’écoute ça marche. Mais il faut parfois arrêter d’écouter pour encore mieux l’aider. Je fais un point complet dans cet article.
A noter : si vous préférez regarder ou écouter plutôt que lire, la version vidéo de cet article est disponible tout en bas ⤵️
Les émotions nous poussent à agir. C’est même leur rôle principal.
Elles nous amènent aussi parfois à l’explosion et à des comportements que nous ne souhaitions pas avoir.
De là à penser que les émotions fonctionnent comme une cocotte minute, il n’y a qu’un pas facilement franchi.
Et ce pas conduit à idée communément admis : les émotions doivent absolument s’exprimer, sinon elles s’accumulent et finissent par conduire inéluctablement à l’explosion.
Pour aller bien, se sentir bien et éviter des problèmes futurs, il faudrait donc purger le réservoir des émotions. La gestion des émotions passerait par reconnaitre ses sentiments, les nommer et les accueillir absolument.
C’est ce qu’on appelle la “vidange émotionnelle”.
Cette idée de vidange des émotions a des corollaires concrets :
- si on fait obstacle à l’émotion, alors la “vapeur émotionnelle” ne s’échappera plus et pleins de problèmes s’en suivront.
- si on masque ses émotions, là aussi on s’expose aux effets dévastateurs de l’accumulation.
- etc, etc
En tant que parent, évidemment, on se doit alors de faciliter l’expression émotionnelle de nos enfants et leur apprendre à avoir conscience de leurs émotions et à les exprimer systématiquement.
Cette idée d’accumulation et d’explosion correspond tellement bien à notre observation individuelle qu’elle est très facilement admise par tout un chacun.
Elle a aussi très fortement été reprise dans l’éducation bienveillante ou positive où elle est admise comme une vérité établie, contribuant à créer beaucoup de culpabilité et d’anxiété chez les parents. Il est en effet difficile d’être à la hauteur quand il faut accueillir TOUTES les émotions tout le temps.
(J’utilise moi-même des images qui relèvent de cette théorie avec mes outils du ballon émotionnel et de la carte de fidélité …)
Mais cette idée de « réservoir » est hélas une croyance naïve et une approximation grossière.
Elle s’avère vraie dans certaines situations, avec certaines émotions. Mais pas toujours.
Les données obtenues par l’observation scientifique montrent 2 choses :
- La récupération émotionnelle suite à un évènement émotionnel semble tout à fait indépendante du partage ou non desdites émotions à d’autres personnes (partage social des émotions).
- La perpétuation du partage social des évènements émotionnels est associée à une moins bonne récupération émotionnelle.
Autrement dit :
verbaliser ses émotions ne suffit pas à surmonter une difficulté émotionnelle.
Source : Livre « Le partage social des Emotions » – Bernard Rimé
Pour vous procurer le livre :
- sur Amazon : “le partage social des émotions” – Bernard Rimé sur Amazon
- Sur Les Libraires.fr (libraires indépendants) : “le partage social des émotions” – Bernard Rimé sur LesLibraires.fr
C’est une observation que mon expérience d’accompagnement de parents et d’enfants me confirme quasiment chaque jour : je passe plus de temps à aider les parents à écouter moins qu’à écouter plus et ça les aide beaucoup.
Mais alors, pour aider un enfant à gérer ses émotions, il ne faut pas écouter les émotions de ses enfants ???
Evidemment je n’ai pas dit ça.
Je vous parle souvent de l’écoute empathique et de ses vertus. J’en remets une couche à ce sujet :
Ecouter les émotions d’une autre personne crée et renforce les liens affectifs entre la personne qui s’exprime et celle qui écoute.
Plus une personne se livre à des confidences intimes, plus la personne qui l’a écoutée exprime ensuite de l’affection pour elle.
En termes d’attachement et de lien, écouter les émotions et ressentis de ses enfants est donc une bonne chose.
Se sentir écouté, compris et soutenu crée aussi un effet soulageant qui diminue l’anxiété et la confusion générée par l’émotion.
Pour certaines émotions de faible/moyenne intensité, l’écoute empathique peut être suffisante pour aider votre interlocuteur (c’est l’attitude Rogérienne – de Carl Rogers – à la base de toute relation d’aide).
Pour plus d’informations sur l’écoute, vous pouvez vous reporter à ma série d’articles sur l’écoute :
- Comment marche l’écoute active
- pratiquer l’écoute : posture et freins
- 4 clés pour une bonne technique d’écoute active
- les 3 grandes limites de l’écoute
Verbaliser les émotions de l’enfant a aussi des vertus pédagogiques : cela lui apprend à mieux comprendre ce qu’il pense, ressent et vit. Ces outils lui seront utiles face à des difficultés psychologiques futures.
Oui, l’intelligence émotionnelle repose sur la conscience et la maitrise de ses émotions.
Et écouter et verbaliser les émotions aide à améliorer sa conscience des émotions. Mais la maitrise de ses émotions, c’est un peu plus compliqué que ça … et la conscience ne suffit pas.
En résumé :
Ecouter les émotions de votre enfant renforce la qualité de votre relation.
Cela peut aider votre enfant dans beaucoup de situations de la vie quotidienne par un effet de soutien / support que vous lui apportez.
Cela va le rassurer sur ses capacités à résoudre ses propres difficultés.
Cela va favoriser chez lui une meilleure identification de ce qui se passe dans son cerveau
MAIS …
(… car il y a un mais vous l’aurez compris depuis le début …)
Qui trop écoute mal aide
Ecouter à tout prix, tout le temps et penser que toutes les difficultés émotionnelles vont se surmonter uniquement par de l’écoute est une illusion.
Même en accompagnement – psychologie ou coaching – l’écoute est stratégique = on écoute, on valide certes (c’est la base d’une relation d’aide) …
MAIS si on veut que les choses changent, il doit se passer AUTRE CHOSE : un changement dans la manière de penser, des actions différentes, etc, etc. Sinon on peut passer des années à écouter sans résultat.
Parler de ce qu’on ressent ne suffit pas.
Ca me fait passer à Katia, une jeune femme, venue me voir il y a quelques années. Elle ressentait des symptômes proches de la dépression. Elle se sentait triste, déçue en permanence.
Elle en parlait souvent de ce qu’elle vivait, de ses déceptions, de sa tristesse à sa maman, à ses soeurs, à ses amies. Elle recevait une écoute attentive, du soutien. Pas ou peu de conseils inappropriés ou non sollicités. L’entourage idéal du point de vue du mythe de la vidange émotionnelle en somme.
Mais quand j’ai demandé à Katia “parler de vos émotions à votre entourage, ça vous aide ?”, elle a été surprise, elle a réfléchi quelques secondes puis elle m’a dit :
“ben maintenant que vous me posez la question … franchement : non. Ca me fait du bien sur le moment, je me sens entourée et soutenue. Mais après coup, je vois bien que j’ai toujours les mêmes difficultés et que rien ne change et ça me déprime.”
Il a fallu plusieurs étapes à Katia et bien plus que de l’écoute pour aller mieux. Mais, une des premières actions mises en place – et qui l’a énormément soulagée – a été d’arrêter de parler de ses difficultés à son entourage, sauf dans certaines exceptions définies ensemble.
J’ai déjà donné sur ce blog un autre exemple où exprimer ses émotions aggravait le problème ici, dans un article sur le burn-out (et la colère).
A retenir : l’écoute seule n’est efficace que pour des problématiques simples et peu ancrées.
(donc elle l’est très souvent pour les jeunes enfants notamment).
On est loin de l’idée que les émotions doivent ABSOLUMENT ETRE ECOUTEES, faute de quoi votre enfant sera malheureux pendant 15 générations (non pardon, j’abuse là 😀 :-D)
Je vais même aller plus loin : trop écouter peut compliquer certaines situations.
Quand trop d’écoute crée de l’hypersensibilité …
Quand un enfant voit les adultes autour de lui se mettre en 4 pour l’écouter dès qu’il exprime des émotions négatives, il peut conclure que l’émotion est un problème à résoudre.
Ce problème lui semblera d’autant plus grave que beaucoup d’énergie et d’attention sont déployées pour l’inciter à apprivoiser ses émotions : y porter attention, les décrire, les verbaliser … trouver des moyens de les apaiser , etc.
Et qui dit “problème grave” dit appréhension : “pourvu que ça ne m’arrive pas !”, “pourvu que je trouve les moyens de résoudre ce problème” et mise en route du radar à problèmes.
(j’en avais un peu parlé du phénomène de survigilance “radar à problème” dans cet article sur le traumatisme si vous voulez en savoir plus).
Autrement dit : quand on appréhende quelque chose, on devient plus sensible et plus réactif à cette chose = on surveille plus les signaux, les signaux nous semblent plus forts que sans l’appréhension et nous réagissons de manière plus importante.
En résumé :
Un enfant (ou un adulte) qui croit que l’émotion est un problème va devenir plus sensible aux émotions et y réagir plus fort.
Il se retrouve avec une couche d’hypersensibilité construite par sa réaction aux émotions.
Ce qui n’est évidemment pas DU TOUT le but recherché, au contraire …
Quand le serpent de l’écoute se mord la queue …
Mais plus de sensibilité et plus de réactivité aux émotions conduit généralement l’entourage à chercher à :
- réduire les sollicitations émotionnelles : réduire le nombre de frustrations par exemple en cherchant à prévoir d’avoir le doudou tout le temps, le verre bleu et l’assiette rouge au moment du repas du soir, en prévenant et en donnant moultes explications, etc, etc
- accorder plus d’attention aux expressions émotionnelles en écoutant verbalisant, câlinant, rassurant, …
- Multiplier les techniques pour aider l’enfant à maitriser ses émotions : chercher et proposer de nouveaux outils de verbalisation et d’écoute des émotions,
Sauf que ces différents comportements ont pour effet de renforcer l’idée que l’émotion est un problème auquel il faut accorder de l’attention. Et elles contribuent donc à augmenter la sensibilité de l’enfant.
Le boucle est bouclée :
Plus on est inquiet de l’hypersensibilité de l’enfant, plus on déploie des tentatives autour des émotions, plus on augmente son hypersensibilité.
Accorder moins d’attention aux émotions peut donc s’avérer très utile …
Comment on fait pour écouter moins ?
Quelques exemples :
Noa, petit garçon de 2 ans 1/2, très triste que sa maman le laisse le matin à la crèche, restait seul dans son coin pendant un long moment. Les professionnelles s’inquiétaient pour lui, tentaient de verbaliser ses émotions, lui proposaient des activités en espérant apaiser sa tristesse, sans succès.
“Noa, tu préfères être triste en restant ici encore pendant un moment ou en venant jouer avec nous ?” a été plus efficace que de chercher à lui faire exprimer sa tristesse pour l’aider à se remettre dans l’activité
Léa, 6 ans, faisait des colères régulières. Sa maman tentait de l’aider à verbaliser ses émotions, lui proposait des tas d’outils. Léa partait en claquant très fort les portes et en criant. Sa maman lui courait littéralement après, inquiète qu’elle mette le couvercle sur ses ressentis et lui proposait autant d’outils pour gérer ses émotions qu’elle pouvait en trouver.
Léa était d’accord pour dire que ses réactions étaient excessives et voulaient les changer. Quand je lui ai demandé “Ce que fait ta mère, ça t’aide ou pas ?”, elle m’a dit “non, pas vraiment. Ca m’énerve encore plus.”
Et quand je lui ai dit “et tu voudrais qu’elle fasse quoi alors ?”, elle m’a répondu tac au tac : “je veux qu’elle me dise que j’ai raison et qu’elle me fiche la paix.”, ce qui signifiait “valider qu’elle avait de bonnes raisons d’être énervée puis ne plus lui parler, la laisser se calmer seule dans sa chambre”.
Ce qui a été d’une efficacité redoutable.
J’avais proposé exactement la même à la maman au 1er rendez-vous, avant de voir Léa. Mais je n’avais pas suffisamment convaincu cette maman que cesser d’écouter pouvait être une bonne chose. (c’est ce qui arrive quand on veut aller trop vite :-D)
Un autre exemple ici avec mon propre fils, où arrêter de l’écouter lui a permis de reprendre confiance en lui (ça n’a pas été suffisant pour dépasser les difficultés, il a fallu d’autres choses mais ça l’a déjà remis sur de bons rails).
Pour Léo, 8 ans, Zoé, 5 ans, et d’autres encore, c’est leur dire avec bienveillance : “écoute, tu vas faire des tas de colère et on n’y pourra rien. Alors vas-y fais la tout de suite comme toi et moi on sera débarrassés” qui a permis d’apaiser la situation.
Je me souviens des parents de Zoé revenir après une seule séance et 15 jours de mise en pratique à la maison en me disant “elle est transformée, c’est incroyable : elle ne fait plus de crises, elle est adorable, posée.” alors qu’ils en étaient rendus à ne plus oser sortir de chez eux par peur de ses colères dévastratrices (tout ne va pas toujours aussi vite évidemment !).
Pour illustrer cette situation, je vous conseille de lire cet article qui détaille la démarche : les limites servent elles à gérer le mauvais comportement d’un enfant ?
Je pourrais multiplier les exemples, en voici quelques autres sur le blog :
- le drame du slip manquant
- la honte chez l’enfant une émotion oubliée
- et bien d’autres dans la rubrique « éducation »
En résumé :
L’écoute est un outil qui renforce la relation entre vous et votre enfant.
Si globalement vous êtes à l’écoute de votre enfant, qu’il peut vous parler de ce qu’il vit sans que vous cherchiez systématiquement à le conseiller ou à lui faire la morale, alors vous faites le job :-).
Dans ce contexte, NE PAS accorder d’attention à certaines de ses émotions est aussi pour lui un apprentissage utile.
On peut ne pas écouter toutes ses émotions tout le temps et ce n’est pas DU TOUT un problème.
Bien au contraire : c’est même une solution. Etre à l’écoute de soi tout le temps fait de la vie un enfer dans ses relations avec soi et avec les autres.
Beaucoup d’émotions passent quand on ne leur accorde pas d’importance. Et si elles passent, ce n’est pas qu’on les a niées mais qu’elles étaient fugitives. Si elles ne reviennent pas vous rapidement, c’est qu’elles sont passées. Point.
Cela permet aussi de réaliser à l’enfant qu’il peut gérer des tas d’émotions par lui-même. Et aussi qu’il est un enfant qui est en train d’apprendre et que donc ne pas gérer toutes ses émotions est tout à fait normal.
Comment savoir si on doit arrêter d’écouter
La difficulté en tant que parent, c’est de savoir quand arrêter d’écouter peut être aidant.
Quelques indices qui peuvent vous permettre de savoir s’il serait intéressant de faire autre chose qu’écouter :
- les émotions intenses de votre enfant continuent de se répéter malgré que vous lui ayiez proposé beaucoup de techniques pour aider votre enfant dans la gestion de ses émotions
- vous vous sentez au bout de vos capacités d’écoute, même si vous y consacrez beaucoup de temps et d’énergie
Si c’est le cas pour vous, il est probablement temps d’expérimenter autre chose que l’écoute.
Vous ressentez le besoin d’être accompagné pour mieux comprendre ce que vit son enfant et l’aider à gérer ses émotions plus efficacement
Je vous reçois soit en présentiel à Aix les Bains ou à Aoste (Nord Isère) ou en visio. La visio est adaptée pour les adultes. Pour les enfants, cela dépend de l’âge et de leur facilité avec les outils de vidéo à distance.
La version vidéo de cet article :
Quelques ressources complémentaires au sujet des limites de l’écoute
2 livres à recommander absolument :
- « Le partage social des émotions » – Bernard Rimé
- « Emotions et psychothérapie » – Pierre Philippot
Si vous voulez recevoir chaque semaine des ressources complémentaires autour de l’éducation et de la psychologie, vous pouvez vous abonner à ma newsletter :
Cet article vous est utile ?
Vous pouvez me le faire savoir en le partageant cet article sur les réseaux sociaux, sur votre propre site ou blog ou par mail à vos amis.
Vous pouvez aussi me faire un don – ponctuel ou récurrent – sur Tipeee, une plateforme de pourboire participatif.
Si vous avez un compte Paypal, vous pouvez aussi me faire un don directement via Paypal par ici.
Ping :Comment désamorcer le conflit avec mon enfant ? - S Comm C, le blog
Ping :Burn out, que faire pour l'éviter et s'en sortir ? - S Comm C, le blog
Ping :La famille normale existe-t-elle ? - S Comm C, le blog