Donner le goût de l’effort aux enfants ?
Apprendre le goût de l’effort aux enfants semble être un leitmotiv qui revient souvent chez les parents et les enseignants.
Il faut qu’il apprenne qu’on ne peut pas faire tout ce qu’on veut dans la vie !
Il faut bien qu’il apprenne qu’on ne peut pas réussir sans travailler.
Et cet objectif justifie un certain nombre de contraintes qu’on impose à l’enfant, y compris par des méthodes parfois un peu rudes sur le mode « TU DOIS faire ce qu’on te dit ». C’est particulièrement vrai autour du domaine scolaire, j’en avais déjà parlé dans les articles « devoirs, bataille du soir, épisode 1 » et « Devoirs, bataille du soir, épisode 2 »
J’entends bien l’intention positive derrière tout cela mais je me pose une question :
Forcer quelqu’un à faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire, est-ce lui donner le goût de l’effort ?
Se forcer à faire quelque chose qu’on n’aime pas faire sans en retirer quelque chose de plaisant au final, ce n’est pas avoir le goût de l’effort pour moi. C’est plutôt apprendre à se faire du mal. Le message qu’on passe en faisant cela est qu’il faut se forcer, se faire du mal volontairement « parce que c’est bien, parce que c’est comme ça qu’on réussit ». Mais si le plaisir est absent au final, qu’aura appris l’enfant ?
Qu’il doit se forcer.
Et que si le plaisir n’arrive pas, c’est qu’il n’a pas essayé assez fort, qu’il ne s’est pas assez forcé.
Cela peut donner des adultes qui se forcent à faire des choses et n’y trouvent pas de plaisir. A qui il manque un moteur dans la vie, une énergie positive et motivante qui va les faire avancer.
Je rencontre régulièrement des adolescents démotivés qui ont ce type de problématique. Ils ont appris qu’ils doivent faire des efforts mais ils n’ont jamais appris que le plaisir est la récompense des efforts. Ils sont perdus dans leur orientation scolaire, décrochent parfois. Simplement parce qu’ils ont appris à travailler sans but, sans projet, sans rêve. Leur vie n’a pas de sens. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils disent.
Je rencontre aussi des adultes déprimés. Là aussi, leur vie n’a pas de sens à eux non plus, ils travaillent, s’occupent de leur maison, de leur famille. Ils font des efforts, beaucoup, car ils pensent que c’est « ce qu’il faut faire » mais s’oublient dans la démarche. Quel plaisir cela leur apporte à eux ? Aucun. Et ils se désolent de cette vie peu satisfaisante.
Pour les jeunes comme pour les plus adultes, je constate que retrouver du plaisir et de la motivation change tout …
Et pourtant …. pourtant le goût de l’effort est inné …
Le goût de l’effort est inné. La preuve ?
Lorsque votre enfant a appris à marcher, il l’a rarement fait du premier coup et il ne s’est pas mis à courir d’emblée. Il s’est mis debout progressivement, il s’est lâché, il est tombé. Il a parfois pleuré. Mais il a persévéré. Et pourtant (sauf problème spécifique), il n’a eu besoin de personne pour le forcer à le faire, personne pour le forcer à faire des exercices de marche.
Lorsque votre enfant a appris à parler, il a mis des années pour le faire. Il a émis des sons, il a affiné son élocution, il a appris des mots, des structures grammaticales, … Il s’est trompé, a eu du mal à se faire comprendre. Il en a pleuré et hurlé de frustration plus d’une fois croyez-moi. Et pourtant il a fini par parler comme vous et moi. Et pourtant (sauf problème spécifique), il n’a eu besoin de personne derrière son dos pour le forcer à faire des exercices de diction et à apprendre ses mots par coeur.
Lorsque quelque chose nous plait vraiment, nous sommes assez facilement prêts à passer des heures à faire des choses très contraignantes pour y arriver.
Je peux par exemple aller courir plusieurs fois par semaine – alors que je trouve ça carrément chiant, disons-le franchement – pour avoir une bonne condition physique pour mon sport collectif.
Si j’ai envie de monter au sommet de l’Everest, je serai capable de m’imposer les sacrifices financiers et physiques – régime, entrainement physique, … – qui s’imposent pour le faire alors que j’aurais eu du mal à le faire sans cet objectif final.
Je peux, autre exemple, me forcer à faire le ménage alors que je trouve ça sans intérêt simplement pour le plaisir d’avoir une maison propre et rangée à la fin.
Redonner du sens à ce que font nos enfants leur donnera plus efficacement le goût de l’effort que n’importe quelle contrainte.
Nous n’avons alors qu’à être un soutien dans les moments de découragements qui ne manqueront pas d’arriver, non pour les forcer à faire ce qu’ils « doivent » faire mais pour leur rappeler le plaisir qu’ils ont quand ils réussissent cette activité qui leur tient à coeur.
Avec les plus petits qui ont du mal à se projeter bien plus loin que quelques heures ou quelques jours, cela passe surtout par redonner du plaisir dans l’activité en elle-même : le travail scolaire pourrait être une activité plaisante en soi, ludique et amusante pour les plus jeunes, le temps qu’ils arrivent à se projeter plus loin. Ils auraient alors du plaisir à simplement faire, ils apprendraient par le jeu, presque sans s’en rendre compte, comme ils ont appris à marcher et à parler. Une continuité.
Quand les enfants arrivent à l’âge du primaire à peu près (parfois même avant), le travail scolaire deviendrait un projet qui fait du sens. Pour monter une pièce de théâtre, organiser un évènement ou simplement cuisiner, il faut savoir lire, compter, faire de la géométrie, … On peut même y intégrer des notions d’histoire et de géographie et des tas d’autres choses. Et plus il grandissent, plus ils seront motivés par ce travail en projet.
Je ne crois donc pas qu’on apprenne le goût de l’effort à nos enfants en les forçant et en les contraignant.
On ne leur apprend que le dégoût et la contrainte me semble-t-il.
Il me semble essentiel de redonner du sens à ce qu’ils font, de leur apprendre à aimer leur vie et à la construire pour qu’elle leur donne des satisfactions. Sans cela, ils n’auront pas de moteur pour avancer … Sir Ken Robinson en parle bien mieux que moi, j’en avais déjà parlé ici : Se connaitre, ça prend du temps.
Vous connaissez cette histoire assez classique des 3 maçons : au premier on dit d’empiler des briques ; au 2e on dit de construire un mur ; au 3e on demande de participer à la construction d’une cathédrale. A votre avis, qui sera le plus motivé et le plus prêt à faire des efforts pour arriver au bout de son travail malgré les contraintes et les difficultés inévitables ?
Je me souviens aussi de l’anecdote d’un enfant qui avait beaucoup de mal avec les mathématiques et qui détestait ça. Son rêve était de devenir dessinateur de BD. Jusqu’au jour où son père lui a dit que, s’il devenait un dessinateur de BD célèbre, il allait gagner beaucoup d’argent et aurait besoin de savoir le gérer, donc de savoir compter. L’enfant s’est mis aux maths avec enthousiasme (et est devenu dessinateur de BD …).
C’est tout de même plus passionnant de construire une cathédrale que d’empiler des briques non ?
Et je crois que nous rendrions plus service à nos enfants en les aidant à découvrir leur cathédrale à eux qu’en les forçant à faire des choses désagréables.
Quelques livres pour aller plus loin (les liens ci-dessous sont sponsorisés, si vous ne les voyez pas, c’est que votre navigateur les considère comme de la publicité et les bloque) :
D’où la nocivité de tous les systèmes d’évaluation à l’école (notes et autres smiley…), qui sont de véritables machines à détruire la motivation, à tuer le sens et le plaisir de l’apprentissage, pour les bons comme pour les mauvais !
Un sujet très épineux…
Il me semble que partir des aspirations de l’enfant pour les autres apprentissage, outre ce qu’on peut trouver dans les pédagogies alternatives, se nomme « pédagogie de projet » au sein de l’Éducation Nationale :
http://mercimontessori.blogspot.fr/2014/10/une-cabane-pour-tous-les-enfants.html