Je n’aime pas mes enfants.
« Je n’aime pas mes enfants » : voilà bien une phrase que vous n’entendrez jamais (ou très très rarement). Même dans mon cabinet rares sont les parents à oser formuler leurs difficultés de cette façon. « C’est un peu compliqué« , « ils sont difficile mais il y a quand même des bons moments » : face à une relation difficile avec leurs enfants, les parents noient leur honte dans des euphémismes ou des périphrases.
Oui, il y a de la honte à ne pas aimer ses enfants
Nous sommes, comme le mentionnait quelqu’un sur ma page Facebook, nous sommes dans une culture de l’amour obligé pour ses enfants. Surtout pour les mères. Il est mieux toléré pour les hommes d’avouer que passer du temps avec ses enfants n’est pas très réjouissant. Le père va pouvoir éviter plus facilement (en allant travailler, en consacrant du temps à un hobby, etc) sans devoir se justifier. Pour la mère, c’est plus compliqué : préférer son job à du temps avec ses enfants, choisir le centre de loisirs pendant ses congés, c’est s’exposer à la vindicte populaire.
Oser dire qu’on comprend les mécanismes de la violence (parentale ou maternelle) aussi. Je l’ai vécu avec des commentaires assez violents suite à cet article « une mère digne de ce nom ne ferait jamais ça« .
Bref, le cliché de l’amour maternel inconditionnel et spontané est toujours bien présent dans nos têtes. Une mère qui n’aime pas follement ses enfants est forcément suspecte, étrange, anormale.
De là vient la honte des parents qui n’aiment pas leurs enfants. La honte, c’est ce qu’on ressent quand on ne se sent pas à la hauteur des standards du groupe, quand on a peur d’être exclu (pour en savoir plus sur la honte, c’est par là.)
La honte nous conduit en effet à cacher nos difficultés : nous n’en parlons pas, nous restons seul-e-s avec notre problème en tentant de nous conformer à l’image du parent idéal. Cela nous prive d’aide et de ressources utiles.
Je n’aime pas mes enfants : franchement, c’est compréhensible !
Mais franchement, honnêtement, quand on y réfléchit bien, les enfants, c’est carrément insupportable. Il n’y a aucune raison rationnelle à aimer et apprécier la présence des enfants. Pour quelques heures passe encore. Mais quotidiennement, chaque jour dans une vie déjà bien remplie avant leur arrivée, jamais de la vie.
Comme le dit Alice Munro, « l’amour ne contribue au bonheur d’aucune façon fiable. » C’est particulièrement vrai avec nos enfants.
Et c’est bien dommage que peu de parents osent dire haut et fort qu’avoir des enfants, ça n’est ni facile ni plaisant au quotidien.
Un part de désamour au quotidien est donc tout à fait compréhensible. Elle est le signe que nous avons besoin de souffler tout simplement, de rééquilibrer notre vie.
Les problèmes commencent quand le sentiment de désamour s’est durablement installé et qu’il devient prégnant : on vit plus de moments désagréables avec ses enfants que de moments sympathiques et on en souffre.
Oui, mais comment on fait pour vivre avec le désamour ET les enfants ?
« Oui mais comment on fait pour vivre avec le désamour ET les enfants ? » Voilà l’excellente question posée par une de mes lectrices :-). En cas de désamour dans un couple, on peut se séparer. En revanche, divorcer de ses enfants, ça ne se fait pas.
Et puis vivre avec le désamour pour ses enfants, c’est difficile (toute pression sociétale mise à part). Nous sommes intrinsèquement programmés pour avoir de l’empathie pour les autres humains et pour nos proches en particulier. Ne plus ressentir d’amour pour ses proches générera quasi inévitablement de la souffrance.
Je vais me débarrasser tout de suite du sujet de l’amour : je ne sais pas ce qu’est l’amour. Vraiment pas. Et même si je savais ce que c’était, je n’ai aucun moyen de réparer l’amour ou de le susciter. Je ne suis pas une ensorceleuse et je ne fabrique pas de filtres d’amour.
Je vais donc plutôt vous parler de ce que je connais le mieux : les relations et les émotions.
Susciter l’amour, c’est impossible. Réparer une relation, ça se fait plutôt bien.
On peut parfaitement construire une relation fonctionnelle avec une personne qu’on n’aime pas. Il se peut même qu’on finisse par se découvrir des sentiments pour cette personne avec le temps.
Je ne sais pas si les parents qui viennent me consulter aiment leurs enfants. Ce que je sais, c’est que leur amour est parfois bien caché derrière une relation dégradée et des tas d’émotions désagréables associées : la honte, la colère, la tristesse, la culpabilité.
La dégradation de la relation peut être liée à beaucoup de facteurs :
- le caractère de l’enfant : oui avec certains c’est plus facile qu’avec d’autres, j’en avais parlé dans cet article
- le contexte dans lequel nous évoluons : avons-nous du soutien ? pouvons-nous parler facilement de nos difficultés ? rencontrons-nous des difficultés autres que celles avec nos enfants ? comment est notre vie en-dehors des difficultés avec les enfants (travail, couple, relations sociales, etc) ?
- notre état psychologique
Je n’aime pas mes enfants … ou bien je suis juste en plein épuisement parental ?
Sur ce dernier point, beaucoup de parents en « désamour » sont en réalité en plein burn-out. Beaucoup de mères vivent avec les conséquences d’une dépression post partum non diagnostiquée et non prise en charge … ou avec un trouble chez l’enfant non pris en charge.
En France, nous sommes dans un dogme « éducatif » : un enfant qui se comporte mal est forcément un enfant « mal éduqué », dont les parents ont commis « une faute ». Pas étonnant que les parents aient honte !!! Pourtant bon nombre de comportements difficiles peuvent aussi avoir leur source dans des troubles inhérents à l’enfant, sans que le parent y soit pour grand chose. Une aide appropriée pour l’enfant (et éventuellement un diagnostic) peuvent être très utiles. Les parents ne peuvent pas tout faire seuls.
La distanciation émotionnelle – le fait de traiter les gens comme des objets, sans affect – est un signe d’épuisement émotionnel.
Le désamour est une conséquence des difficultés rencontrées avec nos enfants, non leur cause (remarquez bien qu’on peut observer la même chose dans le couple).
En effet, quand la relation avec l’enfant est difficile, cela génère des émotions désagréables (honte, colère, tristesse, etc). Notre sentiment d’efficacité personnelle de parent est réduit à zéro.
Notre cerveau cherche à nous protéger de ce constat désagréable : il nous incite à éviter les situations difficiles. Nous nous mettons à déployer des trésors d’inventivité pour éviter la colère du petit dernier, nous faisons des efforts démesurés pour nous montrer conciliant avec l’ado. Mais malgré tout ça – et parce que les enfants sont des enfants – les situations difficiles se répètent encore et encore. Les relations avec les enfants deviennent de plus en plus difficiles, douloureuses même. L’emballement émotionnel (et le burn-out) sont en route.
En manque de ressources émotionnelles, il nous devient de plus en plus difficile d’évaluer objectivement la situation, de voir ce qui va bien. Des situations habituelles avec des enfants deviennent insurmontables, nous sur-interprétons tout comme étant problématique (c’est l’effet de l’envahissement émotionnel).
Ne plus aimer ses enfants, c’est définitif ?
Notre cerveau aime donner du sens : « je n’aime pas mes enfants » (ou « mes enfants sont « mauvais« ) devient une explication rationnelle à cette situation de souffrance. Rationaliser permet de souffrir un (tout petit) peu moins …
Quand nous en arrivons là, nous avons besoin d’abord de RESPIRER !!!
- passer de temps en temps des vacances, des week-ends, des soirées en solo (ou en couple), loin des enfants !!!
- trouver des solutions pour que les enfants soient pris en charge par d’autres personnes régulièrement (activités extra-scolaires, centres de loisirs, etc)
- de nous occuper de nous : trouver des activités qui ont du sens pour nous, qui nous apportent du plaisir
- de trouver du soutien très proche (conjoint, ami-e ou famille pour les parents solo) qui pourra aider AU QUOTIDIEN
Attention : si vous êtes à un stade avancé de burn-out, ces solutions NE VOUS SONT PLUS ACCESSIBLES. Vous n’êtes plus en capacité (temporairement) de les voir et de le mettre en place (promis, je vous fais un article complet sur le burn-out très bientôt).
Evidemment ces respirations ne suffiront pas forcément : respirer pour replonger en apnée est jouable si les moments difficiles ne sont pas trop fréquents ou trop intenses. Dans le cas contraire, vous aurez besoin de changer concrètement vos réactions face à certaines situations.
Et pour cela, vous aurez besoin de PARLER de vos difficultés. A votre entourage s’il est réceptif, dans des associations comme Maman Blues, à des professionnels aussi.
Rester dans votre isolement et tenter des choses glânées dans des livres ou des articles sans un soutien extérieur risque fort de renforcer le problème : si ça ne marche pas, cela ne fera que renforcer votre sentiment d’inefficacité : vos enfants n’en paraitront que plus ingérables, vous vous trouverez encore plus nul-le. Vous allez droit à l’effondrement à +/- court terme.
En 1 mot comme en 1000 : faites-vous aider ! Vous ne vous en sortirez pas seul.
Pour aller plus loin au sujet de la colère et des émotions
Pour aller plus loin, je vous propose de suivre gratuitement ma mini-formation sur la violence et le colère. Elle vous donnera des clés pour reprendre le contrôle de votre colère 😉.
Chaque semaine, vous pouvez aussi recevoir ma newsletter, avec des ressources complémentaires gratuites.
Pour vous aider, voici notre programme « stop aux colères – j’arrête de m’énerver »
La bienveillance résiste souvent mal à l’usure du quotidien. On a tous les outils dans notre besace mais le moment venu, ce qui nous vient, ce n’est pas ce qu’on voudrait (enfin si, des fois quand même !!!).
Mon constat de thérapeute et d’accompagnante parentale : nous connaissons très mal notre colère … ce qui nous amène à essayer de la réguler de manière peu efficace (je me mets dans le sac car ça a aussi été un travail de connaissance pour moi).
C’est pour vous permettre de mieux connaitre votre colère pour enfin retrouver un peu de sérénité que j’ai conçu ce programme.
Garanti 0% culpabilité et 0% « il suffit de lâcher prise » ! A découvrir ici :
Vous pouvez aussi vous aider de mon Guide des Emotions : un guide en version numérique à télécharger avec des clés de compréhension du processus émotionnel et 8 émotions de base décryptées (le contexte déclencheur, le message et des questions et exercices pour vous aider à y voir plus clair).
Je n’aime pas mes enfants : des ressources complémentaires
L’atelier « Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour qu’ils parlent » en ligne peut aussi vous aider : il vous permettra d’échanger avec d’autres parents, de vous rendre compte que c’est difficile aussi chez les autres … mais aussi de trouver des astuces pour vous faciliter la vie. Plus d’infos par ici :
Sur ce blog :
- une mère digne de ce nom ne ferait jamais ça
- La honte, compagne encombrante
- faire plier les enfants rebelles
- Comment aider mon enfant quand mon empathie à son égard est feinte ou limitée ?
- J’en arrive à taper régulièrement mon enfant. Que faire ?
- Et tous les autres articles de la rubrique « Dans la vraie vie avec les enfants »
Quelques livres :
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Superbe article déculpabilisant et très utile pour aller de l’avant. Merci pour le message qui aide à retirer nos oeillères !
Merci pour ce bel article et ces mots vrais. Il est difficile de parler de ce sujet tant il touche à beaucoup de points sensibles.
Mais difficile ne veut pas dire que nous ne devons pas en parler … sans attaquer, sans juger … ET c’est ce que je retrouve dans votre article. Joliment posé. Positif et surtout qui met en avant qu’un état de ressentis lourd peut évoluer en étant accompagné et écouté. Belle journée à vous.
Article très intéressant, à lire quand il est encore temps 🙂
Merci !
A lire en complément, certains passages de « Il n’y a pas de parents parfaits » d’Isabelle FILLIOZAT où elle parle de ces parents qui ne savent pas aimer…
Touché.
Il y a, aussi, le désamour conscient et volontaire, assumé (ou presque) pour s’éloigner de la source de chagrin et se protéger soi-même, tout simplement.
Quand le corps se met en alarme, se mettre hors de portée émotionnelle et passer en mode « automatique ». La mise à distance provoque une sorte de froide indifférence, une lucidité sereine : aimer encore, mais sans amour et sans émotion donc sans véritable souffrance.
En société, le procédé choque et c’est normal. Mais cela ne veut pas dire que la situation est sans espoir! 😉
Bonjour,
cet article me semblait plein de potentiel mais très orienté vers les mamans.
Je suis un papa (ou du moins j’essaie) qui n’aime plus ses enfants.
Je ne les supporte plus et je pensais trouver des réponses en lisant l’article mais j’en suis au même point …
je ne sais plus quoi faire donc je vais simplement continuer à assumer et vivement qu’ils soient indépendants !
Si la solution à votre problème était aussi simple qu’elle résidait dans un seul article de blog, vous auriez résolu votre problème depuis bien longtemps :-).
Avez-vous répondu aux questions posées dans cet article sur la charge globale que vous avez à gérer, le soutien que vous recevez de votre entourage (famille, couple, amis) dans votre rôle de père ? Et surtout avez-vous identifié concrètement les difficultés rencontrées dans la relation avec vos enfants ?
Si vous essayez d’aimer vos enfants, il est probable que vous ne trouverez jamais comment faire. Si vous essayez de changer certains aspects de la relation, vous aurez plus de chances d’aller vers une situation plus satisfaisante.
PS : ça m’intéresse que vous me disiez en quoi cet article est très orienté vers les mamans ?
Les miens sont indépendants, et si les deux ainés étaient insupportables quand ils vivaient à la maison, maintenant qu’ils sont en couple c’est pire!! je ne peux pas dire que je ne les aime pas car ce n’est pas le cas, ils sont la chair de ma chair… mais je préfère qu’ils ne nous fassent pas de visites car à chaque fois ils ne perdent jamais l’occasion de me blesser,ou d’entrer en conflit même…chez moi!! leur problème c’est moi, moi qui les ait élevé seule car le père était absent et quand il était là, il ne tenait pas compte de ses enfants…et ils ne me loupent jamais! je suis vraiment dégoutée, je ne veux pas qu’ils viennent, ni pour une visite ni pour noël…pour rien!! d’ailleurs, sachant qu’ils vont bien, cela me suffit…a 68 ans, j’en suis encore a avoir des sursauts à cause d’eux alors que je pourrais vivre ma retraite tranquillement.Je suis épuisée et ça me fiche ma santé en l’air…je ne veux plus les voir.
Comme je vous comprends…
J’ai lu l’article et je me suis retrouvée dans les situations décrites … J’ai dû placer mon fils en famille d’accueil afin de pouvoir me reprendre car j’avais perdu le fil. J’ai accepté de l’aide. Je suis contente de me retrouver et de retrouver des forces petit à petit. Ça n’est pas du tout facile. C’est même très difficile car la culpabilité est là. Aujourd’hui, je n’ai plus d’amour pour mon fils mais j’espère avec ce que j’ai lu construire une nouvelle relation avec lui. Merci en tout cas pour votre article.
oui parfois, on n’a pas d’autre choix et ça peut être très dur à vivre en effet. Mais il est possible de reconstruire une lien même après des évènements difficiles (à condition que les 2 parties soient d’accord pour le faire év!demment).