Comment aider ma fille face à une situation de harcèlement ?

Pour commencer, un rappel du principe du SOS S Comm C : vous m’envoyez des questions par mail à l’adresse sandrine@scommc.fr en précisant bien « QUESTION POUR LE SOS« . Je choisis une question ou un thème et je le traite dans une vidéo de 15 à 30 minutes diffusée en direct sur la page Facebook de S Comm C (puis disponible en replay).

La question de la semaine : Comment aider ma fille face à une situation de harcèlement ?

Voici la question telle qu’elle m’a été envoyée :

Ma fille a des soucis à l’école : des garçons s’en prennent à elle. Ils se moquent d’elle, ils lui tournent autour en lui disant qu’elle est bête, ils font passer des mots en disant qu’elle est idiote etc.  Elle essaie de les ignorer mais ils insistent et étendent leur influence que d’autres enfants. Sa seule copine qui est amie avec ces garçons prend parfois leur parti à eux et c’est encore plus dur pour elle. 

Elle a 8 ans. Elle nous a appris il y a quelques temps que ces deux garçons avaient monté une tombola et qu’ils avaient soutiré de l’argent à d’autres enfants. On a alors prévenu la maîtresse et depuis ça a empiré. Rajoute à ça le fait qu’elle a sauté une classe et qu’elle est encore la première de sa classe…

On en est pas encore au stade du harcèlement. Mais je ne sais pas comment l’aider. J’ai vu les vidéos d’Emmanuelle Piquet et je pense aussi qu’il vaut mieux que je ne fasse pas intervenir d’adultes. Mais entre la théorie et la pratique… je ne sais pas comment armer ma fille… 

J’ai acheté le livre « Je me défends du harcèlement » ce week-end et on a commencé a le lire ensemble. Mais ça semble avoir exacerbé ses peurs : je ne peux pas je n’en suis pas capable 🤦🏻‍♀️ Et vu qu’elle s’écoute beaucoup… c’est pas gagné 😅. J’avoue que ça m’a agacé. La répartie elle l’a. Elle est piquante quand elle veut. Et j’ai l’impression que même si ce qu’elle vit n’est pas drôle, elle dramatise ça au fur et à mesure que le week-end passe… alors oui je me suis énervée ce matin.

Comment faire pour aider ma fille face à cette situation de harcèlement ?

Comment aider ma fille face à une situation de harcèlement ? : ma réponse en vidéo

Pour celles et ceux qui préfèrent l’écrit, voici quelques éléments que je développe dans la vidéo :

Des éléments complémentaires sur le harcèlement et les émotions

La définition du harcèlement

« On n’en est pas encore au stade du harcèlement » me dit la maman dans son email. La situation y ressemble quand même furieusement ! Voici un extrait du site de l’Education Nationale au sujet du harcèlement :

Le site parle de 3 facteurs constitutifs d’une situation de harcèlement :

  • La violence : c’est un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes.
  • La répétitivité : il s’agit d’agressions qui se répètent régulièrement durant une longue période.

Donc là on y est : ces 2 critères sont réunis. Et en entreprise, ces 2 critères suffisent à caractériser une situation de harcèlement. Je rappelle que l’entreprise a une OBLIGATION DE RESULTATS pour préserver ses salariés du harcèlement. La même chose devrait être appliquée avec nos enfants à l’école !

Le 3 facteur cité sur le site, c’est : l’isolement de la victime. Je cite « la victime est souvent isolée, plus petite, faible physiquement, et dans l’incapacité de se défendre. ». Là je suis très dubitative : l’isolement n’est pas un facteur permettant d’identifier une situation de harcèlement. C’est une conséquence et non un élément constitutif : l’enfant harcelé s’isole ou se retrouve isolé car les témoins ont généralement peur d’être eux-mêmes pris pour cible (tout en ayant honte de ne pas défendre l’autre).

Note : Cette discordance entre la peur et la honte chez les témoins s’appelle une situation de dissonance cognitive (autrement dit un conflit intérieur). Dans ce type de situation, les témoins aussi souffrent et peuvent avoir du mal à savoir comment réagir.

Pour plus d’infos au sujet de la dissonance cognitive, les 2 épisodes 14 et 15 du podcast « 15 mn de persuasion » vous seront utiles (le podcast parle de techniques de vente mais l’autrice – Alexe Martel – y explique très bien le phénomène de la dissonance cognitive)

Continuons la lecture du site de l’Education Nationale : je cite toujours :

Le harcèlement se fonde sur le rejet de la différence et sur la stigmatisation de certaines caractéristiques, telles que : l’apparence physique (poids, taille, couleur ou type de cheveux), le sexe, l’identité de genre (garçon jugé trop efféminé, fille jugée trop masculine, sexisme), orientation sexuelle ou supposée, un handicap (physique, psychique ou mental), un trouble de la communication qui affecte la parole (bégaiement/bredouillement), l’appartenance à un groupe social ou culturel particulier, des centres d’intérêts différents.

Je suis aussi très sceptique sur ce point : les différences physiques constituent des » points d’accroche », des « aspérités » sur lesquelles le harcèlement va se fonder. Le harcèlement peut se produire même s’il n’y a aucune différente notable. C’est important d’avoir conscience de cela car le discours de l’Education Nationale sur le sujet tend à laisser penser aux enfants qu’en étant « dans la moyenne » ils pourraient éviter tout risque de harcèlement. Les enfants vont alors avoir tendance à essayer de « se fondre dans la masse », à « passer inaperçu ». Or le harcèlement est un rapport de domination, un rapport de pouvoir. La singularité en est le déclencheur, pas la cause. Les harceleurs trouveront toujours une singularité, même minime, sur laquelle baser leur pouvoir (on a tous une différence).

Comprendre les effets du harcèlement

Au départ, il y a moquerie, blague ou autre comportement du style. La victime répond d’une manière qui pourrait être adaptée : ignore, leur dit d’arrêter, s’énerve. Mais les harceleurs ne cessent pas. La situation se répète. Et la victime se retrouve prise dans le fameux rapport de domination : elle subit des comportements sur lesquels elle n’a aucun contrôle (elle ne peut pas prévoir quand ça va se produire et n’a pas de moyens de faire cesser les comportements).

Se développe alors logiquement de l’anxiété voire de l’angoisse : imaginez-vous vivre tous les jours avec ce genre d’épée de Damoclès sur la tête. Cet envahissement émotionnel rend l’enfant moins capable de prioriser et de hiérarchiser les comportements subis (il perd la capacité de discerner ce qui est du inacceptable de ce qui est supportable – la connerie ordinaire oserai-je dire). Il perd du discernement sur les stratégies possibles face à cette situation.

Ce manque de discernement n’est PAS un préalable au harcèlement, c’est une conséquence ! Je le précise car beaucoup de discours vont dans le sens de « la victime doit s’endurcir », « elle est trop sensible », inversant ainsi la cause et la conséquence. D’ailleurs, dans l’immense majorité des cas, quand le harcèlement disparaît, la victime est tout à fait capable de mener un vie « dans la norme » sans difficultés particulières.

Les conseils – de bonne volonté – sont donnés aux victimes peuvent ajouter de la honte à l’angoisse. En effet, l’enfant (surtout à cet âge-là : 8-9 ans) croit que les conseils des adultes sont LA solution. Il va tenter de les appliquer. S’il n’y parvient pas, il ne va pas se dire que le conseil était inapproprié. Il va se trouve nul de n’avoir pas réussi = il a honte et il perd confiance. Précisément un des ressorts sur lesquel s’appuie le harcèlement. Donc gare aux conseils … mais j’y reviens par la suite.

Comment les adultes peuvent-ils intervenir ?

L’intervention des adultes, selon la manière dont elle faite, peut aggraver les choses. C’est visiblement ce qui s’est passé ici. Voici pourquoi c’est logique : comme je l’ai dit le harcèlement est un rapport de domination : les harceleurs dominent la victime, exercent sur elle un pouvoir. S’ils peuvent inclure d’autres personnes – et notamment des adultes – dans leur rapport de pouvoir, cela va renforcer leurs comportements harcelant.

C’est pour cela que des approches du type moralisante simpliste « c’est pas bien ce que vous faites », avec de simples reproches ou même avec des punitions légères ne fonctionnent pas. Non seulement les agresseurs ont du pouvoir sur la victime et sur les témoins mais ils en ont aussi sur les adultes qui les sermonnent. Aucune raison d’arrêter donc et même beaucoup de raisons de continuer : le pouvoir sur les adultes et « faire payer » la victime pour la « dénonciation ».

Je précise ici que confronter la victime et ses agresseurs comme je le vois encore trop souvent dans les situations de harcèlement est une énorme erreur. Seule une totale incompréhension des mécanismes du harcèlement peut mener à ce genre de choses. Je vous mets en lien en fin de cet article des liens vers des articles précédents où je détaille le sujet.

L’intervention des adultes (enseignants, institution et parents) est essentielle pour que l’enfant victime se sente soutenu et aidé. Mais elle doit être bien réfléchie et pensée pour ne pas aggraver le problème. Je reviendrai ensuit en détail sur ce qui peut être fait en direction de la victime (puisque c’est sa maman qui me pose la question) mais je donne quelques indications sur ce que peut faire l’institution :

  • Agir en direction de la victime pour l’aider à retrouver de l’espoir et du courage (cf les conseils que je donne à la maman car cette approche peut être pratiquée par les enseignants ou les encadrants à l’école)
  • Agir en direction des témoins et du groupe en général : sensibiliser au sujet du harcèlement, expliquer les mécanismes et expliquer pourquoion est paralysé en tant que témoin et comment on peut agir quand on est témoin. En prévention c’est hyper efficace et ça permet de mettre fin à des situations qui auraient pu dégénérer grâce aux pairs
  • Agir entre adultes : s’il n’y a pas de bienveillance entre adultes, il n’y en aura pas entre enfants. Si des comportements type harcèlement ou moqueries, etc sont tolérés par les adultes – et même pratiqués par eux -, s’il n’y a pas de réflexion sur les rapports de domination chez les adultes, s’il n’y a pas d’exemplarité systématique, on a un terrain favorable au harcèlement dans l’institution.
  • Agir en direction des auteurs : c’est assez délicat. Il ne faut surtout pas leur faire la morale, ça les fait juste doucement rigoler. Je donne quelques pistes juste après.

Dans le cas de la question du jour, ce ne sont pas encore des ados (même si ce sont visiblement des « petits cons »). Une intervention musclée pour leur signifier ce qu’ils risquent (une convocation à la gendarmerie par exemple) pourrait être efficace. Une autre approche me parle beaucoup : c’est celle de Marie Quartier et Jean Pierre Bellon. Je la pratique avec mes propres enfants face à des « bêtises » qu’ils pourraient faire et même en accompagnement face à des adultes qui pourraient être dans une forme de déni (notamment face à des situations d’usage de substances : alcool, herbe, addictions diverses). Il s’agit ici de poser les faits, rien que les faits, le plus froidement possible, en s’abstenant le plus possible de juger, moraliser ou sermonner :

donc ce que tu me dis c’est que Léa pleurait et t’a demandé d’arrêter mais que tu as continué à te moquer, c’est bien ça ?

Tu peux me répéter ce qui s’est passé exactement s’il te plait ?

L’énoncé froid des faits, sans émotion de la part de l’adulte, met l’enfant face à ses responsabilités bien plus surement que n’importe quelle autre attitude. Il ne peut plus se draper dans l’injustice ou l’incompréhension pour cacher sa culpabilité.

Très rapidement arrivent les « mais c’était pour rigoler », « c’était de l’humour » ou « je ne me suis pas rendu compte« . Ce sont là encore des tentatives de minimiser sa culpabilité. La tentation serait grande de dire « non mais tu te fous de ma gueule ??? » (pardon ça m’a échappé). Mais là encore rester froid est bien plus efficace :

Ah, ce que tu es en train de me dire c’est que continuer à se moquer de quelqu’un qui pleure, c’est de l’humour pour toi, c’est bien ça ?

On peut aussi ensuite lui parler de la qualification judiciaire des faits, là encore sans émotions (dois-je rappeler que la justice n’a rien à voir avec des émotions ou de la vengeance ?).

Ce que tu as fait, ça s’appelle du harcèlement / de l’escroquerie / etc. Si la victime porte plainte, voilà ce que tu risques : …

La difficulté est de tenir la ligne NON MORALISANTE : les faits, juste les faits et la reformulation et ne surtout pas tomber dans le piège d’argument. Si on y parvient, c’est d’une efficacité redoutable : l’auteur ne peut plus se cacher derrière de fausses excuses.

Pour finir : Comment aider ma fille face à une situation de harcèlement ?

Pour commencer, il s’agit de désamorcer le plus possible la bombe émotionnelle qui diminue les capacités de la victime à réagir. Pour que nos conseils soient utiles à l’enfant, 2 choses essentielles doivent être dites :

  1. on n’est pas sur que nos conseils vont marcher ! Présenter nos conseils comme une expérience à tenter tout en disant bien que c’est une PROPOSITION. Sinon on crée une déception immense si ça ne marche pas et on ajoute aussi du découragement (en plus de la honte si l’enfant ne parvient pas à les appliquer) … Dire qu’on ne sait pas si ça va marcher, ça permet aussi d’introduire un changement de posture chez la victime : elle ne subit plus, elle explore. C’est hyper important car la victime passe de « oh non pitié pourvu que ça n’arrive plus » à « voyons voir ce qui se produit ».
  2. il faut BEAUCOUP de courage pour mettre les conseils en application : quand je reçois des enfants pour ce genre de choses, je leur dis souvent « moi je suis tranquille dans mon fauteuil ici, alors c’est facile pour moi de dire « fais comme ci ou fais comme ça ». mais c’est vraiment à toi de décider si tu te sens de le faire ou pas. Et si tu ne te sens pas, on cherchera comment activer le levier du courage d’une autre manière »

Il s’agit ici de diminuer la honte : c’est normal d’avoir peur, c’est normal de ne pas savoir quoi faire. Et c’est normal aussi de ne pas savoir quoi faire !

Pour aider au changement, il est bon de noter que la peur, la honte, la déception sont des souvent des freins alors que la colère, le sentiment d’injustice sont des leviers qui vont aider l’enfant à se mobiliser.

D’ailleurs reconnaitre explicitement que les agresseurs sont des GROS CONS, ça aide énormément les victimes. Même adultes, et même des années après, les gens que je reçois se sentent intensément soulagés quand je leur dis ça : enfin, ils entendent qu’ils n’y sont pour rien, que ce n’est pas de leur faute, ils n’ont pas à chercher une « erreur » de leur part ou une différence ou n’importe quoi d’autre qui « expliquerait » ce qui leur est arrivé. C’est juste la faute à pas de chance. Et ça aide énormément.

Revenons à notre situation : une fois les préalables posés (cf ci-dessus), l’idée est de trouver ce qui va permettre de renverser la situation. J’ai conseillé à Caroline et à Léa de lire le livre « je me défends du harcèlement » d’Emmanuelle Piquet, qui est hyper bien fait à ce sujet. Il permet à la fois de comprendre les mécanismes, d’identifier comment on peut réagir et de s’exercer sur des situations réelles. Attention : ne pas forcer l’enfant à le lire si l’enfant ne se sent pas de le faire.

Le préalable c’est vraiment ce travail sur les émotions. Si on ne le fait pas, l’enfant va freiner des 4 fers : il sent bien qu’un conseil supplémentaire pourrait lui faire encore plus mal. Il s’agit donc de responsabiliser au maximum l’enfant : « c’est toi qui décide comment et quand tu veux agir » tout en étant soutenant émotionnellement et en normalisant le fait qu’il/elle peut avoir peur de réagir, préfère faire profil bas pour le moment, etc.

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