Sans fessée ni punition, oui … mais comment ?

journeesansfessee600pxDans la cadre de La Journée Mondiale de la Non Violence Educative qui a eu lieu le 30 avril 2014, Delphine de Symbioza et moi avions organisé à Lyon une rencontre sur le thème :

sans punition, ni fessée, oui, mais comment ?

Cet article est un compte-rendu des sujets abordés lors de cette rencontre et des pistes de réflexion qui ont été évoquées. Je l’ai rédigé en reprenant le fil des discussions sur Twitter avec le hasthag #JNVE.

Cet article n’a pas été simple à rédiger car nous avons dit beaucoup de choses durant cette matinée. La structure n’est pas facile à suivre mais j’espère qu’il vous aidera malgré tout !

Si vous pouviez éduquer votre enfant sans taper ni punir, vous continueriez à taper et à punir ? #JNVE

Cette question pragmatique me semble primordiale si on veut sortir de la violence éducative ordinaire ET de la culpabilisation des parents.

Aucun parent – du moins je n’en ai pas encore rencontré – ne fait usage de la violence à l’égard de ses enfants volontairement pour leur faire mal.

L’intention des parents est presque toujours positive à l’égard de l’enfant : le parent ne veut pas faire souffrir son enfant, il veut lui donner une éducation qui lui permette de s’insérer correctement dans la société.

Ce que je constate, c’est que les parents qui font usage de ce qu’on appelle la violence éducative ordinaire le font généralement avec cette intention positive pour leurs enfants, parce qu’ils pensent que c’est le bon moyen pour permettre à leurs enfants de devenir des adultes compétents et autonomes. Si on juge les parents sur la façon dont ils s’y prennent, on peut difficilement les aider à s’y prendre différemment.

En posant cette question tout à fait pragmatique

Si vous pouviez éduquer votre enfant sans taper ni punir, continueriez-vous à taper et à punir .

alors on peut aller vers des solutions concrètes en parlant de situations vécues où le parent a été amené à taper et punir pour lui découvrir avec lui d’autres façons de faire sans le culpabiliser, ni remettre en cause sa bonne volonté à l’égard de l’enfant.

Quand je lis que 82% des français sont opposés à une loi contre la fessée, je pense sincèrement qu’on peut traduire ça par

82% des français en ont ras-le-bol qu’on remette en cause leur façon d’éduquer leurs enfants, et surtout qu’on doute de leur intention positive à l’égard de leurs enfants.

Cette mise en doute permanente des capacités des parents à éduquer « comme il faut » entraine chez les parents au mieux un discours opposé à la bienveillance éducative et au pire de la dissimulation sur ce qui se passe réellement chez eux.

Je ne vois donc cette opposition à une loi contre la fessée que comme une réaction à une façon maladroite d’aborder le sujet et non comme une volonté de faire du mal.

Les informations sur les violences éducatives ordinaires amènent aussi beaucoup de parents à culpabiliser et à angoisser à propos de la façon dont ils s’occupent de leurs enfants. Je trouve ça fondamentalement dommage car il serait bien plus aidant pour les parents et les enfants d’aller vers des relations plus détendues ;-).

Quand on reste au niveau des principes et de la théorie, on peut défendre tout et son contraire sans qu’on puisse nous contredire. Par contre, quand on va dans les applications concrètes d’une théorie, alors on peut voir plus clairement les implications pratiques de celle-ci et décider si oui ou non elle est acceptable pour nous.

J’en ai déjà parlé dans cet article : « Et si on faisait une loi pour interdire les débats plutôt que contre la fessée ? »

Je crois sincèrement que les conseils, les « leçons », … mettent les parents en difficulté et ne vont pas dans le bon sens pour lutter efficacement contre la violence éducative ordinaire.

C’est aussi un point que j’avais évoqué dans l’article « les bons ou les mauvais parents »

Un exemple de la façon dont on peut mettre en doute une vision de l’éducation prônant les châtiments corporels tient par exemple à cette autre question pragmatique :

Les enfants ont besoin de limites : jusqu’où je vais et à quel prix tenir le cadre ? #JNVE

Selon les théories habituelles, l’enfant a besoin de limites. Ce qui est sans doute vrai. En tout cas, sur le principe, il est impossible de contredire ce point.

Une fois la limite fixée – j’y reviendrai plus bas – reste à savoir comment la poser. Et là, les ennuis commencent.

Si je pense qu’une fessée ou une punition est une façon de marquer la limite :

Qu’est-ce que je peux faire si l’enfant ne se soumet pas après la fessée ou la punition ?
Que puis-je faire d’autre que de frapper plus fort et plus souvent ?
Et si ça ne marche toujours pas, qu’est-ce que je fais ?

C’est une question utile à se poser en tant que parent : j’essaie de provoquer un changement chez mon enfant. Ma façon actuelle ne fonctionne pas.

A quel prix – pour moi ou pour l’enfant – suis-je prêt-e à poursuivre dans cette voie ?

Attention il ne s’agit pas de remettre en cause notre intention – quoi que parfois, il faille en passer par là dans certains cas – mais la façon d’y parvenir de façon plus efficace.
J’avais attiré l’attention sur le manque d’efficacité de la punition dans l’article « punir ça sert à quoi ».

On peut être très maltraitant sous prétexte du bien-être de l’enfant #JNVE

Quelle que soit la façon de voir l’enfant ou l’éducation, on peut tomber dans la violence éducative ordinaire, en croyant bien faire pour le bien-être de ses enfants.

Si c’est une théorie sur le développement de l’enfant qui est utilisée pour fixer les règles du bien-être de l’enfant ou des observations statistiques, ces règles et ces statistiques ne correspondent jamais au cas particulier de l’enfant concerné – qui est différent de tous les autres, y compris ses frères et soeurs même jumeaux – du parent concerné – qui est différent de tous les parents du monde, y compris de son conjoint – et de leur contexte familial, professionnel, … – qui est différent de tous les autres lui aussi.

Une théorie n’est valable que jusque la suivante vienne ma contredire #JNVE

Les parents sont souvent en plein doute après qu’un professionnel de santé, un professionnel de l’enfance – ou même la voisine ! – leur aie donné un conseil à propos de la façon de s’y prendre avec les enfants.

Les professionnels de santé ou les professionnels de l’enfance me disent de ne pas dormir avec mon enfant, de le laisser pleurer, d’être plus ferme… (ou l’inverse !)

Pour les parents, les professionnels de santé et les professionnels de l’enfance ont « LA » théorie concernant le développement et la psychologie de l’enfant. Ce qu’ils disent a un poids important qui peut destabiliser les parents.

Pour ma part, je pense que les professionnels ont « UNE » théorie et non « LA » théorie. Cette théorie n’est peut-être pas valable, elle est peut-être dépassée ou pas du tout représentative de ce que vous vivez.

Le savoir dans le domaine humain est très relatif et l’humilité est de mise, sachant qu’une théorie ne rend compte que d’une partie de la réalité et n’est valable que jusqu’à ce que la suivante vienne la contredire.

Partir de règles fixées sur base de statistiques comme « le sommeil est nécessaire au bien-être de l’enfant » peut nous rendre très malveillant pour l’enfant.

Nous allons essayer de lui imposer des règles qui ne lui correspondent pas : il a peut-être besoin de plus ou moins de sommeil que ce que nous lui imposons, de plus ou moins de nourriture, de plus ou moins de câlins, … Nous lui imposons un cadre qui ne lui convient pas et auquel il aura peut-être du mal à s’adapter.

Ces règles fixées de l’extérieur peuvent aussi être extrêmement malveillantes pour les parents aussi !

Les parents se retrouvent alors à essayer d’appliquer des règles qu’ils ne peuvent pas appliquer – parce qu’elles ne correspondent pas à leur façon d’être, à leur ressenti, à leurs convictions, … ou à leur enfant tout simplement. Ces règles « de bien-être de l’enfant» mettent les parents en échec et en difficulté. Et un parent en difficulté se retrouve en situation de fragilité, ce qui favorise l’usage de la violence à l’égard de l’enfant.

Je ne crois pas qu’on puisse développer la bienveillance pour l’enfant en maltraitant les parents de cette façon.

On peut facilement tomber dans la manipulation en croyant être bienveillant. #JNVE

Il n’y a pas de façon bienveillante de forcer qq´un à faire qq chose qu’il n’a pas envie de faire #jnve

Inversement on peut essayer d’appliquer des outils de l’éducation non violente en pensant qu’ils font du bien à l’enfant … alors qu’il a besoin d’autre chose.

Il n’est pas donc bienveillant, ni pour les parents, ni pour les enfants de leur faire croire qu’il existe des outils miracle qui vont régler tous les problèmes et leur permettre d’accéder à une éducation « parfaite ».

S’il existait une éducation idéale, elle aurait déjà été modélisée – depuis le temps que nous avons des enfants ! – et nous saurions comment faire.

Là encore, faire croire à un modèle idéal, à des outils qui fonctionneraient partout et tout le temps est un leurre qui, comme toutes les utopies, peut faire beaucoup de mal aux parents et aux enfants.

Les limites sont peut-être nécessaires aux enfants, elles servent surtout aux parents pour rester bienveillants #JNVE

La question de l’utilité des limites pour l’éducation des enfants est souvent posée. Elle est d’ailleurs un prétexte à utiliser certaines violences éducatives ordinaires.
Sous prétexte des limites « nécessaires pour éduquer l’enfant », on peut vouloir contraindre l’enfant à respecter des règles qui ne lui conviennent pas comme je le disais plus haut. Et si l’enfant résiste, il est très facile de tomber dans le conflit de pouvoir qui amène à la violence éducative.

Encore une fois, cette violence éducative ne vient pas d’une volonté du parent de nuire à son enfant mais bien au contraire de sa volonté de bien faire !

Et là aussi, si le parent ne pose pas une limite qui lui conviendrait pas à lui sous prétexte qu’elle ne respecte pas son enfant, il se met en position de devenir violent avec son enfant à plus ou moins court terme.

J’ai décrit ce phénomène dans « les enfants ou le canapé »

Quelle limite ? Celle qui vous convient, qui convient à votre enfant et à votre contexte familial et professionnel ! #JNVE

Les limites à poser dépendent donc essentiellement de qui est votre enfant, qui vous êtes vous et quel est votre contexte familial, professionnel, …

Si on se pose la question en ces termes, il est plus facile de trouver une position bienveillante et tenable dans le temps.

Si on se fie simplement à des règles édictées par d’autres et pour d’autres, c’est plus compliqué. Les difficultés commencent là.

Une limite qui a du sens pour moi est plus facile à poser et donc à respecter #JNVE

Un exemple : mon enfant ne dort pas la nuit, je suis épuisé-e : je me lève, je ne le laisse pas pleurer, je le prends sur moi. Pour le moment j’arrive encore à gérer.

Le jour où la fatigue prend le dessus et qu’on se rend compte qu’on commence à devenir violent – verbalement ou physiquement – ou qu’on a envie de l’être (envie de secouer l’enfant) alors il est temps de se demander comment on peut gérer les choses autrement.

Un point primordial à mes yeux c’est que

La bienveillance commence par soi : se reconnaître le droit d’être énervé, fatigué et en colère. Et prendre soin de soi ! #JNVE

C’est lorsqu’on s’oublie trop que les choses finissent par dégénérer. On prend sur soi pour être bienveillant avec ses enfants, pour faire « au mieux ». Et on s’oublie, on nie ses propres sentiments :

je ne dois pas m’énerver, je dois rester patient-e

J’avais déjà écrit à ce sujet dans l’article « je m’énerve trop vite, je crie sur mes enfants »

Quand on se sacrifie trop, en général ça finit mal… Différencier le don et le sacrifice #jnve

Le don, c’est quand je fais les choses sans rien attendre en retour.
Le sacrifice, c’est quand j’attends un retour.

Souvent, nous faisons des choses POUR être bienveillants avec nos enfants. Lorsque ça ne produit pas le résultat attendu = l’enfant continue à se comporter comme un enfant, fait des crises, dit non, ne veut pas dormir, …, alors je finis par en vouloir à mon enfant de me mettre en échec.

Je deviens violent. Puis je culpabilise, je m’en veux … et immanquablement je fixe la barre de plus en plus haute. Ce qui nous met, mon enfant et moi, encore plus en échec.

Le cercle vicieux qui mène souvent à la violence éducative ordinaire commence là …

J’avais évoqué ce point dans « une mère digne de ce nom ne ferait jamais ça »

La fessée est généralement un aveu d’impuissance : nous n’avons pas réussi à nous faire entendre et nous avons trop attendu #JNVE

Repensez à toutes les fois où vous avez tapé, puni, secoué – ou que vous avez eu envie de le faire simplement  …

Vouliez-vous faire mal à votre enfant ou vouliez-vous simplement lui faire comprendre que quelque chose n’allait pas ? Ne vous êtes-vous pas dit que vous aimeriez faire autrement ?

La question est donc de savoir comment gérer autrement ces situations délicates en se penchant de façon concrète sur celles-ci comme je le dis plus haut et non de lutter sur le principe de l’utilisation de la violence.

On peut alors se pencher sur des outils, faire des expériences qui permettront de voir qu’une autre façon de gérer améliore les choses pour le parent et pour l’enfant.

Les situations qui dégénèrent dans la violence viennent généralement de moments où nous confondons moyen et objectif : nous pensons que nous appliquons mal ou pas assez notre outil, notre façon de faire – que ce soit la communication non violente ou la fessée et la punition.

Nous persistons alors dans cette voie et essayer de faire encore plus de la même chose : plus de punition, plus d’écoute, plus, plus … sans nous rendre compte que c’est l’outil qui ne fonctionne pas.

Il n’y a pas de bonne façon de faire quelque chose qui ne fonctionne pas !

Il s’agit donc de changer de stratégie et non d’améliorer un outil qui ne fonctionne pas !

Prendre du recul sur ses pratiques éducatives lorsque nous nous rendons compte que nos façons de faire ne conviennent pas à notre famille – avec d’autres parents ou des professionnels – permet généralement d’aller vers une plus grande bienveillance pour soi et pour son enfant … et d’éliminer la violence éducative naturellement.

Il s’agit en effet de prendre du recul sur ce qu’on fait et d’arrêter de faire ce qui ne marche pas. Car c’est cela qui est violent pour tout le monde : poursuivre un mode de fonctionnement qui, visiblement, n’a pas donné de résultats et met tout le monde en échec.

 

PS : un thème abordé hier que j’ai choisi de traiter dans un article séparé qui sera publié prochainement : Désaccord sur l’éducation dans le couple : est-ce un pb de vision de l’éducation ou un pb de couple ? #JNVE

Pour aller plus loin :
– mon article de 2013 à propos de la non violence éducative

Et quelques livres (si vous ne voyez pas les liens ci-dessous, c’est que votre navigateur les considère comme de la publicité et les bloque) :

Ce livre traite du domaine professionnel mais la démarche pour prendre du recul sur les situations familiales est sensiblement la même.


Un livre sur la communication non violente que je trouve réaliste et plein de bonnes idées !

Le Must pour une vision réaliste et lucide de la relation parent-enfant !

Sandrine Donzel

Parentalité, couple, communication, développement personnel ? Votre vie ne ressemble pas à ce qui est décrit dans les livres ? Pas de panique et bienvenue dans la VRAIE VIE, celle qui est abordée sur ce blog ! Je vous y propose des outils concrets, pragmatiques et REALISTES pour répondre à vos interrogations. Bonne lecture !

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