Le manager qui voulait devenir assertif …

manager double faceC’est un – ou une – manager qui vient me voir. Il – ou elle – veut améliorer ses compétences managériales.

Notre : pour éviter des formulations inélégantes avec des il/elle des -e à la fin des adjectifs, je parlerai uniquement au masculin dans cet article mais ce que je dis est parfaitement transposable pour une femme. Il n’y a aucune différence fondamentale. J’ai d’ailleurs des accompagnements similaires aussi bien avec des hommes qu’avec des femmes.

C’est donc un manager qui veut mieux faire. Il a une vision humaniste du management, il veut concilier au mieux les impératifs de l’entreprise et la qualité de vie au travail de ses collaborateurs. Il pense qu’un collaborateur qui se sent bien travaille mieux. Et il a à coeur de gérer son équipe le plus humainement possible.
Il réussit bien dans son management, il est apprécié par son équipe.
Mais ce n’est pas pour une question d’efficacité qu’il vient me voir.

Non, la raison pour laquelle il vient me voir, c’est qu’il pense qu’il pourrait – devrait ? – être un meilleur manager. C’est-à-dire dans sa tête à lui un manager plus assertif, un manager qui prend des décisions, qui ose, qui assume. Un manager qui assure quoi.

Devenir un manager qui assure …

Quand il vient me voir, il me parle notamment d’une décision qu’il vient de prendre.

Cette décision est stratégique pour mon entreprise / pour mon service. Elle a déjà été mise en place dans une autre de mes unités, cela fonctionne bien et je sais que c’est un vrai plus pour nos clients. Cela va dans le sens de notre stratégie à long terme. Mais j’hésite encore.

– Vous hésitez sur quoi exactement ? Au travers de ce que vous dites, j’ai l’impression que votre décision est prise.

– Oui la décision est prise même si je sais que cela va impacter l’organisation du service, que cela va imposer des taches supplémentaires à certains moments et qu’il va falloir modifier les plannings. Mais du coup, ça fait 3 jours que je ne dors pas, je ne sais pas comment l’annoncer. Et c’est comme ça à chaque fois que j’ai quelque chose à annoncer : faire une mise au point à faire à quelqu’un ou même simplement annoncer à quelqu’un que je veux le voir, une annonce à faire, …

– et qu’est-ce qui vous fait reculer l’annonce exactement ?

– et bien … j’ai peur que ce soit mal pris, que les gens réagissent mal, qu’ils se sentent mal. Pour la réorganisation par exemple, j’ai peur que les gens réagissent, qu’ils s’opposent à cette décision. Donc je réfléchis pendant très longtemps, parfois je n’en dors pas de la nuit. Dans ces périodes-là, je viens parfois au travail la boule au ventre, stressé. Je cherche la bonne façon de formuler les choses, de les présenter. Mais je me trouve nul d’être aussi peu réactif, de prendre autant de temps pour des choses aussi anodines souvent. Pour la réorganisation par exemple, je sais que ça fonctionne. Les autres services l’ont fait et ça se passe bien. Je devrais être plus sur de moi et dire les choses plus clairement et plus directement.

A la recherche de LA bonne formulation

Chercher à mieux formuler ses demandes et ses annonces, trouver les bons mots est une étape importante. La 1e étape, la base indispensable pour se placer dans une optique du respect de l’autre.

Les outils d’une communication respectueuse – apprendre à écouter, à reformuler, à parler sur soi et non sur l’autre, à complimenter de façon descriptive et non évaluative – sont pour cela très intéressants car ils permettent effectivement de réduire une partie des conflits car ils diminuent le sentiment d’agression ressenti par l’autre, de communiquer plus respectueusement et plus efficacement aussi dans un certain nombre de cas.

Mais, comme j’ai coutume de le dire : il n’y a pas de bonne façon de faire quelque chose qui ne fonctionne pas.

Tout bien formulé qu’il soit, un message qui a pour but de dire à l’autre quelque chose qu’il n’a pas envie d’entendre déclenchera toujours une réaction émotionnelle de sa part : colère, peur, tristesse, …

Cette réaction sera probablement moins forte en utilisant les outils de la communication respectueuse mais elle sera toujours là.

Imaginer qu’on va pouvoir annoncer un changement sans déclencher de peur, même légère, ou qu’on va pouvoir recadrer quelqu’un sans susciter de la colère ou de la culpabilité est utopique. C’est une croyance à détromper.

En famille par exemple, cette croyance se traduit par des attentes comme : mon ado devrait arrêter de râler quand je lui donne des ordres ;-).

Au travail par des comportements comme celui de ce manager : je dois trouver LA bonne formulation pour que les gens acceptent ce que j’ai à dire de bon coeur.

Bref, même si réfléchir à la forme de son message est utile, point trop n’en faut.

Dans ce cas, ce qui m’interpelle, ce sont 2 choses : d’abord le manager essaie de trouver LA bonne formulation, ce que Watzlawick appelait une « ultra-solution », ce qui ne marche jamais.

Vouloir être qui on n’est pas

Mais quelque chose d’autre m’interpelle dans sa demande :
– heu … attendez … Quelque chose m’intrigue. Pour vous, lequel des 2 serait le meilleur manager : celui dirait « voilà j’ai pris une décision, c’est comme ça et il va falloir appliquer » ou celui qui dirait « cette décision n’a pas été simple à prendre car je sais qu’elle va générer beaucoup de changements dans les équipes. »
– … le 2e

Parfois – souvent – nous essayons de nous conformer à une image, à l’image du manager « idéal » conforme à nos rêves, à nos croyances. Cela marche aussi dans la vie privée : nous essayons d’être le meilleur parent  – celui qui est à l’écoute, qui entoure, console, accompagne pour certains, celui qui cadre et pose des limites pour d’autres ; nous essayons d’être le meilleur conjoint – ou la meilleure compagne  : celui/celle qui ramène l’argent du ménage, celui/celle qui assure au lit, celui/celle qui s’occupe de la maison, …

Nous essayons de calquer nos comportements sur ce que nous imaginons que cette personne « idéale » ferait. Mais ce faisant, nous oublions 1 chose primordiale : de QUI a besoin notre entourage ?

Parce que si j’essaie d’être un parent maternant et que mon enfant a besoin de cadre ou vice versa. c’est loupé.
Si j’essaie d’être un conjoint qui gagne de l’argent et que ma famille a besoin d’écoute et d’attention ou vice versa, c’est loupé.
Si j’essaie d’être un manager assertif et que mes collaborateurs ont besoin d’écoute ou vice versa, c’est encore loupé.

En essayant de nous conformer à cette image, nous nous regardons dans le miroir et nous n’écoutons que nous, nos attentes, nos aspirations, nos croyances. Nous oublions de nous adapter à notre contexte et ce faisant, nous créons des problèmes pires encore : en étant « parfait » à nos propres yeux, nous pouvons devenir non aidants – voire néfastes – pour notre entourage.

La 2e chose primordiale que nous oublions en essayant de nous conformer à l’image idéale, c’est nous-même ! Nous voulons coller à l’image que nous renvoie le monde extérieur sans tenir compte du fait que cela peut être contraire à notre propre mode de fonctionnement.

C’est exactement le cas pour mon manager : dans l’imaginaire de beaucoup de gens, le « bon » manager est assertif, sur de lui, il assume et il assure.
Or le comportement qu’il avait assimilé au « bon manager » – prendre une décision et ne pas hésiter à l’annoncer – était un comportement qui correspondait surtout à un manager qui tient moins compte du bien-être de ses collaborateurs et qui se pose moins de questions.
Il essayait donc d’être quelqu’un qu’il ne pouvait pas être – je ne connais pas de moyen de s’empêcher de se poser des questions 😉 – et qu’il ne VOULAIT pas être.

Mais reprenons le cours de l’entretien …
– Vous savez, vos doutes et vos hésitations montrent que vous avez à coeur de prendre soin de vos équipes, que vous connaissez bien les impacts des décisions sur le terrain, que vous avez envie de les impliquer et de faire en sorte que les choses se passent au mieux pour tout le monde. A vrai dire, pour moi, ce sont vos doutes et vos hésitations qui font de vous un bon manager.
C’est un choix en fait : vous pouvez choisir de devenir un manager plus direct, plus assertif, plus conforme au modèle habituel, sachant qu’il vous faudra pour cela tenir moins compte de l’impact de vos décisions sur les autres. Ou bien alors vous pouvez choisir de continuer à être le manager attentif que vous êtes. Ce qui implique du coup que vous aurez conscience de l’impact sur les autres de vos décisions et que vous y réfléchirez avant de les prendre et de les annoncer. C’est à vous de voir ce que vous préférez.
– … (grand silence) … rho la la mon ego en a pris un coup là ! Un coup très positif !

Cesser la lutte, lâcher prise … pour être plus efficace

Au lieu de poursuivre la lutte contre lui-même, il a réalisé que ce qu’il voulait combattre, ce qu’il jugeait être son pire défaut en tant que manager était précisément ce qui le rendait conforme à ses valeurs. Il a cessé de considérer que ses hésitations, ses doutes, ses ruminations étaient des manifestations de son incompétence pour les voir plutôt comme la preuve de son humanité.

Et nous avons pu travailler ensuite sur la façon dont il pouvait mieux accompagner les équipes et les individus face au changement tout simplement. Afin d’être encore mieux conforme à ses valeurs.
Photo Credit: Life Mental Health via Compfight cc

Quelques livres pour aller plus loin (si vous ne voyez pas les liens, c’est que votre navigateur a un bloqueur de pub et qu’il considère les liens Amazon comme de la publicité)

Sandrine Donzel

Parentalité, couple, communication, développement personnel ? Votre vie ne ressemble pas à ce qui est décrit dans les livres ? Pas de panique et bienvenue dans la VRAIE VIE, celle qui est abordée sur ce blog ! Je vous y propose des outils concrets, pragmatiques et REALISTES pour répondre à vos interrogations. Bonne lecture !

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2 thoughts on “Le manager qui voulait devenir assertif …

  • 7 octobre 2013 à 09:50
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    Bonjour,
    Ce billet est un pur bonheur ce matin, puisqu’il répond pile poil à la question que je me posais au sujet des profs et des cours.
    D’expérience, je me dis qu’un bon cours est celui qui fait avancer ou changer. C’est donc le cours inconfortable où l’élève n’est pas sûr de lui et accuse le prof de ne pas lui donner ces rails tout tranquilles d’une connaissance qu’on avale comme on mange une tartine.(Gargantua en connaît un rayon là-dessus pourtant).
    En fin de compte, s’apprécier soi-même est la clé.
    Voilà ma conclusion de la semaine.
    Bon lundi à tou(te)s,
    CB
    http://www.ecritureplurielle.fr

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