La honte chez l’enfant, une émotion oubliée

Quand Léo, 5 ans 1/2, rencontre une frustration, il fait des crises de colère. Après coup, il se mure dans le silence. Il tourne la tête et refuse catégoriquement d’en parler. Ses parents ont beau insister pour comprendre et l’aider, rien n’y fait : Léo fait mine de ne pas entendre. Parfois il fait mêmes des colères monumentales quand ils insistent. Ils ne comprennent pas pourquoi Léo réagit comme ça.

Bastien – 8 ans – fait pareil. Il a l’air triste, il s’isole. Ses parents cherchent à lui faire exprimer ses émotions de toutes les manières possibles : par le jeu, des ateliers sur les émotions, etc. Ses parents ne comprennent pas pourquoi il refuse leur aide.

Lucas – 11 ans – a des problèmes au collège, d’autres collégiens le harcèlent. Quand ses parents le questionnent, il dit que tout va bien. Il lui arrive même de mentir. Ses parents ne comprennent pas pourquoi il ne veut pas leur parler.

Le point commun de ces 3 garçons ? Une émotion : la honte.

La honte chez l’enfant, une émotion oubliée

Quand je reçois des enfants, la honte est une émotion qui revient très souvent, même chez les plus jeunes. Pourtant les adultes y pensent rarement. On imagine un enfant avoir peur, être triste, être en colère … mais avoir honte, plus rarement … Je ne m’explique pas très bien cet angle mort. Qu’est-ce qui rendrait la honte moins accessible aux enfants ?

Bien sûr pour ressentir de la honte, il faut avoir intégré les standards du groupe : nous ressentons de la honte chaque fois que nous pensons ne pas être à la hauteur des attentes de notre groupe.

Mais cela les enfants l’intègrent dès leur plus jeune âge. Dès la naissance, l’enfant apprend par l’interaction, en essayant de comprendre les attentes de ses interlocuteurs et d’y répondre. C’est comme cela qu’il apprend à communiquer par exemple et à se comporter. La honte est donc une émotion centrale dans notre évolution : elle nous pousse à apprendre et à évoluer. Il n’est donc pas étonnant que les enfants la ressentent.

Et un enfant qui a honte fait comme les adultes quand ils ressentent de la honte : il cache ce qu’il a fait, il ment, il minimise. Et souvent, il refuse de parler du sujet. Parce que, face à la honte, on n’a qu’une envie : faire disparaitre nos « manquements », résumé par notre cerveau en « disparaitre tout court ».

Comment nous pouvons aggraver la honte chez l’enfant en croyant bien faire

Léo a honte de ses colères : il voit bien que les autres – ses camarades de classe, son petit frère – ne réagissent pas comme lui. Il se pense différent, « pas comme il faut ». Les tentatives de ses parents pour l’aider à se canaliser ont renforcé cette idée : puisqu’il doit absolument trouver le moyen de se calmer, c’est bien qu’il n’est pas « normal ». La honte c’est précisément cela : l’écart à la norme.

Chaque approche de ses parents déclenche une poussée de honte. Elle se traduit, chez Léo – comme chez de nombreux enfants, notamment ceux souffrant de troubles de l’attention (TDA/H) – par une appréhension négative des situations où il va devoir se « tenir tranquille ».

Pour diminuer la honte, Léo se réfugie dans l’évitement : il ne veut pas entendre parler des « bêtises », il crie très fort pour ne pas entendre ce que ses parents ont à lui dire.

Bastien, lui, a honte de ses émotions et de ses pensées. Il croit qu’elles ne sont pas « normales », qu’il est le seul à ressentir ou à penser ce qu’il pense, à réagir comme il le fait face à certaines situations.

Il ne sait pas très bien pourquoi mais il ne se sent pas capable d’en parler (c’est la honte qui le retient).

Alors quand ses parents lui disent qu’il faut « exprimer ses émotions », il se sent encore plus honteux : non seulement il croit ressentir des trucs bizarres mais en plus il n’y arrive pas alors qu’il devrait. Pire encore : ses parents lui ont proposé de « voir une psy », ce qui ne fait que confirmer dans sa tête son anormalité et aggrave sa honte. Bastien se mure donc dans le silence et a des pensées de plus en plus « bizarres ».

Quand les parents de Lucas sont alertés par le collège sur les évènements subis par Lucas, ils le poussent à parler. Lucas dit quelques mots. Ses parents, pour l’aider, l’incitent à « se défendre », à « ne pas se laisser faire », à « répondre ». Son papa surtout, qui est grand et costaud, veut bien faire : il pense son fils capable de répondre, il ne lui manque pas grand chose, juste un peu de confiance en lui. « Si je le pousse un peu, il va y arriver« .

Oui mais Lucas n’y arrive pas. Alors il a honte : il se trouve un peu nul. C’est bien pour ça que les autres se moquent de lui, parce qu’il est un peu – beaucoup ? – nul non ?

Comment faire autrement face à la honte de l’enfant ?

Quand la honte vient bloquer le système, c’est elle qu’il faut prendre en compte d’abord. Comment ?

Pour Léo – que je n’ai pas rencontré – les parents ont adopté la position déculpabilisante (ou plutôt dé-hontisante 😂) suivante :

Léo, tu vas faire des crises quand les choses ne vont pas comme tu veux. Pour le moment, tu ne sais pas faire autrement. Donc, chaque fois que ce sera nécessaire et que tu ne pourras pas t’en empêcher, tu pourras faire une grosse colère. Ce n’est pas grave, quand tu seras plus grand (ou « bientôt ») tu sauras faire autrement. »

C’est l’étape 1 de la régulation de la honte : normaliser la réaction actuelle ou plutôt la rendre logique, attendue et ne présentant pas tellement de problèmes particuliers.

Léo s’est montré plus apaisé dans les jours qui sont suivi. Il a commencé à demander plus spontanément de l’aide face aux situations où il avait du mal à gérer.

Pour Lucas – que je n’ai pas rencontré – j’ai proposé à ses parents de lui dire :

Tu as surement de bonnes raisons de ne pas nous dire ce qui se passe au collège. Peut-être même que nos conseils ne sont pas du tout adaptés à ce que tu vis, alors promis, on va arrêter de t’en donner et on t’écoutera mieux si tu nous en parle. A partir de maintenant, on te fait confiance : c’est toi qui peut décider si ça peut t’aider ou pas de nous en parler.

Ici, on ajoute, après l’étape de normalisation, une étape de confiance. Après avoir rendu la réaction de l’enfant adaptée et compréhensible, on lui montre de la confiance dans ses capacités à faire le bon choix.

Lucas s’est montré soulagé de l’engagement pris par ses parents. Il a rapidement trouvé un camarade de classe, alors qu’il était seul jusque là. Il a répondu vertement 1 fois ou 2 à certaines connaissances. Il n’y a pas eu d’autres problèmes après ça.

Pour Bastien – que j’ai rencontré au 2e rendez-vous – voici ce qui a été convenu avec les parents :

Sandrine (ses parents lui avaient parlé de notre rendez-vous) nous a bien aidés. On a compris que tu savais voir ce qui était un problème et ce qui ne l’était pas. Alors on ne cherchera plus à te faire parler de tes émotions. Si tu penses que tu as besoin d’aide, on peut t’emmener voir Sandrine, mais seulement si tu le penses vraiment que c’est un problème. Sinon, on ne t’embêtera plus avec ça.

A noter que ses attitudes de retrait social assez inhabituels pour un enfant de cet âge et certains des propos rapportés par ses parents m’ont incitée à demander à le voir. Mais j’avais besoin qu’il arrive chez moi en confiance, en sachant que je n’allais pas essayer de lui tirer les vers du nez.

Bastien a finalement demandé à me voir. Il m’a parlé de ce qui se passait dans sa tête. Rien que de très normal finalement 😉mais un emballement de la honte : il ne comprenait pas la manière dont son cerveau réagissait. Un peu de psycho-éducation et il a été rassuré.

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Sandrine Donzel

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