La continuité pédagogique ne signifie pas pression et stress !
Je reçois de nombreux témoignages et de questions sur l’école à la maison en ce moment. Le travail scolaire est une très grosse pression pour beaucoup de familles. La fameuse continuité pédagogique repose en effet AUSSI sur les familles.
J’ai donné quelques astuces dans une vidéo publiée dès le 1er jour du confinement. Vous pouvez la retrouver ici. Un temps d’échanges sur le thème de l’école à la maison m’a permis d’affiner ma réflexion. C’est ce que je vous livre ici.
Derrière chaque peur se cache une envie
Derrière le stress et la pression autour du travail scolaire se cache une envie : celle de donner les meilleures chances à nos enfants.
Nous avons peur qu’ils décrochent, qu’ils ne soient plus adaptés. Cette peur nous conduit à nous accrocher à la fameuse « continuité pédagogique ». Elle devient le seul moyen de préserver les chances de réussite scolaire de leur enfant.
Alors quand ça ne se passe pas bien, la peur de ne pas être un parent « compétent » nous tombe dessus. Je dirai même plutôt la honte. Comme si l' »échec » était de notre faute : c’est nous qui ne serions pas à la hauteur. Pourtant il y a beaucoup à dire sur les difficultés rencontrées, et je le ferai plus loin dans cet article.
La honte est une émotion qui conduit souvent à cacher, dissimuler, minimiser. C’est le cas en ce moment : chacun galère dans son coin, sans oser dire qu’il n’y arrive pas. Cet isolement est renforcé par la situation. Plus moyen de tâter le terrain en papotant avec les autres parents à la sortie de l’école, plus moyen d’en parler avec des copines « par inadvertance » autour d’un café, …
Cet isolement va jusqu’à la communication avec les enseignants. On n’ose pas dire aux enseignants que c’est trop, qu’on n’y arrive pas, que l’enfant galère, qu’il se stresse. Attaquons-nous déjà ce premier problème.
Premier point : vous ne faites ni de l’instruction en famille ni l’école à la maison.
L’instruction en famille est un projet familial. Elle se construit et s’élabore sur le long terme. Elle suppose de construire son propre projet pédagogique, spécifiquement adapté à ses enfants et son contexte de vie. Ce choix suppose des disponibilités et des ressources importantes.
L’école à la maison c’est encore autre chose. L’école suppose un enseignant. Faire l’école à la maison, c’est demander aux parents d’endosser le rôle d’enseignant.
L’école à la maison ressemble déjà plus à la continuité pédagogique proposée actuellement. Sur base de supports fournis par l’Education Nationale, nous sommes supposés nous conduire comme des enseignants.
Sauf que nous ne sommes pas ENSEIGNANT-E. Nous n’en avons pas les compétences, ni la disponibilité matérielle, surtout si nous (télé)travaillons pendant le confinement. Les parents ne peuvent pas se transformer en enseignant sur un coup de baguette magique. Ca supposerait en plus que le métier d’enseignant ne requiert ni formation ni compétences spécifiques. C’est absurde. Même si vous êtes prof, enseigner à des élèves et enseigner à ses propres enfants, ça change tout !)
Donc nous ne faisons ni de l’instruction en famille ni l’école à la maison. Nous ne sommes pas enseignants et nous n’avons pas le temps matériel de le faire correctement. Nous faisons du mieux que nous pouvons et c’est déjà vachement bien !!!
L’école NE PEUT PAS NOUS DEMANDER UNE OBLIGATION DE RESULTAT en parlant de continuité pédagogique. Ce serait irréaliste et inconscient.
Conclusion : faites ce que vous pouvez, du mieux que vous pouvez.
Lâcher prise, oui mais que vont dire les profs ???
Lors du temps d’échanges animé cette semaine j’ai entendu un parent dire :
« je n’ai pas osé dire à l’institutrice qu’il y avait trop de travail. Elle est du genre à nous taper sur les doigts si on ne fait pas tout ce qu’elle donne. Pourtant mon fils – qui est bon élève – n’arrive pas à tout faire. Ca le stresse et le démotive. »
Les enseignants sont comme nous : ils découvrent une nouvelle manière d’enseigner. Ils doivent s’adapter et s’ajuster au contexte. Dans leur immense majorité, ils ont rapidement adapté la charge de travail, les types d’exercice. Les remontées des parents sur les difficultés rencontrées sont essentielles pour eux.
C’est donc PRIMORDIAL de continuer à échanger avec les enseignants, de les tenir au courant. Ca leur permet d’être efficace = de permettre à nos enfants de continuer à suivre (à peu près) correctement la classe.
S’il y a une continuité pédagogique quelque part, elle est là : les enseignants continuent à faire leur travail, dans le contexte et avec les moyens dont ils disposent. Ils ne peuvent pas continuer à faire comme « avant ». Sinon ça ne marchera pas.
En résumé, en remontant vos difficultés aux profs, vous prenez bien un risque : celui de découvrir que l’enseignant de vos enfants est totalement incompétent.
Sandrine Donzel
Un enseignant compétent dans une « vraie » classe s’adapte aux difficultés de ses élèves. Il modifie ses cours, ses exercices, sa pédagogie. Pourquoi en serait-il autrement à distance ? Un prof compétent sera donc toujours RA-VI d’échanger avec vous, de savoir comment ça se passe. En ce moment, les enseignants ne voient plus leurs élèves. Leur seul moyen de vérifier qu’ils font bien leur travail, ce sont les relations avec les parents !
Seul un enseignant incompétent continuerait à faire sa classe comme il l’entend sans tenir compte de l’état de ses élèves. Si l’enseignant ne tient pas compte de vos retours ou vous tient rigueur des difficultés exprimées, vous pouvez considérer qu’il/elle est nul-le. Il lui manque une qualité essentielle : la pédagogie.
Vous pouvez par conséquence faire abstraction de ses conseils ou de ses avis. Et faire comme bon vous semble. Donc retour au point 1 : faites ce que vous pouvez, du mieux que vous pouvez.
Deuxième point : la pression et le conflit tuent le plaisir d’apprendre
Je l’ai déjà expliqué dans un article précédent : nos difficultés à lâcher-prise viennent souvent d’une sous-estimation des risques à NE PAS LACHER PRISE. (article « quels risques prenez-vous quand vous protégez vos enfants ? » à lire ici)
Stress, conflit, pression autour du travail scolaire créent un contexte aversif. Ce contexte désagréable va provoquer dans notre cerveau un rejet du sujet qui le provoque. Un enfant ne va pas se dire « mon parent devrait lâcher prise« , il va se dire « si je n’avais pas de travail scolaire, je ne me ferais pas engueuler ou je ne serais pas stressé.«
Le risque de se mettre la pression autour du travail scolaire, c’est de détruire l’intérêt pour l’école. Cela arrive même à de bons élèves qui aiment l’école quand ils essaient de faire une quantité de travail irréaliste sans y arriver.
Un retard scolaire, c’est du matériel. Un dégoût voire une aversion, c’est plus compliqué.
Un retard scolaire ça se rattrape. Une aversion pour l’école, c’est plus difficile à récupér.
Sandrine Donzel
Chaque fois que vous sentirez l’énervement monter face au travail scolaire, demandez-vous juste si le jeu en vaut la chandelle. Prenez aussi soin de vous : la période suscite beaucoup d’émotions désagréables et est propice au burn-out.
Pendant cette drôle de période, notre mission principale est de préserver le plaisir d’apprendre. C’est le seul moyen de préserver une continuité pédagogique.
Oui mais il va prendre du retard …
C’est la grande inquiétude : « mon enfant va prendre du retard« . Mais du retard par rapport à qui, à quoi ?
A l’heure où j’écris cet article, le confinement dure depuis 1 mois. Je suis quasiment sûre qu’il va durer au moins 1 mois supplémentaire (au minimum 3 semaines) et peut-être plus. Il y a même des chances que l’école ne reprenne pas avant septembre 2020.
Le travail à la maison creuse les inégalités. C’est connu et reconnu depuis des dizaines d’années (voir ici, et partout où ce sujet a été abordé). La période de confinement ne fera que renforcer cette tendance.
Les élèves ne sont pas égalité. Certains ont un ordinateur individuel, une bonne connexion Internet, des parents disponibles. D’autres n’ont … rien de tout ça. Sont-ils égaux ? Surement pas !
L’Education Nationale peut-elle vraiment faire abstraction de cette période et reprendre l’école comme si de rien n’était ?
C’est bien le scandale de la continuité pédagogique. Les parents ne feront certainement pas le même travail que les enseignants sur la même période.
Et cela attire notre attention sur un autre problème : le fonctionnement de l’école à la française.
Le confinement donnera à l’Education Nationale une opportunité de revoir son fonctionnement concernant l’égalité !
Aujourd’hui l’école française se veut tellement égalitaire qu’elle considère ses élèves comme étant tous fondamentalement identiques.
C’est même pour ça qu’elle rechigne parfois à fournir des adaptations spécifiques même en cas de handicap. Le faire, c’est fournir un « avantage » à un élève. Ce n’est pas une invention de ma part : je l’ai entendu de la bouche de plusieurs enseignants. Adapter l’enseignement renie un principe fondateur de l’école à la française.
C’est absurde. Tellement absurde que ce principe nous conduit à avoir une des écoles les plus inégalitaires au monde (article à lire ici).
Demain, l’école ne pourra plus continuer à fonctionner comme cela ! Ce ne sera plus 1 ou 2 élèves par classe qui seront concernés : ce sont quasiment TOUS LES ELEVES !
Certains seront « en avance » (les autonomes, déjà à l’aise, favorisés matériellement, etc). D’autres seront « en retard », voire très en retard (en difficulté, sans possibilité d’aide, etc). Actuellement, 8 à 10% des élèves ont disparu des radars des profs. Ces élèves et leurs parents sont injoignables, ils ne font pas le travail, ne consultent pas les supports fournis. Je ne parle même pas de ceux qui ne peuvent même plus manger (oui la cantine gratuite est parfois le seul repas de la journée pour certains élèves, à lire ici). Pour ceux-là le travail scolaire devient un luxe inaccessible.
L’Education Nationale peut-elle se permettre de faire comme si ces élèves n’existaient lors de la prochaine rentrée ?
Peut-elle remettre ensemble des élèves qui auront des niveaux aussi disparates ? Peut-elle continuer à considérer qu’ils sont à égalité ?
Ce confinement sera sans doute l’occasion de poser les bases d’une école VRAIMENT inclusive !
D’ici là, nous avons donc tout intérêt à garder un contact positif avec les enseignants. C’est avec eux et avec leur soutien que nous construirons une autre école. Parents, élèves et enseignants y trouveront bien plus de plaisir que dans l’école actuelle !
Alors cool avec le travail à la maison : Faites ce que vous pouvez, du mieux que vous pouvez. Le reste sera une responsabilité collective.
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Sur ce blog :
- Les idées clés pour se déstresser pour l’école à la maison
- Quels risques prenez-vous quand vous protégez vos enfants ?
- Lâcher prise, si je veux, quand je peux
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Bonjour
Je suis enseignante et j’adore votre blog. Mais là, je suis embêtée. Je suis pour le retour des parents mais pas n’importe lequel, je me suis faite agresser par des parents par mail: mes ressources ne sont pas adaptées, c’est trop violent, les consignes pas claires, trop de travail, pas assez,….
Alors j’ai eu surtout beaucoup de merci et de demandes agréables. Mais non, je ne suis pas nulle car je n’écoute pas tout les retours de mes parents d’élèves.
et si vous considériez que les « agressions » de ces parents sont un signe émotionnel ? Ils sont en stress et ont besoin d’une réponse au niveau émotionnel avant une réponse sur le plan pratique ou matériel. Une excellente occasion de mettre en pratique les outils comme l’écoute active ou le message-Je 🙂
Ah mais tellement MERCI !
C’est ce que je m’évertue à dire aux parents en difficulté (avec ma casquette de représentante des parents), dans une école tellement, mais tellement nulle (à la hauteur de l’Académie, qui n’a jamais fait redescendre l’info aux instits qu’il y avait un accord avec La Poste… au point que la Mairie a dû prendre le relais).
Nous avons dû quitter, pour des raisons professionnelles, une équipe pédagogique absolument formidable (dans un petit village) pour aller dans un des quartiers « chics » d’une ville de taille moyenne, où les enseignants se pensent « chics », eux aussi, et ne bossent que pour ceux qui n’ont aucune difficulté : cours chiants comme la pluie, seuls les élèves scolaires et soutenus s’en sortent, les autres se font virer de cours, et les parents se font pourrir… Je suis outrée, j’ai retirée une de mes filles (la médiocrité, passe encore, mais la méchanceté, c’est niet), et à la faveur de ce confinement qui permet de renouer avec le plaisir d’apprendre, je ne suis pas sûre que mes 3 mis en âge d’être scolarisée reprendront le chemin de l’école à la rentrée…
Il faut le dire quand c’est formidable, mais aussi quand c’est nul.
Si un enseignant n’adapte pas sa méthode à l’enfant, il est nul, point à la ligne.
Autant qu’un plombier qui nous laisserait avec une fuite, les pieds dans l’eau.
Grrr.
(une ex-enseignante dans le supérieur, qui rageait d’avoir des post-bacs… qui ne savaient pas lire…)