Gérer son angoisse : une histoire d’angoisse ordinaire
« Je crois que je transmets mes angoisses à ma fille » me dit Christine, 35 ans maman d’une petite puce de 2 ans 1/2.
Transmettre ses angoisses, ça veut dire quoi ?
- Que se passe-t-il qui vous fait dire que vous transmettez vos angoisses à votre fille ?
- Le matin quand je la pose chez sa nounou, c’est la crise. Quand c’est son père, ça va bien, elle ne pleure pas. Donc c’est forcément à cause de moi que ça se passe mal.
Je ne prends JAMAIS pour argent comptant cette histoire de mère qui transmet ses angoisses. Parce que 9 fois sur 10, les angoisses de la mère n’ont RIEN à voir avec le problème. Alors je vérifie :
- ah oui, c’est embêtant. Mais quelles angoisses exactement ? Et comment vous y prenez-vous pour les lui transmettre ?
- et bien … en fait je n’arrive pas à lui dire dire au revoir … (elle hésite longuement) … Ce serait comme … lui mentir.
Ses hésitations disent sa honte et son appréhension de ma réaction à ce qu’elle dit. C’est surprenant d’avoir honte alors qu’on affiche une belle valeur d’honnêteté envers son enfant. 9 parents sur 10 mentent éhontément à leurs enfants sans la moindre hésitation si ça les arrange (ou si ça évite à leur enfant du chagrin).
Alors pourquoi diable cette maman se sent-elle aussi mal ? Je m’en étonne d’ailleurs :
- Je suis étonnée : je trouve ça plutôt chouette d’avoir envie d’être à ce point honnête avec ses enfants. Quel est le problème exactement avec le fait de lui dire au revoir ?
- Et bien … en réalité, je me dis que je peux mourir dans la journée. Et alors au revoir, ce serait un mensonge … Mais c’est absurde : je ne vais pas mourir.
A ce degré-là, oui l’honnêteté peut être handicapante.
Savoir d’où ça vient, ça aide à gérer son angoisse ou pas ?
Je lui pose la question de savoir si elle a une explication à cela (un évènement dans sa vie qui pourrait être lié). Certes je ne travaille pas sur le passé mais accompagner quelqu’un qui a vécu un traumatisme, ce n’est pas pareil qu’accompagner quelqu’un qui n’en a pas vécu. Mais rien d’évident ne lui vient, elle se trouve un peu bête avec sa peur de mourir.
Je me retiens donc absolument de dédramatiser sur le mode « c’est quand même couillon d’avoir peur à ce point là (ou de tenir à ce point-là à l’honnêteté)« .
Je n’en sais pas encore assez mais j’ai déjà compris une chose : elle se trouve bête d’avoir cette peur et de se trouver à ce point empêchée de faire une chose aussi simple que de dire au revoir à sa fille.
Ce serait inutile et même totalement contre-productif : visiblement, elle a déjà essayé de se dire que c’était absurde et débile de penser comme ça mais ça n’a pas marché.
Et puis, à bien y réfléchir, s’il y a bien une peur totalement et parfaitement légitime, c’est bien celle-là. Elle correspond à la SEULE certitude que nous pouvons avoir dans la vie.
Quel est le niveau d’angoisse « normal » ?
Je lui partage cette réflexion. Christine acquiesce. Et précise : ce qu’elle veut, c’est mieux gérer son angoisse, ramener sa peur à un niveau « normal », « comme tout le monde » : « je vois bien que les autres ne réagissent pas comme moi. Ils n’y pensent même pas. Quand je parle de ça à mon entourage, ils me disent que j’exagère, qu’il ne faut pas penser à ça, que eux n’y pensent pas, que ce n’est pas normal de réagir comme ça. ». Je tiens là plusieurs autres stratégies de Christine pour abaisser sa peur : elle se compare, elle demande leur avis aux autres. Et visiblement ça ne l’aide pas.
Petit aparté : notez bien que les gens consultent parce qu’ils trouvent leur peur anormalement haute, jamais parce qu’ils la trouver anormalement basse. Je n’ai encore jamais reçu quelqu’un qui me dise « les autres sont tous terrifiés et pas moi. Ce n’est pas normal : aidez-moi à avoir plus peur. » 🤣 🤣🤣C’est étrange quand on y pense bien : c’est BEAUCOUP plus dangereux de n’avoir pas assez peur que d’avoir trop peur. Mais le courage et le contrôle étant valorisés dans notre société, avoir « trop » peur génère de la honte et ne pas avoir peur rend fier.
Mais revenons à Christine :
- Donc si je comprends bien, tout le monde vous dit – et vous vous dites à vous-même – que votre peur est absurde et anormale. Vous essayez de ne pas y penser mais votre peur est toujours là. Comme si vous dire que vous avez tort d’avoir peur ne vous empêchait pas d’avoir peur mais que ça ajoutait une angoisse supplémentaire : celle d’être anormale. C’est bien ça ?
- Oui, c’est exactement ça.
- … mmm, c’est raté pour faire baisser votre niveau d’angoisse en tout cas.
Après la mort, j’ai une 2e certitude dans la vie : si on fait toujours plus de la même chose, on obtient toujours plus du même résultat (dixit Paul Watzlawick).
Je me garde donc bien de faire la même chose que l’entourage de Christine, à savoir lui dire qu’elle est trop pessimiste, qu’elle ne devrait pas penser à ça, qu’elle exagère.
En plus, le « Il ne faut pas penser à ça » 😳 … Ces gens ont déjà essayé de « ne pas penser à quelque chose » ? C’est totalement impossible. On peut concentrer son attention sur autre chose. Mais ne pas penser à quelque chose, ça n’existe pas (à moins que le quelque chose en question ne vous ait jamais effleuré l’esprit mais une fois que vous avez commencé à y penser, c’est mort).
Résumons : voilà une personne qui a une peur légitime et qui n’arrive pas à faire une chose impossible et c’est elle qui est qualifiée d’« anormale », c’est quand même étrange …
Quand ce qui est logique pour gérer son angoisse ne marche pas, essayons quelque chose de moins logique 😂 …
Pour éviter de faire plus de la même chose, je dis à Christine :
- Vous savez, après réflexion, je trouve les gens bien inconscients. C’est vous qui avez raison : vous pouvez mourir à n’importe quel moment, y compris dans quelques minutes en sortant d’ici. Personne ne peut vous garantir que ça n’arrivera, ni vous, ni moi ni personne. Je vais plutôt vous proposer de voir comment réguler différemment cette peur, pour que ses conséquences deviennent moins problématiques pour vous.
Les conséquences de la peur chez Christine – outre sa difficulté à dire « au revoir » à sa fille – c’est beaucoup de ruminations : elle se pose 36 000 questions et ça tourne pendant des heures. C’est envahissant et même handicapant : elle ne profite pas de l’instant présent car elle est souvent occupée malgré elle à cogiter.
Christine me décrit des questions qui lui tournent dans la tête et je lui demande :
- Vous en faites quoi de ces questions ? Vous essayez d’y répondre ou bien vous les ignorer ?
- J’essaie de trouver des réponses.
- Et ça marche ? Je veux dire : vous trouvez des réponses ?
- … hum … et bien des fois oui. Mais le plus souvent ça suscite surtout d’autres questions.
- Oui, comme un effet domino : vous avez une première question qui tombe et qui fait tomber les autres. Et ça finit par une chute de questions sans fin.
- Oui, c’est bien ça.
Notre cerveau nous balance sans arrêt des pensées, certaines intelligentes, d’autres surprenantes et même certaines effrayantes. Ces pensées sont comme des dominos : on ne peut pas empêcher la 1e de tomber mais on peut bloquer l’enchainement.
Je propose donc à Christine mon exercice « spécial domino « :
- avoir un petit carnet toujours sur elle.
- Dès qu’elle se surprend à trop cogiter à son goût, elle doit noter la question à laquelle elle essaie de répondre (peu importe que ce soit le 1er domino ou le 10e). Puis se demander si cette question a une réponse. Et enfin noter « oui » ou « non » en face de la question.
- Si c’est oui, elle peut prendre le temps d’aller chercher la réponse plus tard (le soir, le week-end, quand elle veut). Si c’est non, il n’y a rien à faire.
Elle doit me ramener le carnet au rendez-vous suivant, ou plutôt : revenir avec la liste des questions sans réponse qui l’angoissent le plus.
Christine continue-t-elle à transmettre ses angoisses à sa fille ?
Au rendez-vous suivant 1 mois plus tard, Christine est très contente : elle ne dit toujours pas au revoir à sa fille mais elle se sent bien plus détendue et ça se passe mieux le matin (beaucoup moins de pleurs de sa fille).
Elle a ramené son carnet. Elle n’y a plus rien écrit depuis plusieurs jours mais voici ce qu’elle me dit :
- Dans mes questions revenait souvent l’avenir de ma fille si je venais à mourir, ou pire si son père et moi mourions ensemble (par exemple en partant en week-end en voiture ensemble alors qu’on l’aurait laissée chez les grands-parents comme il me le réclame depuis des mois). J’ai réalisé que j’avais besoin d’être rassurée sur ce point. Depuis notre dernier rendez-vous j’ai fait 2 choses : j’ai démarré une sorte de journal destiné à ma fille sur mon ordinateur. J’en ai parlé à mes proches en leur disant que je voulais absolument que ce document soit transmis à ma fille. Nous avons aussi pris rendez-vous chez le notaire : nous allons préparer tout ce qu’il faut au cas où. Depuis que tout ça est en place, je me sens beaucoup mieux, comme soulagée.
Magique ? Non.
Mon travail a consisté à identifier ce que Christine faisait et qui, loin de résoudre le problème, l’amplifiait (ou en tout cas le maintenait à un niveau haut). Je lui ai ensuite proposé des expériences pour l’aider à faire complètement l’inverse de ce qu’elle faisait jusque là (le 180° du modèle Palo Alto que j’utilise en thérapie). Cette stratégie permet de l’amener à cesser de faire ce qui ne marche pas de manière douce et « facile ».
Se contenter de dire « il faut arrêter de faire ça« , ça n’a (presque) jamais aidé personne.
Comme on le voit ici, la mise en pratique du 180° amène une dés-escalade = l’émotion n’est plus entretenue par les tentatives de régulation de Christine et commence à baisser. Christine perçoit mieux la réalité du problème et les ressources disponibles (ce n’est pas moi qui lui dit quoi faire, elle trouve sa solution toute seule).
Attention : pour une autre personne que Christine les mêmes manières de réguler = se raisonner, se comparer aux autres et leur demander leur avis auraient très bien pu être des solutions !
2 propositions si vous vous reconnaissez dans Christine et son mode de fonctionnement :
- Si l’une de vos peurs vous paraît absurde ou anormale, essayez de la prendre vraiment au sérieux pour voir si ça change quelque chose.
- Si vous cogitez beaucoup en vous posant 36 000 questions, faites l’exercice « spécial domino » pour mieux identifier les questions et voir ce qui reste une fois le tri fait.
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Très inspirant !
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