Mon ado déprime
A ma gauche, l’ado mâle, 13 ans, bonne réussite scolaire, des tas de potes, beaucoup de jeux vidéos. Sportif accompli malgré tout, râleur impénitent quoi qu’il arrive.
Depuis 1 an (l’épisode décrit ici date du printemps 2021), il faut bien reconnaitre que sa vie est chamboulée. Il en prend son parti, c’est pas si pire : il traine à la maison, joue beaucoup aux jeux vidéos. Il est un peu privé de son sport favori mais ça n’a pas l’air de trop l’embêter. L’un dans l’autre ça roule.
Mais, depuis quelques temps, l’ado va vraiment moins bien : il est irritable, il pleure facilement. Nous, les parents, on essaie de l’encourager. Vous savez ce qu’on nous dit tout le temps quand on a un coup de mou :
« Te laisse pas aller, fais des trucs : sors avec tes potes, joue, va un peu dehors. Ca va passer. »
Il ne fait pas grand chose de tout ça. Il tente un peu de voir ses potes mais on voit bien que le coeur n’y est pas.
Et puis, ce matin de printemps, l’ado est couché sur le canapé, la tête sous une couverture. Il pleure …
« J’arrive pas à travailler, j’ai ouvert mon ordi, j’ai essayé mais j’y arrive pas. J’ai même pas envie de faire des écrans, ni d’aller jouer dehors. J’y arrive pas, j’sais pas ce qui m’arrive. »
Gros pincement dans mon cœur de maman … L’ado déprime à un âge où l’imagine plutôt à aller courir le guilledou et rigoler avec ses amis.
C’est à ce moment-là que je réalise qu’il n’a pas juste un coup de mou mais que c’est un peu plus que ça.
L’ado déprime et ça ne se soigne pas à coup d’injonctions à s’amuser
Je sais aussi que la déprime ne se soigne pas à coup d’injonction à « s’amuser » ou à « faire des choses qui te font plaisir ». Bien au contraire ! Ces injonctions creusent le trou de la déprime : j’essaie de me faire plaisir, je n’ai pas autant de plaisir que j’espérais, je suis déçue et attristée. Là commence le trou de ma déprime.
J’avais déjà parlé du lien entre déception et dépression dans l’article « Une autre façon de voir la dépression », à consulter ici.
A noter quand même : le message « Amuse-toi, fais des choses » aurait pu fonctionner si nous avions été face un simple épisode de « coup de mou ». Il ne pose problème en soi. Et il est même adapté à pas mal de situations où la motivation de l’ado aurait effectivement besoin d’un petit coup de pied aux fesses (j’ai bien dit la motivation, pas l’ado 🤣).
Ce qui aurait été problématique en revanche, ça aurait été de poursuivre ce même message malgré l’inaction de l’ado, voire de le renforcer en s’énervant sur lui.
Dire plus fort ou plus souvent, ça peut marcher ?
Parfois, un changement d’intensité dans le message peut provoquer le changement attendu.
En termes techniques, on appelle ça un changement de type 1. Mais si le changement doit se produire, il se produit assez rapidement après l’augmentation de l’intensité et nous n’avons pas besoin d’augmenter fortement celle-ci.
Quand on est déjà monté d’un ou plusieurs crans dans l’intensité et que le résultat ne change pas – ou très peu ou très temporairement – c’est que le message n’est pas approprié et qu’il faut donc en changer.
Dans la situation décrite ici, cela aurait été d’autant plus inefficace que l’ado s’envoyait déjà à lui-même le même message : il se disait qu’il devrait travailler plus, jouer plus, sortir plus sans y parvenir (c’est que me confirme son « j’ai essayé je n’y arrive pas« ).
D’où l’intérêt aussi de bien écouter ses ados et ses enfants 😁 (à noter que ce n’est pas toujours facile et que ça demande aussi des compétences « techniques », j’en reparle à la fin de l’article).
Cette écoute permet de comprendre comment ils gèrent spontanément leurs difficultés. Ca évite de renforcer sans s’en rendre compte une régulation inefficace.
Pour changer de message, ma méthode c’est le fameux 180° du modèle de Palo Alto que je pratique en accompagnement : je cherche ce que je peux faire de RADICALEMENT différent. Le contraste entre le message précédent et le nouveau renforce inévitablement la puissance du changement.
C’est comme la théorie des couleurs en art : des couleurs complémentaires se renforcent mutuellement. Le nouveau message aura donc d’autant plus d’impact qu’il diffère radicalement du message précédent. Et encore plus si l’interlocuteur (ici l’ado) s’attendait au message habituel : le changement crée une sorte de brèche où de nouvelles idées peuvent s’infiltrer dans son cerveau 🤪 (la fameuse expérience émotionnelle correctrice dont je parlais ici)
Et si, quand l’ado déprime, on faisait quelque chose de radicalement différent ?
Cette connaissance de la déprime et des techniques de changement m’incitent à changer de façon de faire. Ce qui m’amène à dire à mon fils la chose suivante :
Si mon travail m’a bien appris une chose, c’est que l’envie c’est comme le sommeil : ce n’est pas toi qui la trouve, c’est elle qui te tombe dessus. Si tu bouges trop, elle ne te trouve pas et elle va voir ailleurs.
Donc je t’interdis de bouger tant que tu n’as pas VRAIMENT envie de quelque chose. Tu ne fais même pas tes devoirs ! Tu ne fais ABSOLUMENT RIEN. C’est très important !
Dans l’œil de l’ado déprimé, je vois une étincelle passer :
Ma mère m’interdit de faire quoi que soit, même mes devoirs ???? Vache, ça doit être vraiment grave, faut que j’obéisse.
Ce jour là, l’ado est resté 2h sur le canapé, la tête sous la couverture. Il a fini par sortir taper dans un ballon un petit moment.
Le lendemain, il a ouvert son ordi et fait ses devoirs. Le sur-lendemain et tous les jours qui ont suivi il a appelé ses potes pour aller faire du vélo. Il a progressivement retrouvé le sourire.
Il n’était pas encore complètement tiré d’affaire. Mais depuis, quand il déprime, il se couche sur le canapé et attend tranquillement qu’une envie passe par là 🙃😉.
Je profite de cet article pour souligner 2 choses :
La 1e, c’est que j’ai la chance d’avoir acquis professionnellement des connaissances et des compétences qui me permettent d’aider mes enfants face à certaines circonstances de la vie.
(ces compétences qui ont des limites que je dois aussi savoir respecter pour pouvoir envoyer mes enfants vers un professionnel si le besoin s’en fait sentir).
En tant que parent, on peut avoir besoin de bénéficier des connaissances ou des compétences de quelqu’un d’autre, ça ne fait pas de nous un mauvais parent
En tant que parent lambda, vous pouvez vous trouver en difficulté avec un enfant, non par parce que vous êtes un parent incompétent mais parce qu’il vous manque des connaissances plus spécifiques, liées à un contexte bien particulier. Ne pas savoir faire et en tirer la conclusion que vous êtes un mauvais parent, c’est un peu comme dire que vous êtes incapable de faire à manger chaque jour parce que vous ne savez pas préparer le fugu (vous savez ce poisson japonais mortel).
La 2e chose que je veux souligner, c’est la fâcheuse tendance que nous avons à confondre cause et élément du contexte. Quand nos enfants rencontrent une difficulté, les parents font TOUJOURS quelque chose pour essayer de réguler le situation. Il est assez facile d’en conclure que ce sont les actions des parents qui sont la cause des difficultés des enfants. Et pourtant rien n’est plus faux : comportement des parents et des enfants sont indissolublement liés. Chercher à savoir lequel cause l’autre, c’est comme chercher à résoudre le dilemme de l’oeuf ou de la poule. Il est plus pertinent de se demander ce qu’on peut faire pour que la poule ponde de beaux oeufs ou comment arranger les oeufs pour en faire quelque chose de bon plutôt que de savoir qui a causé l’autre. C’est ce que j’essaie de faire dans mon travail en tout cas.
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Bibliographie à propos du 180° …
- « Faites votre 180° ! Vous avez tout essayé et si vous tentiez l’inverse » – Emmanuelle Piquet : une vulgarisation intéressante même si elle peut donner l’idée fausse que le 180° est une baguette magique
- « A la recherche de l’Ecole de Palo Alto » – JJ Wittezaele et T Garcia : un travail historique et technique pour comprendre les prémisses théoriques du modèle de Palo Alto et du 180°.
Si vous préférez regarder ou écouter, voici la version vidéo de cet article :
C’est très très intéressant comme approche, et je suis convaincue que ça marche !
Accueillir ce qui est. Et souvent, quand on est dans l’accueil et non plus dans l’action/la lutte, les choses bougent toutes seules.
Merci pour cet article très inspirant.
L’accueil seul ne marche pas toujours mais il est quand même souvent un premier pas intéressant :-).
Bonjour, comme toujours, je trouve vos articles inspirants, et je vous remercie pour tous ces partages.
J’aime l’idée que ne pas avoir d’envies peut être aussi l’occasion de ne rien faire, et de l’accepter, peut-être pas comme quelque chose de positif, mais comme une phase qui va évoluer vers du mieux (et si ce n’est pas le cas alors c’est peut-être qu’on a besoin d’être aidé pour y arriver).
Par contre, de part mes observations persos et pros, je suis très inquiète par rapport à l’usage des écrans lors de ces phases d’introspection. Les ados plus âgés que votre fils (+ de 15 ans) ont quasi tous un téléphone à portée de main, et pour certains, c’est un automatisme dès qu’ils n’ont plus d’activité dirigée par un adulte (pauses entre cours ou ateliers, pause du midi en dehors du repas, fin de journée…). J’ai parfois l’impression que cet objet envahit leur cerveau au point de ne plus leur laisser la place à la rêverie, autrement appelée « glandage ».
Dans le cas de votre fils, c’est l’attrait pour les jeux vidéos qui m’aurait inquiétée. Devant l’injonction « tu ne fais que ce dont tu as vraiment ENVIE », le jeune cerveau est-il capable d’admettre qu’il n’a pas vraiment envie de jouer aux jeux vidéos, ou le vide de l’inaction sera-t-il plus angoissant que l’action malheureusement plus ou moins contrainte par des mécanismes de type addictifs ?
Voilà ma réaction du jour à votre article !
Les écrans sont trop souvent vus comme un problème alors qu’ils ne sont qu’un symptôme. On peut être grand utilisateur d’écrans sans avoir le moindre problème (les données scientifiques d’observation vont d’ailleurs dans le sens d’un discours très mesuré sur les effets négatifs des écrans contrairement aux propos alarmiste et simplistes qu’on entend trop souvent).
De plus, comme je l’explique, mon fils a beaucoup d’autres centres d’intérêts, il a 18 de moyenne générale en classe de 4e, est un sportif accompli (il va candidater pour entrer au pole espoir régional de son sport et a des chances d’être admis, il a beaucoup d’amis avec qui il sort régulièrement, etc). Donc non les écrans ne sont pas un problème.
S’il y a addiction le pb n’est pas dans la substance (ici les écrans) mais dans l’usage qui en est fait : une addiction consiste à remplacer une émotion par une sensation physique. Si ce mécanisme d’évitement est absent, que c’est juste un plaisir supplémentaire, au même titre qu’un enfant qui pratiquerait le piano ou le dessin plusieurs heures par jour il n’y a pas de pb lié aux écrans.
Merci pour ce petit rappel d’un 180 degrés tout simple, on y pense chez un adulte mais parfois chez l’ado on n’ose pas ( vu qu’il peut déjà passer pas mal de temps sur le dit canapé mais c’est un 180 car on le prescrit ce fameux canapé, et ça me donne des idées pour une jeune patiente)
super !
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