La colère chez les enfants

Comprendre la colère chez les enfants n’est pas toujours simple. Pourtant, cette émotion est très présente chez eux. Pourquoi est-elle si fréquente chez les plus jeunes ? Comment y réagir sans l’étouffer ni l’alimenter ? Dans cet épisode de Du Côté des Parents, j’explore les origines de la colère infantile, ses spécificités et les stratégies pour accompagner les enfants à mieux la gérer. Entre frustration développementale, besoin d’autonomie et apprentissage progressif de la régulation émotionnelle, découvrez comment adopter une posture aidante sans tomber dans les pièges classiques.

Pour écouter ce nouvel épisode du podcast en audio, c’est par ici :

Ep. 11 La colère chez les enfants Du côté des parents !

Episode 11 – "Du côté des parents !" : La colère chez les enfantsLa colère chez les enfants, plus particulièrement les plus petits : des explosions, pas toujours compréhensibles pour les adultes.Un épisode pour comprendre les spécificités de la colère chez les enfants et avoir des pistes pour y réagir d'une manière plus efficace et moins épuisante pour les parents !— 🔗 LIENS ET RESSOURCES 🔗 —-mon blog pour avoir les articles sur l'écoute dont je parle et la retranscription de l'épisode :https://blog.scommc.fr/la-colere-chez-les-enfants/vous abonner à ma newsletter :⁠⁠⁠⁠https://mailchi.mp/scommc/podcast⁠⁠⁠⁠pour en savoir plus sur mon travail (conférences, formations et accompagnements) :⁠⁠⁠⁠https://scommc.fr/⁠⁠⁠⁠Pour faire un don :⁠⁠⁠⁠https://bit.ly/donducotedesparents⁠⁠⁠⁠— 📩 POUR ME CONTACTER 📩 —- par mail :⁠⁠⁠⁠sandrine@scommc.fr⁠⁠⁠⁠ sur Facebook :⁠⁠⁠⁠https://www.facebook.com/SandrineDonzelSCommC/⁠⁠⁠⁠ sur Instagram :⁠⁠⁠⁠https://www.instagram.com/sandrinedonzel/⁠⁠⁠⁠ sur LinkedIn :⁠⁠⁠⁠https://www.linkedin.com/in/sandrinedonzeljuge/⁠⁠⁠⁠— CREDITS —–Musique : Guiton Sketch de Kevin MacLeod , licence : ⁠⁠⁠⁠https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/⁠⁠⁠⁠Source : ⁠⁠⁠⁠http://incompetech.com/music/royalty-free/index.html?isrc=USUAN1100473⁠⁠⁠⁠Artiste : ⁠⁠⁠⁠http://incompetech.com/⁠

A noter : cet épisode est le 3e d’une série sur la colère. Voici les autres épisodes sur le sujet :

  • conversation sur la colère : au cours d’une discussion avec ma collègue et amie Cécile Guinnebault, nous identifions les grands principes de la colère et ses mécanismes, en faisant le parallèle entre la colère en famille et la colère au travail
  • Mieux comprendre la colère : je reviens sur les mécanismes de la colère et ce qui peut générer ses emballements
  • La colère des enfants : cet article
  • La colère des parents : à venir

Ah, la colère ! Une émotion qui nous met souvent en difficulté, qu’il s’agisse de la nôtre ou de celle des autres. On aimerait s’énerver moins, voire pas du tout, et que les autres soient aussi moins en colère contre nous. Cette émotion est mal vue, mal aimée et souvent mal comprise. Pourtant, elle est essentielle et porte un message important comme on l’a vu dans les épisodes précédents.

Chez les jeunes enfants, la colère ressemble souvent à une tempête émotionnelle. Nous avons parfois du mal à y répondre de manière bienveillante : respecter leurs émotions tout en leur apprenant à les réguler. Dans cet épisode, nous verrons comment trouver l’équilibre entre ces deux aspects, en trois grands points :

  1. Les spécificités de la colère chez les jeunes enfants. Comprendre ces particularités aide à mieux réagir et à relativiser ces colères et à moins s’en effrayer ou s’en sentir dérangé, mais aussi pour vous donner des pistes pour faire de la « prévention ». Se sentir stable et en confiance face à l’émotion aide vraiment à y répondre de manière pédagogique pour l’enfant et en restant en ligne avec vos intentions bienveillantes.
  2. Les stratégies pour accompagner l’enfant au moment où la colère se manifeste. Comment intervenir au moment de la colère pour apaiser la situation ? Je vais aborder 2 grandes familles de réactions des parents qui, bien que parfaitement logiques et bien intentionnées, peuvent avoir comme effet d’augmenter la colère au lieu de l’apaiser et je vous dirai comment on peut s’en sortir.
  3. Les erreurs fréquentes des parents qui aggravent la colère. Pourquoi certaines réactions, bien que logiques, entretiennent-elles les crises ?

La colère, une émotion pas si différente chez les enfants et les adultes

La colère est une réaction logique face à une situation perçue comme injuste ou frustrante. Les enfants, comme les adultes, la ressentent lorsqu’ils ne sont pas pris en compte, que quelque chose ne se passe pas comme ils l’avaient imaginé ou qu’ils se sentent impuissants. Et ça se produit à peu près dans les mêmes circonstances et contextes.

Cependant, les jeunes enfants ont plus de difficultés à la réguler. Lorsqu’elle déborde, elle peut conduire à des cris, des jets d’objets ou des gestes agressifs.

Remarquez bien que chez les adultes aussi les colères mal régulées peuvent conduire à des débordements émotionnels et des accès de violence ! Et c’est bien sûr là que ça devient problématique.

Mais, dans les grandes lignes, la colère chez les enfants et les adultes obéit aux mêmes mécanismes. J’en reparlerai dans l’épisode sur la colère des parents,

Pourquoi la colère est-elle si fréquente et si intense chez les jeunes enfants ?

Chez les enfants, les explosions de colère, les débordements émotionnels sont bien plus intenses et fréquents que chez les adultes. Ils amènent aussi plus souvent à des comportements non socialement acceptables (crier, jeter, taper, etc). Qu’est-ce qui explique cette présence importante de la colère ?

1. La frustration développementale

Les enfants manquent d’outils et de compétences pour atteindre leurs objectifs.

Par exemple, ils savent ce qu’ils veulent dire, mais leur articulation ne suit pas : ils connaissent le mot mais ce qui sort est une soupe de sons incompréhensibles et ils s’en rendent compte (cf les travaux d’Alison Gopnik sur le développement des enfants).

Elle montre par exemple que, dès 4 mois un bébé à qui on montre des images diverses, dont une pomme, et à qui on fait entendre le mot « pomme » porte ses yeux sur l’image représentant la pomme. Mais il est incapable de l’articuler ! Imaginez-vous dans la même situation : à connnaitre les mots, à savoir ce qu’il faut dire mais à ne pas parvenir à les faire sortir de votre bouche !!! Les connexions entre votre cerveau, votre langue, vos muscles, ne le permettent pas encore. Vous pensez « gâteau » et ce qui sort c’est « babo ». Il y a de quoi être frustré non ???

Ou alors ils veulent attraper un objet, mais leurs gestes manquent de précision. Cette incapacité à exprimer leurs besoins de manière efficace crée une frustration constante, qui alimente leur colère.

En tant qu’adulte, on oublie souvent le nombre de compétences qu’il nous a fallu acquérir pour faire les gestes du quotidien.

Attraper un verre d’eau nous semble naturel … Mais nous oublions les compétences que nous avons dû acquérir pour y parvenir !

Attraper un verre d’eau par exemple n’est pas aussi simple qu’il y parait. Il faut commencer par évaluer correctement la distance entre le verre et vous, estimer sa taille et son poids sans le toucher ni le soulever, juste en le regardant.

Il faut ensuite coordonner l’ouverture de la main et l’extension du bras, en veillant à ne pas ouvrir la main trop tôt – ce qui reste sans conséquence majeure – ni trop tard, au risque de heurter le verre et de le faire tomber.

Si l’évaluation du poids est incorrecte, plusieurs erreurs peuvent survenir :

  • Si le verre est perçu comme plus léger qu’il ne l’est réellement, son poids surprendra et le soulèvement sera plus difficile.
  • À l’inverse, une surestimation du poids entraînera un geste trop brusque, risquant de renverser de l’eau.

La capacité à évaluer précisément ces paramètres et à coordonner les mouvements est le fruit de la maturation du cerveau, en particulier en ce qui concerne la coordination, mais aussi de l’expérience. C’est en manipulant de nombreux objets que l’on développe, de manière inconsciente, l’aptitude à les soulever avec justesse. Et cette expérience manque précisément aux enfants ! (mais je reviendrai sur cet aspect de l’expérience par la suite).

C’est un peu comme si le vase de frustration des jeunes enfants était en permanence rempli à ras bord du fait de cette frustration développementale. Chaque toute petite frustration supplémentaire peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Tout ce qui va aider l’enfant à mieux se faire comprendre sera utile pour faire baisser globalement le niveau de colère. Des outils graphiques (pictogrammes, émoticones, etc), la langue des signes pour les bébés, etc.

Dans la frustration développementale entre aussi le contrôle sur sa vie !

Moins on a de contrôle sur sa vie, plus on risque de ressentir de la colère. Et par définition, la vie des enfants tout petits, elle est entièrement soumise ou quasiment entièrement soumise au contrôle par d’autres, les adultes, les parents qui l’entourent.

Vers 18 mois / 2 ans, l’enfant a envie de faire les choses par lui-même. Mais il est souvent bloqué dans son autonomie ou ses expériences parce que son entourage craint qu’il se fasse mal ou n’a pas le temps de le laisser faire ses expériences.

Pourtant, plus il peut exprimer son autonomie, moins il risque de s’opposer systématiquement. Favoriser son autonomie dans la mesure du possible permet de réduire le niveau global de colère.

En plus l’autonomie a d’énormes avantages sur la confiance en soi par la suite (mais j’en reparlerai dans d’autres épisodes).

2. Le manque d’expérience

L’apprentissage des stratégies de régulation émotionnelle ne se fait pas en un jour. Les jeunes enfants ont besoin de temps et d’accompagnement pour identifier d’abord les comportements socialement acceptables, ce qui nécessite des explications répétées. Mais ils doivent aussi apprendre progressivement à les appliquer dans différentes situations.

Cela me rappelle l’expérience du chamallow, souvent citée en psychologie. Dans cette expérience menée aux États-Unis, un expérimentateur place une assiette de chamallows devant un enfant et lui explique qu’il doit s’absenter un moment. Il lui donne alors une consigne : s’il parvient à ne pas toucher aux bonbons jusqu’à son retour, il en recevra davantage en récompense. L’objectif est d’observer comment l’enfant gère l’attente et la tentation.

Une fois l’expérimentateur sorti, l’observation commence : l’enfant va-t-il manger les chamallows ou réussir à patienter ? Comment réagit-il face à la tentation ?

Cette expérience a souvent été interprétée de manière erronée, mais l’un des enseignements qu’on peut en tirer est que les enfants qui parviennent à attendre sont ceux qui disposent déjà de stratégies pour détourner leur attention. Ils regardent par la fenêtre, fixent le plafond, comptent des objets, chantonnent ou se racontent des histoires.

Les stratégies pour faire face et gérer son émotion s’apprennent, exactement comme on apprend à marcher ou même à lire ... et supposent qu’on a droit à l’erreur (donc qu’on ne gère pas bien ses émotions au début !!!)

Ces stratégies de régulation ne sont pas innées, elles s’acquièrent progressivement. Une partie s’apprend en observant l’entourage, mais c’est surtout par l’expérience que les enfants intègrent les méthodes les plus efficaces. La principale différence entre un enfant et un adulte réside d’ailleurs dans l’accumulation de ces expériences : plus on grandit, plus on développe de stratégies pour gérer l’attente et la frustration (tout simplement parce qu’on a eu plus d’occasions d’y être confronté et d’essayer des choses !).

Un autre point essentiel est la capacité à relativiser. Les frustrations et colères des enfants nous paraissent parfois totalement disproportionnées, voire absurdes. Pourtant, si nous les trouvons excessives, c’est parce que notre propre expérience nous permet de mettre ces contrariétés en perspective.

Avec le temps, nous avons appris à gérer l’attente et la frustration, car nous savons que certaines choses finiront par arriver. Nous avons vécu des situations plus difficiles, nous sommes capables de nous projeter sur le long terme et d’anticiper des solutions. Par exemple, si vous entrez dans une pâtisserie et que votre gâteau préféré est en rupture de stock, même si vous en aviez très envie – voire même besoin après une mauvaise journée –, vous ne vous effondrerez pas de désespoir. Pourquoi ? Parce que vous savez qu’au pire, vous pourrez l’acheter demain, ou encore que d’autres gâteaux, déjà testés et appréciés, peuvent aussi faire l’affaire, même si le plaisir n’est pas exactement le même.

Ce type d’ajustement repose sur l’expérience et la connaissance des alternatives possibles, des éléments qui manquent souvent aux enfants. C’est ce qui explique pourquoi leurs réactions peuvent sembler démesurées. Cependant, leur transmettre directement cette expérience ne suffit pas toujours à les aider à mieux gérer leurs frustrations – un point que j’aborderai plus en détail par la suite.

Fournir aux enfants des repères basés sur l’expérience peut les aider à mieux réguler leur colère et à l’exprimer de manière socialement acceptable. Il existe plusieurs façons de le faire, et l’une d’elles repose sur ce que j’appelle le partage social des émotions.

Cela consiste à partager ses propres émotions et stratégies, en expliquant comment on vit et gère certaines situations. Mais cet échange doit rester subtil. Si l’on tombe trop dans le conseil direct – du type « Regarde comme je fais, c’est comme ça qu’il faut faire » –, on risque d’aggraver la frustration de l’enfant plutôt que de l’apaiser.

C’est un peu comme si vous étiez en difficulté sur un projet au travail et qu’un collègue arrivait en vous montrant, avec désinvolture, comment faire en quelques gestes rapides et en disant « mais enfin c’est pourtant simple, tu fais comme ça !!!« .

Plutôt que de vous aider, cette démonstration pourrait renforcer votre agacement, en soulignant encore davantage votre difficulté du moment.

Ce genre de situation aurait de grandes chances de nous agacer, et il en va de même pour les enfants. Les formulations les plus efficaces sont celles qui laissent une marge de manœuvre, comme : « Tu sais, quand je suis vraiment en colère, moi, je fais comme ça. Si tu veux essayer pour voir si ça marche pour toi, n’hésite pas. »

Ce type d’approche fonctionne mieux car il préserve la relation. Plutôt que d’imposer une méthode, il offre à l’enfant une option qu’il peut enregistrer et tester à son rythme. Cela lui permet aussi de se sentir reconnu comme quelqu’un de capable d’expérimenter, de choisir et d’apprendre par lui-même. Et c’est justement ce qui est important dans cet apprentissage.

Lire des livres, regarder des films ET en parler avec les enfants est une manière efficace d’apprendre à réguler ses émotions.

Une autre manière d’utiliser le partage social des émotions est de passer par les albums, les livres ou les dessins animés où des personnages vivent différentes émotions, notamment la colère. L’objectif ne se limite pas à la lecture ou au visionnage : il s’agit surtout d’en discuter ensuite, en analysant les émotions des personnages et les stratégies qu’ils adoptent. C’est à travers ces échanges que l’enfant enrichit son expérience en matière de régulation émotionnelle.

Là encore, il est important de garder une posture ouverte : « Tiens, lui, il réagit comme ça. Qu’en penses-tu ? Est-ce que ça te semble une bonne idée ? Quels pourraient être les avantages et les inconvénients de cette stratégie ? Dans quelles situations ça marcherait bien, et quand est-ce que ce serait plus compliqué ? »

Ce type de réflexion aide l’enfant à comprendre que certaines approches fonctionnent mieux dans certains contextes que dans d’autres. L’expérience ne s’acquiert pas uniquement par l’observation ou la discussion, mais aussi en proposant à l’enfant des stratégies alternatives qu’il pourra tester lui-même.

Plutôt que de lui dire ce qu’il ne doit pas faire, il est plus efficace de lui proposer une alternative concrète : « La prochaine fois que tu seras très en colère parce que ton frère refuse de te rendre ton jouet et que tu auras envie de le taper, tu pourrais… »

À ce moment-là, on propose des options adaptées : « Tu peux venir m’en parler. Tu peux lui dire calmement : ‘Je veux récupérer mon jeu, s’il te plaît.’ »

L’essentiel ici est d’être réaliste. L’enfant ressentira effectivement l’envie de frapper, et il ne sert à rien de minimiser cette impulsion. Au contraire, c’est en reconnaissant pleinement ce qu’il vit qu’il sera plus enclin à tester une autre manière de réagir.

Enfin, une dernière stratégie préventive, souvent sous-exploitée mais très efficace, est ce que j’appelle l’entraînement à froid. Il s’agit de rejouer avec l’enfant les scènes qui le mettent en difficulté, en prenant un rôle dans la situation et en l’aidant à expérimenter différentes façons de réagir. Ce type de mise en situation ludique permet d’explorer et d’intégrer de nouvelles stratégies de gestion des émotions de manière plus naturelle.

J’en avais parlé ici.

Un point essentiel à retenir :

Ces apprentissages se font à froid, et non au moment où l’émotion est à son paroxysme. On peut éventuellement intervenir lorsque l’émotion est d’intensité faible ou modérée, mais en général, il est préférable d’éviter d’expliquer ou de rappeler les règles à chaud.

Lorsque l’émotion est à son pic, l’enfant n’est tout simplement pas disponible pour écouter ou intégrer quoi que ce soit. C’est souvent là que les adultes se retrouvent en échec : on tente de poser un cadre, de rappeler les règles, alors que l’enfant est encore submergé par ce qu’il ressent. Or, dans ces moments-là, il ne peut pas entendre ni réfléchir, ce qui rend ces interventions inefficaces.

Je reviendrai plus tard sur les stratégies adaptées aux situations où l’émotion est déjà bien installée, et sur la meilleure manière d’y réagir en temps réel.

3. L’impulsivité

Passons maintenant au dernier point qui distingue profondément les jeunes enfants des adultes : l’impulsivité.

Avant 7 ou 8 ans, et plus particulièrement avant 3 ans, le cerveau des enfants est encore en plein développement. L’une des différences majeures avec les adultes est leur difficulté à retenir ou à inhiber leurs réactions.

Lorsqu’une émotion surgit, elle s’exprime immédiatement et parfois de manière spectaculaire : cris, gestes brusques, réactions intenses. On peut faire un parallèle avec les compétences motrices : des recherches ont montré que la capacité à contrôler un geste—ne pas le laisser partir dans tous les sens—est directement liée à la capacité à moduler ses réactions émotionnelles. Tant que cette maturité cérébrale n’est pas acquise, il est donc difficile pour un enfant de faire autrement.

Cela ne signifie pas qu’il faut tout accepter, mais il est essentiel de garder à l’esprit que ces apprentissages prennent du temps.

Dans les structures de la petite enfance où j’interviens lors de formations ou d’analyses de pratiques, il est courant que les équipes proposent à un enfant ayant du mal à se contenir de s’éloigner temporairement du groupe.

S’il est sous l’emprise d’une forte émotion et risque de taper ou de mordre, une approche respectueuse et éducative consiste à lui dire : « Pour l’instant, c’est trop difficile pour toi de te retenir de taper, alors je te mets ici. ».

L’idée n’est pas de l’isoler, mais plutôt de réduire temporairement les stimulations du groupe, afin de l’aider à retrouver un apaisement et à mieux gérer ses réactions.

Je reviendrai plus tard sur la question des sur-stimulations. En attendant, proposer à un enfant un espace où il peut se calmer en sécurité l’aide à retrouver une interaction apaisée avec les autres, sans risque de gestes violents.

Il ne s’agit pas d’un time-out punitif où l’on l’isole pour « lui faire comprendre la leçon », mais d’un moment de protection. On reconnaît simplement que, sur le moment, c’est trop difficile pour lui et qu’il ne peut pas encore faire autrement. Cette approche est souvent plus aidante et efficace.

J’espère que ces éléments vous permettent déjà de relativiser la gravité des colères des jeunes enfants. Globalement, ils invitent à une plus grande tolérance de la part des adultes face aux manifestations émotionnelles des tout-petits.

À ce sujet, j’aimerais évoquer le livre Les émotions chez l’enfant, développement typique et atypique d’Évelyne Thommen. Cette chercheuse met en lumière un point intéressant : accorder trop d’attention aux émotions des enfants, notamment en les sermonnant ou en insistant systématiquement sur ce qui ne se fait pas, semble favoriser davantage de comportements émotionnels intenses par la suite. À l’inverse, une attitude légèrement plus détachée ou une approche humoristique—non moqueuse, mais dédramatisante—est souvent associée à une meilleure régulation émotionnelle. Un point à garder en tête !

Comment réagir face à la colère des enfants ?

Vous aimeriez sans doute disposer d’outils plus concrets pour gérer les manifestations émotionnelles lorsqu’elles surviennent en pleine crise. Avant d’y venir, j’aimerais vous aider à mieux comprendre ce qui se joue dans ces moments-là.

Imaginez la situation suivante en revenant à l’exemple de la pâtisserie et du gâteau indisponible. Supposons que vous ayez passé une journée catastrophique : les urgences se sont enchaînées, vous avez subi des remarques désagréables de collègues, de clients ou de votre supérieur, et tout au long de la journée, une seule pensée vous a aidé-e à tenir : « Vivement ce soir, je vais aller chercher mon gâteau préféré et me réconforter avec. »

Enfin, la journée se termine. Vous sortez du travail, vous filez vers votre pâtisserie favorite, vous commandez votre gâteau… et là, on vous annonce qu’il n’y en a plus. Frustration intense, déception, agacement.

« oh ça va ! Ce n’est pas si grave ! Tu ne vas pas nous faire un fromage pour ton gateau au chocolat, tu n’as qu’à prendre une tarte au citron !!!« 

Y a que moi que ça énerve de s’entendre dire ça !!!

Maintenant, imaginez que vous soyez accompagné d’une personne – un ami, un conjoint, peu importe – qui vous lance : « Oh ça va, ce n’est qu’un gâteau au chocolat, prends donc une tarte au citron ! »

Probablement que cette remarque, loin d’apaiser votre frustration, l’intensifie. Non seulement vous êtes déjà contrarié-e par la situation, mais en plus, votre interlocuteur semble totalement à côté de la plaque. Il ne comprend pas l’importance que ce gâteau avait pour vous.

Cet exemple illustre un point clé : certaines réponses ou attitudes ne font qu’amplifier une émotion déjà forte, même si elles sont, en théorie, logiques et rationnelles.

Bien sûr, prendre une tarte au citron pourrait être une alternative valable si vous aimez ça … mais sur l’instant, ce n’est pas ce que vous avez envie d’entendre !

Il est donc essentiel de comprendre que face à une émotion intense, certaines réactions risquent de l’aggraver, tandis que d’autres – sans forcément la faire disparaître immédiatement – peuvent aider à mieux la traverser. J’y reviendrai plus en détail par la suite.

Le même phénomène se produit lorsqu’un adulte donne à un enfant une réponse du même type. Si, en plein moment de crise, on lui rappelle trop fermement le cadre—« Tu vois bien que ce n’est pas possible, tu ne peux pas réagir comme ça ! »— alors qu’il n’est pas en état d’écouter, cela ne peut qu’aggraver la situation. Comme je l’ai mentionné plus tôt, lorsque l’émotion est à son pic, l’enfant a un accès réduit à ses capacités de raisonnement et de maîtrise. Il connaît peut-être très bien la règle, mais sur l’instant, il est incapable de l’appliquer.

Quand nos réponses d’adultes contribuent à faire déborder l’émotion de l’enfant …

Si les adultes présents se concentrent uniquement sur le rappel des règles sans prendre en compte l’émotion de l’enfant, il y a un fort risque que cette émotion s’intensifie. C’est comme si l’enfant cherchait à dire : « Mais reconnais à quel point cette situation est difficile pour moi ! » Exactement comme vous, dans la pâtisserie, pourriez avoir envie de répondre : « Ce n’est pas une tarte au citron que je veux, c’est mon gâteau au chocolat ! Tu ne comprends pas à quel point c’est important pour moi ? »

Dans ces moments-là, l’enfant peut manifester encore plus de colère, non pas parce qu’il refuse de comprendre, mais parce qu’il ne se sent pas compris. Face à cette montée d’émotion, l’adulte a alors tendance à insister encore davantage sur les règles, ce qui ne fait qu’alimenter le cercle vicieux. L’enfant s’énerve de plus en plus, l’adulte se sent impuissant à le calmer ou à le faire respecter le cadre, et la situation dégénère en une crise où chacun perd patience.

Un repère simple à garder en tête : si rappeler le cadre aide l’enfant à s’apaiser, aucun souci. Mais si cela ne fait qu’aggraver la situation, il est important de se rappeler qu’on ne peut pas simultanément aider un enfant à réguler son émotion et lui rappeler les règles. Ce sont deux démarches distinctes, et il faudra choisir laquelle privilégier en fonction du moment.

Alors, comment accompagner un enfant à travers une émotion intense si l’on constate que rappeler le cadre ne fonctionne pas ? C’est ce que nous allons voir maintenant.

Parlons maintenant de l’importance de l’écoute.

Reprenons l’exemple du gâteau indisponible. Ce qui vous aiderait le plus dans cette situation, ce ne serait pas quelqu’un qui minimise votre frustration, mais plutôt une personne empathique qui reconnaît votre déception.

Par exemple, quelqu’un qui dirait : « Ah mince, après la journée que tu viens de passer, je comprends que ce soit vraiment dur de ne pas avoir ton gâteau. Est-ce que tu préfères laisser tomber et revenir demain, ou bien essayer un autre dessert malgré tout ? »

Remarquez que la suggestion de prendre un autre gâteau n’arrive qu’après l’écoute et l’empathie. Ce point est essentiel. L’écoute ne change rien à la situation : vous restez déçu-e, frustré-e, et vous n’avez toujours pas votre gâteau.

Mais ce qu’apportent l’écoute et l’empathie, c’est du courage pour mieux supporter la frustration. Et c’est précisément le rôle de l’écoute dans l’accompagnement des émotions : aider l’enfant à traverser un moment difficile, sans pour autant chercher à effacer l’émotion ou à modifier la situation.

Ce point est fondamental, et il mérite d’être souligné : si l’on ne revient pas sur la décision initiale, l’enfant restera fâché ou triste. On ne peut pas supprimer l’émotion. En revanche, on peut offrir un cadre qui lui permette de l’affronter avec plus de ressources.

Cela nous amène à la relation entre colère et tristesse.

Comme je l’ai mentionné précédemment, la colère est une émotion qui nous donne l’énergie nécessaire pour agir et tenter de changer une situation. Il est donc logique et adapté d’éprouver de la colère lorsqu’on croit encore qu’un changement est possible.

Lorsqu’un enfant exprime de la colère, il tente simplement de faire changer la situation en sa faveur. C’est une réaction naturelle et logique. Mais lorsque le changement n’est pas possible, il doit alors apprendre à renoncer. Et ce passage du refus à l’acceptation est précisément le rôle d’une autre émotion : la tristesse.

Si le parent ne peut pas – ou ne veut pas – modifier la situation (le verre bleu est cassé, le chat est mort, il est l’heure d’aller se coucher), l’enfant ne pourra réellement sortir de la colère que lorsqu’il aura traversé cette tristesse.

C’est la tristesse qui permet le plus souvent de sortir de la colère …

C’est pour cette raison que l’empathie est essentielle face à la frustration. La tristesse est une émotion douloureuse, et renoncer à quelque chose est difficile. Dans ces moments-là, on a souvent besoin d’être soutenu, de sentir que quelqu’un est là, même si, en tant qu’adultes, la situation nous paraît anodine.

Pour mieux comprendre ce processus, prenons un exemple concret.

Cette prise de conscience m’est venue lors d’une expérience vécue avec l’un de mes enfants lorsqu’il était tout petit. Ce jour-là, il voulait absolument aller jouer dans une petite piscine sur la terrasse, alors que j’étais en train de préparer le repas. Comme il avait moins de deux ans, le laisser dehors seul était évidemment hors de question pour des raisons de sécurité.

Il me faisait clairement comprendre son envie, et de mon côté, je lui expliquais que ce n’était pas possible. J’essayais de lui rappeler le cadre, le contexte… mais cela ne faisait qu’intensifier sa colère. Alors, j’ai tenté une approche plus empathique en reformulant : « Oui, tu es très en colère, c’est vraiment frustrant pour toi. » Mais cela ne changeait rien, il continuait à insister, à me tirer par la main, déterminé à me faire comprendre son envie.

C’est alors que je me suis souvenue que ce qui permet de sortir de la colère, c’est la tristesse. L’enfant ne peut vraiment tourner la page que lorsqu’il se sent soutenu dans le fait de renoncer. J’ai donc changé ma manière de reformuler, en mettant l’accent non plus sur sa frustration, mais sur la difficulté de renoncer :

« Oui, c’est dur de ne pas pouvoir aller dans la piscine. Tu en avais très envie, et c’est vraiment difficile pour toi. »

À ce moment-là, son attitude a changé. Plutôt que de continuer à s’énerver et à insister, il s’est assis par terre et s’est mis à pleurer. C’était un signe positif : cela signifiait qu’il avait compris que sa demande ne pourrait pas aboutir et qu’il pouvait commencer à accepter la situation. Mon soutien l’a aidé à traverser cette frustration sans rester bloqué dans la colère.

Ce qui est important à retenir, c’est que si un enfant reste trop longtemps dans la colère, c’est souvent parce qu’il ne se sent pas accompagné pour traverser la tristesse qui vient ensuite. Or, la tristesse est une émotion difficile à accepter, même pour un adulte. En tant que parent, l’écoute et l’empathie sont donc essentielles, car ce sont elles qui donneront à l’enfant le courage de renoncer et d’accepter une situation qu’il ne peut pas changer.

À l’inverse, si l’on revient sur sa décision par empathie pour l’enfant, cela peut l’apaiser à court terme, mais cela ne l’aidera pas forcément à apprendre qu’il peut traverser la tristesse et renoncer. Or, c’est un apprentissage essentiel : comprendre que, même si c’est difficile sur le moment, la frustration finit par passer. Bien sûr, céder ponctuellement ne pose pas de problème, mais si cela devient systématique, l’enfant risque de ne jamais expérimenter pleinement ce processus.

C’est pourquoi, au moment où l’émotion est à son paroxysme, ce qui aide généralement l’enfant n’est pas de lui rappeler les règles ou de ré-expliquer le cadre, mais d’adopter une posture empathique. L’écoute et l’attention aux émotions font partie de cette empathie. Il ne s’agit pas d’essayer de supprimer ou de minimiser ce que l’enfant ressent, ni même de chercher à apaiser immédiatement son émotion, mais plutôt de lui donner le courage nécessaire pour l’affronter.

Ce qui apaise un enfant dans ces moments-là, c’est de sentir qu’on reconnaît sa difficulté, qu’on comprend ce qu’il traverse. Et c’est précisément cette validation qui l’aide à dépasser sa colère et à passer à autre chose.

J’avais d’ailleurs abordé cette spécificité de l’écoute dans l’article intitulé « L’écoute active pour mieux aider mon enfant à gérer ses émotions ». De nombreuses personnes ont trouvé cette approche aidante pour comprendre l’importance de l’écoute et son véritable rôle.

Un dernier point à garder en tête : l’écoute active n’est pas une baguette magique. Elle peut réellement aider l’enfant à surmonter une émotion, mais seulement si celui-ci n’a pas déjà complètement dépassé ses limites.

Quand les enfants sont hors limites, il n’y a plus rien à faire à part attendre que ça passe.

Les tout-petits, lorsqu’ils sont submergés par leurs émotions, peuvent atteindre un point où ils ne sont plus réceptifs à rien. Dans ces moments-là, même tenter de leur montrer qu’on les comprend ou qu’on les soutient peut être contre-productif. Parler à un enfant en pleine crise ne fait souvent qu’ajouter une stimulation supplémentaire – du bruit, une interaction de plus – qui risque d’amplifier son débordement plutôt que de l’apaiser.

Il est essentiel de comprendre que lorsqu’un enfant est complètement hors limite, toute stimulation excessive – lumière, bruit, paroles – ne fait qu’intensifier son état.

Dans ces situations, plutôt que d’essayer d’intervenir, le mieux à faire est simplement d’attendre que l’émotion redescende. Cela ne signifie pas l’ignorer ou le laisser seul, mais plutôt être là sans en rajouter, en adoptant une posture calme et contenante.

Concrètement, cela peut se résumer à constater ce qui se passe – « Je vois que c’est très difficile pour toi » – et accepter qu’il n’y ait rien d’autre à faire qu’attendre. On s’assoit à côté, on reste présent, sans chercher à intervenir activement.

Beaucoup de parents s’inquiètent en entendant cela et craignent que l’attente soit interminable. « Mais ça va durer des heures ! » est une réaction fréquente. Pourtant, lorsque l’enfant n’est plus submergé par des tentatives d’apaisement ou d’explication, l’émotion finit généralement par s’atténuer d’elle-même, plus vite qu’on ne le pense.

En effet, parfois, même nos tentatives bien intentionnées pour apaiser une émotion reviennent à remettre une pièce dans le jukebox.

Pour ceux qui ne connaissent pas – et oui on n’en trouve plus dans les bars ! – un jukebox est une machine qui contient plusieurs disques : on insère une pièce, on choisit une chanson, et la musique démarre. Tant qu’on continue à mettre des pièces, la machine tourne et joue de la musique sans interruption.

Eh bien, nos interventions face à la colère d’un enfant fonctionnent parfois de la même manière. Chaque tentative pour calmer l’émotion – un rappel du cadre, une explication, une proposition alternative – peut, sans qu’on le veuille, relancer la colère pour un tour. Cela donne l’impression que si l’on ne fait rien, la crise risque de durer des heures. Mais en réalité, si l’on cesse d’alimenter le cycle, si personne ne vient relancer l’émotion en tentant de la raisonner ou de la contenir de force, elle finit généralement par s’apaiser d’elle-même.

Je vous invite à expérimenter cette approche : attendre que ça passe. Être présent, sans chercher à intervenir activement, peut rendre beaucoup plus difficile pour l’enfant de maintenir sa colère sur la durée.

Et si rien de tout ça ne fonctionne ? Comment faire face aux colères répétitives et inarrêtables ?

Maintenant que nous avons abordé quelques pistes concrètes pour gérer la colère sur le moment, j’aimerais approfondir les situations où ces approches semblent inefficaces.

Ce sont généralement ces cas de colères débordantes et répétitives que je retrouve en accompagnement, lorsque les parents ont le sentiment que rien ne fonctionne et que la situation est devenue ingérable.

L’un des premiers facteurs qui peut aggraver ces crises, comme je l’ai mentionné précédemment, est le fait d’être trop centré sur la règle et pas assez sur l’émotion. Si l’on passe son temps à rappeler ce qui ne va pas, comment l’enfant devrait s’exprimer ou ce qu’il devrait faire à la place, sans prendre en compte le contexte et la source de sa colère, il peut finir par se sentir incompris, ce qui intensifie encore son débordement émotionnel.

Prenons deux exemples pour illustrer l’importance du contexte dans la gestion des colères.

Quand on agit sur la colère et pas sur le contexte qui la génère

Le premier concerne un petit garçon qui exprime beaucoup de colère, notamment envers sa petite sœur. Ses parents insistent sur le fait qu’« il doit aimer sa sœur » et qu’« il ne peut pas se mettre en colère contre elle comme ça ». Autrement dit, l’accent est mis principalement sur les règles et les attentes comportementales, mais sans réelle prise en compte de son émotion ou du contexte qui alimente sa frustration.

Or, si l’on regarde la situation de plus près, ce petit garçon de trois ans a vu son quotidien bouleversé depuis l’arrivée de sa sœur d’un an et demi. Depuis qu’elle est là, il se retrouve limité dans certaines de ses libertés et son autonomie.

Un exemple concret : il a toujours aimé aller dans le jardin ramasser des tomates cerises. Il sait reconnaître celles qui sont mûres, il est fier de sa capacité à bien les choisir. Mais voilà, maintenant que sa petite sœur le suit partout, elle ramasse aussi des tomates… sauf qu’elle prend n’importe lesquelles. Résultat : ce n’est pas elle qui se fait gronder, mais lui. Ses parents lui reprochent de ne pas avoir fait attention et d’avoir entrainé sa soeur, et il a même perdu le droit d’aller seul dans le jardin.

À son âge, il n’a pas encore la capacité de se dire : « Mes parents gèrent cette situation de manière injuste ». Au lieu de cela, il associe sa frustration à sa sœur et redirige naturellement sa colère contre elle.

Dans un cas comme celui-ci, vouloir simplement lui rappeler qu’il doit être gentil avec sa sœur ou lui expliquer comment exprimer sa colère de façon plus appropriée ne suffira pas. Ce qui alimente réellement sa frustration, c’est une situation perçue comme injuste. Tant qu’on ne prend pas en compte cette source d’injustice et qu’on ne rééquilibre pas la gestion de la situation, sa colère ne pourra pas s’apaiser durablement.

Cet exemple montre bien que certaines colères ne sont pas juste une question d’expression émotionnelle, mais sont directement liées à un contexte qui amplifie la frustration. Lorsqu’on ne prend pas en compte ce contexte, on passe à côté de la véritable source du problème. Et absolument rien ne viendra apaiser la colère tant qu’elle est nourrie par le contexte injuste.

Un autre exemple concerne une petite fille de 4 ans et demi qui faisait des colères très fréquentes depuis longtemps. Ses parents, démunis, avaient déjà consulté de nombreux professionnels qui leur avaient donné des avis variés : certains leur disaient que tout allait bien et que cela finirait par passer, d’autres leur conseillaient de lui laisser plus d’autonomie pour améliorer la situation. Ce dernier conseil n’était pas totalement faux, mais il manquait une compréhension plus fine du problème.

Quand ces parents sont venus me voir, leur principal objectif était de reprendre le contrôle sur les colères de leur fille, car elles semblaient surgir à la moindre contrariété. Chaque annonce d’une consigne ou d’un changement entraînait une crise incontrôlable. À force, ils en étaient arrivés à éviter les sorties pour ne pas avoir à gérer ces débordements. Ils anticipaient ses colères, tentaient de les prévenir ou de les expliquer, et avaient progressivement réduit son autonomie par peur que la situation leur échappe.

Mais paradoxalement, plus ils tentaient de contrôler les colères, plus ils perdaient ce contrôle.

Leur frustration et leur impuissance grandissaient, et ils en venaient eux-mêmes à se mettre en colère contre leur fille. Ils redoutaient chaque nouvelle crise, vivaient dans l’appréhension, et cette tension rendait la situation invivable.

Je leur ai donc proposé une stratégie complètement différente : arrêter de vouloir contrôler ce qui ne peut pas l’être. Plutôt que d’essayer de supprimer la frustration ou d’empêcher leur fille de se mettre en colère, je leur ai suggéré d’annoncer les frustrations à venir tout en validant l’émotion qui allait les accompagner.

Par exemple : « À la fin de l’épisode, on va éteindre la télé. Tu risques d’être très frustrée et mécontente, et tu auras sans doute besoin de nous le faire savoir. Il n’y a pas de problème, si tu as besoin de crier ou de hurler pour nous montrer à quel point c’est difficile pour toi, tu peux. »

C’était une petite fille de 4 ans et demi, donc bien au-delà de l’âge où les crises incontrôlables sont inévitables. Les parents, sceptiques au départ, ont décidé de tester cette approche : « après tout, perdu pour perdu autant tenter un truc qu’on n’a jamais essayé ! » m’ont-ils dit.

Ce qui a été amusant, c’est que lorsque, pour la première fois, ils lui ont dit qu’elle pouvait crier si elle en ressentait le besoin, elle les a simplement regardés et a répondu : « Bah non, ça va en fait. »

En d’autres termes, elle n’avait pas besoin de faire une crise. Le simple fait que ses parents ne cherchent plus à l’en empêcher à tout prix l’a aidée à se sentir entendue et à ne plus avoir besoin d’exprimer sa frustration de manière excessive. Il n’y avait pas de source de colère dans le contexte mais simplement une tentative de contrôle excessive qui faisait déborder la colère.

Attention : pas question de savoir qui de l’oeuf ou de la poule était là en 1er ! Autrement dit la question « les parents étaient-ils contrôlants parce que leur fille débordait ou leur fille débordait-elle parce qu’ils étaient contrôlants ? » n’a aucun intérêt. L’essentiel est que la relation se soit apaisée et que tout se passe bien maintenant.

Ce type de situation illustre bien comment un excès de cadre peut provoquer des colères débordantes : lorsqu’on passe trop de temps à dire à l’enfant comment il devrait réagir, on oublie d’accueillir ce qu’il ressent réellement. À l’inverse, un peu plus d’attention à l’émotion permet parfois de désamorcer une crise avant même qu’elle n’éclate.

Mais attention, il existe aussi des situations où les colères débordantes sont liées à l’inverse : un excès d’attention à l’émotion. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Un autre facteur qui peut alimenter des colères débordantes est le fait de chercher à tout prix à apaiser l’émotion de l’enfant.

C’est une évolution que j’ai beaucoup observée ces dernières années. Au début de ma pratique, dans les années 2010, la plupart des difficultés venaient de parents très axés sur le cadre, avec une approche parfois trop rigide. Aujourd’hui, je rencontre de plus en plus de situations inverses : des parents qui sont trop centrés sur l’émotion et qui cherchent avant tout à l’éviter ou à la faire disparaître.

Face à un enfant en détresse émotionnelle, ils vont spontanément essayer de calmer la situation : « On va négocier, on va trouver une solution, on va éviter la frustration. » Ils s’interrogent sur la légitimité des limites qu’ils posent et, dans certains cas, les assouplissent pour ne pas déclencher de crise.

Prenons l’exemple de Hugo, 3 ans. Ses parents faisaient tout leur possible pour lui éviter des contrariétés : s’il voulait absolument boire dans le verre bleu ou manger dans l’assiette verte, ils s’empressaient de les lui fournir. S’il se mettait en colère, ils hésitaient, revenaient sur leurs décisions, cherchaient à calmer sa frustration. Ils avaient peur de l’intensité de ses émotions et voulaient sincèrement l’aider à aller mieux.

Cette approche est bien sûr compréhensible et part d’une intention positive : personne n’aime voir son enfant en détresse. Mais à force de toujours chercher à l’apaiser, un risque apparaît : l’enfant peut interpréter ces comportements comme un signal que l’émotion elle-même est un problème, voire quelque chose de dangereux.

Plutôt que d’apprendre à traverser ses frustrations et à les surmonter, il peut en venir à penser que l’émotion doit être évitée à tout prix – et donc, que s’il ressent quelque chose de trop intense, c’est une situation alarmante pour lui et pour les adultes qui l’entourent.

Un enfant fait spontanément confiance aux adultes qui l’entourent.

Si, à chaque frustration, il les voit se précipiter pour trouver une solution – perte du doudou : panique à bord, il faut absolument en retrouver un autre, vite, vite, il faut faire quelque chose ! – il en tire une conclusion implicite : « Si mes parents réagissent comme ça, c’est que ce que je ressens est grave. »

Peu à peu, l’émotion elle-même devient effrayante.

L’enfant intègre l’idée que ressentir de la frustration, de la colère ou de la tristesse est un problème en soi. Il se met alors à anticiper ces émotions avec inquiétude. Dès qu’il perçoit une contrariété, il ne ressent plus seulement de la colère : il panique, car il pense que cette émotion est insurmontable. Son agitation vise alors moins à exprimer une frustration qu’à solliciter une aide immédiate.

De plus, comme l’explique Giorgio Nardone dans « The Evolution of Family Patterns and Indirect Therapy With Adolescents« , cette sur-attention aux émotions peut conduire à une hypersensibilité construite. L’enfant devient focalisé sur ce qu’il ressent, « les yeux tournés vers l’intérieur », et développe une difficulté croissante à tolérer la moindre contrariété.

Un autre message implicite est alors transmis : « Non seulement ton émotion est un problème, mais en plus, tu n’es pas capable de la surmonter seul. » Ce type d’approche renforce donc les explosions de colère, car l’enfant ne cherche plus simplement à exprimer son mécontentement, mais appelle à l’aide pour que quelqu’un règle son problème émotionnel à sa place.

Dans ces situations, l’une des clés pour sortir de ce cercle vicieux est d’adopter une posture similaire à celle évoquée précédemment : « Oui, tu vas être très fâché ou très triste, et tu vas sans doute avoir besoin de nous le faire savoir. C’est normal, et c’est ok. » Ne pas chercher à éviter ou minimiser la frustration permet à l’enfant de l’intégrer comme une expérience normale, et donc de la traverser avec plus de ressources.

Il est important de nuancer : éviter une frustration de temps en temps, en anticipant une difficulté ou en proposant une alternative, peut tout à fait faciliter la vie quotidienne, et il n’y a aucun problème à le faire ponctuellement. Ce qui pose question, c’est lorsque cela devient systématique, au point d’empêcher l’enfant d’apprendre à gérer ses émotions par lui-même.

J’espère que cet épisode vous aura apporté des pistes concrètes pour mieux comprendre et accompagner la colère des enfants. Pour résumer, la colère n’est pas une émotion qu’il faut combattre, mais une émotion qui a besoin d’être accompagnée. Avec un peu de pédagogie, on peut aider les enfants, notamment les plus jeunes, à mieux la traverser et à développer des stratégies de régulation efficaces.

Dans le prochain épisode, je parlerai des colères des parents – un sujet qui, à mon avis, vous intéressera aussi.

D’ici là, souvenez-vous que les crises ne sont pas un drame, et que parfois, rester serein face à elles est la meilleure chose à faire.

Et surtout, un dernier point essentiel : face aux colères, en faire moins est souvent plus efficace qu’en faire plus.

Merci d’avoir lut cet article jusqu’au bout ! Et rendez-vous pour le dernier article de la série, portant sur la colère des parents !

Pour mémoire la série est constituée de :

  1. Une conversation sur la colère pour poser les bases
  2. un épisode de généralités pour reprendre les mécanismes de la colère
  3. un épisode sur la colère chez les enfants, principalement les plus jeunes (pourquoi ils explosent, pourquoi ils font des crises, comment y réagir)
  4. un épisode sur la colère chez les parents : d’où elle vient et comment la réguler plus efficacement

La retranscription du podcast a été faite grâce à WhisperTranscribe (lien affilié)

Crédits photo : ©️S Comm C ou Freepik selon les images.

Des ressources complémentaires pour mieux comprendre la colère chez les enfants ou mieux y réagir

Quelques livres (liens affiliés) :

Sur ce blog :

Pour finir …

Ce contenu vous a été utile ? Vous pouvez me le faire savoir en me faisant un don ponctuel ou récurrent. Ces dons me permettent de libérer du temps pour produire plus de contenu gratuit et accessible à tous.

Vous avez besoin d’un accompagnement ? Découvrez en plus sur mes accompagnements. Vous pouvez aussi prendre rendez-vous directement en ligne :

Vous pouvez vous abonner à ma newsletter pour avoir les informations des nouveaux articles et aussi les infos sur les prochaines conférences :

Sandrine Donzel

Parentalité, couple, communication, développement personnel ? Votre vie ne ressemble pas à ce qui est décrit dans les livres ? Pas de panique et bienvenue dans la VRAIE VIE, celle qui est abordée sur ce blog ! Je vous y propose des outils concrets, pragmatiques et REALISTES pour répondre à vos interrogations. Bonne lecture !

Sandrine Donzel has 755 posts and counting. See all posts by Sandrine Donzel

2 thoughts on “La colère chez les enfants

  • 12 février 2025 à 08:43
    Permalink

    Merci merci pour ces informations (rappels ?) très concrètes et éclairantes qui je l’espère vont m’aider à mieux m’ajuster au quotidien. Ce n’est pas toujours simple de changer son optique et vos articles aident beaucoup à ça !

    Répondre
    • 12 février 2025 à 08:45
      Permalink

      Merci Cécile ! En effet, ca parait simple en théorie … mais la pratique n’est pas toujours en ligne ici. Et j’espère oui que ça peut aider à changer d’optique et alléger le quotidien :-). Ca me fait plaisir de le lire en tout cas.

      Répondre

Laisser un commentaire