Faut-il surveiller le téléphone de son ado
Pour ce 1er SOS S Comm C de l’année, c’est Audrey qui m’a interpellée en me demandant : “faut-il surveiller le téléphone de son ado ?”
Ma 1ere réponse – et la sienne aussi – est plutôt négative : espionner les conversations de son enfant, ce n’est pas respecter son intimité ni sa vie privée, à un âge – l’adolescence – où l’enfant devient un “presqu’adulte” et où il a justement besoin de prendre son autonomie.
A noter : si vous préférez écouter plutôt que lire, cet article est disponible en vidéo. Rendez-vous en bas de page pour la visionner
En quoi la surveillance et le contrôle peuvent-ils être des problèmes ?
Le contrôle devient pour l’adolescent le symbole d’un manque de confiance.
C’est d’ailleurs ce message implicite – “mes parents ne me font pas confiance” – qui conduit un certain nombre d’entre eux à adopter des conduites à risque.
Tiens, ça me fait penser à Léa et à sa maman Sonia.
Quand elles viennent me voir toutes les 2, Sonia contrôle beaucoup ce que fait sa fille, et surtout elle est tentée de lui interdire pas mal de sorties. Elle l’appelle souvent sur son smartphone pour lui demander où elle est.
Léa – 15 ans – s’indigne de cette surveillance incessante. Les discussions montent en escalade et se terminent en conflit (pour ne pas dire engueulade).
Le climat entre elles est très tendu. Léa m’avoue même faire exprès de sortir à des endroits interdits par sa mère.
Elle veut prouver à sa mère qu’elle sur-contrôle en lui montrant qu’il ne se passe rien et qu’elle est capable de gérer.
L’idée est bonne, la manière évidemment maladroite.
Les comportements de Léa ne font que renforcer Sonia dans l’idée que sa fille est irresponsable.
Et que donc il est de son DEVOIR de parent de contrôler les actes de sa fille.
Vous avez capté le cercle vicieux : plus Sonia contrôle, plus Léa s’expose, plus elle s’expose, plus sa mère contrôle.
Autrement dit : les conduites à risque sont souvent pour les jeunes des manières de prouver qu’ils sont capables, et rarement de l’irresponsabilité.
Dans les familles que j’accompagne, les cercles vicieux relationnels sont plus souvent liés à trop de contrôle qu’à pas assez.
Le “pas assez de contrôle” a plutôt tendance à faire des jeunes très responsables. Ceux-là, je les vois (parfois) pour des problèmes d’angoisse mais ils s’engueulent rarement avec leurs parents.
(au fait, Léa et sa mère vont bien : la reformulation du cercle vicieux dans lequel elles étaient engagées a été un déclencheur important. Aucune des 2 ne souhaitait dégrader leur relation “bêtement” et chacune a fait les efforts qui s’imposaient : Sonia a accepté de cesser son contrôle, Léa a cessé toute provocation et a compris que sa mère pouvait avoir besoin d’être un peu rassurée et a donc accepté d’informer suffisamment sa maman pour le faire. Ca fait plusieurs années et tout se passe bien.)
Surveiller le téléphone de ses enfants, un impact sur leur identité
A l’adolescence, la construction de l’identité prend une place importante.
C’est une phase où l’enfant commence à devenir adulte en se différenciant de ses parents. Mais il reste incertain, en doute au fond sur la justesse de ce qu’il fait.
Quand les parents s’opposent et contrôlent, le jeune a besoin de marquer sa position plus fermement pour se sentir moins en doute.
Plus les parents cherchent à le tirer à eux, plus il doit résister pour une question de confiance en lui et d’identité.
Et plus il doit résister, plus il a besoin de s’auto-convaincre qu’il a raison : sa conviction, au départ fragile, devient plus solide.
En tentant de le faire revenir à la raison, son entourage le précipite précisément là où il ne veut pas que le jeune aille.
Sortir du conflit consiste plutôt à adopter une attitude qui dit :
“tu as certainement de bonnes raisons de faire ce que tu fais. Ca m’inquiète mais si tu décides de continuer dans cette direction je n’ai aucun moyen de t’en empêcher. Si c’est comme ça que tu décides de mener ta vie, je ferai avec.”
Oui c’est généralement horriblement difficile à dire ! Il faut surmonter pas mal d’angoisses et de colère pour y arriver, et c’est là qu’on peut avoir besoin d’une aide extérieure pour s’en sortir (c’est là que j’interviens en général).
C’est pourtant un moyen très efficace de responsabiliser les jeunes.
(ça me fait penser à une autre situation entre adultes au travail cette fois ci où on retrouve exactement la même mécanique, à lire ici)
Tiens la responsabilisation parlons-en …
La surveillance empêche la responsabilité
Très souvent aussi je rencontre des parents qui contrôlent beaucoup, pas seulement le smartphone mais les devoirs, les sorties, etc.
Chez ces parents-là, le contrôle n’est qu’une manière d’éviter des conséquences désagréables à leur enfant.
Et là aussi, c’est un piège possible.
On contrôle en espérant que l’enfant devienne responsable. Mais être responsable suppose qu’on vive les conséquences de ses actes.
Précisément, la personne qui contrôle et surveille évite à l’enfant surveillé des conséquences désagréables.
L’enfant n’a donc absolument aucune raison de se responsabiliser puisque que quelqu’un est responsable à sa place.
Pourquoi Gabin – 13 ans – se lèverait-il de lui-même le matin puisque ses parents viennent le réveiller chaque matin quand il est encore au lit trop tard à leur goût ? (les parents surveillent l’heure à sa place et l’empêchent de se retrouver devant la situation désagréable où il est en retard au collège et doit aller se justifier à la vie scolaire)
Pourquoi Lucas – interne au lycée – penserait-il à mettre son linge au sale le vendredi en rentrant puisque sa maman le fait en catastrophe le dimanche soir ?
Pourquoi Manon – 21 ans – irait-elle au boulot tous les matins quand ses parents lui donnent de l’argent chaque fois qu’elle a l’air de déprimer un peu “pour qu’elle puisse quand même sortir avec ses amis le week-end” ? (et accessoirement pourquoi cesserait-elle de déprimer ponctuellement ???)
Bon là, il me faudrait encore plusieurs articles pour expliquer à quel point c’est utile à nos ados de se sentir pleinement RESPONSABLES de leur vie … Mais je vais résumer ça en 1 phrase :
Quand vous devez décider de sauter dans le vide ou de ne pas le faire, savoir que vous avez un parachute fait toute la différence.
Si la réponse à la question » faut-il surveiller le téléphone de son ado ? » est plutôt non, pourquoi Audrey me demande-t-elle s’il faut surveiller le téléphone de son ado ?
Audrey est d’accord avec moi sur le principe : le contrôle ça ne lui parle pas.
Ce n’est pas la relation qu’elle souhaite avec sa fille. Et elle en mesure très bien les limites.
Ajoutez à ça que contrôler et surveiller demandent une énergie de dingue et une disponibilité de tous les instants. Et que ça nous rend complètement paranoïaques.
Il n’y a pas que l’utilisation du portable à surveiller. Avec la multiplication des écrans, il y a tous les actes virtuels sur Internet, la tablette, les jeux vidéos, toute la vie en ligne. Mais aussi les relations “en vrai”.
Pour que le contrôle fonctionne réellement, il doit être complet et exhaustif, ce qui est impossible quand les enfants deviennent ados. Ou alors au prix de notre santé mentale et de la relation avec nos enfants.
Bien sûr il y a des applications pour ça. Mais elles ne protègent pas mieux notre santé mentale !
A ce sujet, j’ai lu un jour cette phrase très juste :
Le contrôle parental est excellent la confiance en eux des ados : ils sont très fiers d’avoir réussi à le contourner en quelques minutes (quelques secondes pour les plus doués)
En résumé, contrôler et surveiller, c’est BEAUCOUP d’énergie pour des résultats très mitigés.
Mais ça fait partie du problème : Audrey aimerait assumer sa position de confiance.
Mais elle a peur.
Peur de faire le mauvais choix pour sa fille et de ne pas l’accompagner assez face aux dangers du monde.
Peur aussi de faire ce choix par fainéantise plus que par philosophie éducative (cette inquiétude traverse aussi mon esprit de maman par moments)
Surveiller ses enfants, c’est bien vu !
Cette inquiétude est logique.
Audrey, vous, moi, nous vivons dans une société qui valorise le contrôle.
Vous avez déjà entendu un journaliste parlant d’un fait divers impliquant un ado et disant que c’est l’excès de contrôle de ses parents était en cause ?
Non. Et pourtant il y aurait à dire …
En dehors de quelques cercles restreints, avez-vous déjà entendu valoriser le fait de laisser ses enfants faire leurs propres choix jusqu’au bout ? Avez-vous déjà entendu valoriser une certaine forme de “paresse” ou de “non interventionnisme” parental ?
Non plus.
Dans notre société les parents doivent contrôler et agir. Surveiller est devenu synonyme de protéger.
(ça me fait penser à ma publication à propos du linge de mes enfants qui a tant fait réagir sur les réseaux sociaux)
Nous vivons dans une société qui nous dit qu’un enfant bien contrôlé sera toujours plus en sécurité qu’un enfant qui fait ses propres expériences (ce dont mon expérience personnelle et professionnelle me fait douter profondément).
Même son conjoint adhère à ce point de vue : pour lui, c’est son rôle de père de surveiller le téléphone et les relations de sa fille.
Dans ce contexte, à la question « faut-il surveiller le téléphone de son ado ? », la majorité des parents risque de répondre « ben oui quand même ! »
Assumer de ne PAS contrôler du tout c’est un peu hors normes. Et ça crée du doute.
Alors comment aider Audrey ?
Audrey a plus besoin d’être rassurée sur la validité de ses positions que sur le comportement de sa fille. Je ne détaillerai pas les évènements qui l’ont amenée à se poser cette question mais il y a une bêtise, assortie d’un mensonge vite reconnu par la jeune fille (mais qui s’est drapée dans l’injustice d’avoir vu son téléphone surveillé, cf paragraphe sur l’identité plus haut).
Quand nous avons creusé ensemble, Audrey n’était pas vraiment inquiète pour l’avenir de sa fille : le contexte du moment donnait une certaine logique aux actes de sa fille, son comportement ne laissait pas présager de difficultés graves ou d’ennuis plus conséquents.
La discussion – responsabilisante – qui s’en est suivie à été rassurante pour Audrey.
Audrey a quand même voulu marquer le coup en se montrant un peu plus stricte sur certaines choses pendant un moment, ce qui parait logique et adapté.
A noter d’ailleurs : les ados n’ont pas de problème avec une punition ou une conséquence désagréable temporaire. Ils sont d’accord pour reconnaitre quand ils ont commis une faute et ils trouvent juste qu’il y ait une sanction associée.
Et pour peu qu’on ne leur fasse pas la morale.
(faire la morale revient alors à ce que j’ai dit à propos de l’impact du contrôle sur l’identité, je ne vous refais pas le topo)
Pour peu aussi qu’ils sachent que cette sanction aura une fin et qu’ils sachent ce qu’ils doivent faire pour qu’elle se termine.
Alors Audrey, rassurée 🙂 ?
Pour aller plus loin à propos des ados et de leur « surveillance »
Le livre d’Emmanuelle Piquet : « Mon ado ma bataille » est très éclairant. Vous pouvez vous le procurer :
D’autres articles à propos des ados sur ce blog :
- Mon ado déprime
- Les écrans et les ados, l’arbre qui cache la forêt
- les ados, difficiles ou agacés par leurs parents ?
- et tous les autres articles de la rubrique « dans la vraie vie avec les enfants »
L’article en version vidéo :
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Bonjour,
c’est un thème qui me parle beaucoup, pour avoir eu un parent qui fouillait dans mon téléphone (pas smartphone à l’époque, juste un tel portable avec des touches) et en tirait des conclusions complètement tordues et fausses.
Cependant, je m’interroge quand même sur un aspect (plutôt lié au contrôle des écrans en général, et pas forcément des sms ou autre): les smartphones d’aujourd’hui ont un accès illimité à internet et aucune hiérarchisation de la pertinence des informations qui s’y trouvent. Les (jeunes) ados peuvent donc avoir accès à des images, informations ou vidéos qui ne sont pas du tout adaptées à leur âge, qui sont fausses (et pas reconnaissables comme telles) ou extrêmement violentes. Pour moi, cela reviendrait à laisser trainer un ado dans l’environnement extérieur sans aucun garde fou (genre clôtures protectrices autour des zones de travaux, couvercles au-dessus des bouches de canalisations etc). La confiance mutuelle -le fait d’espérer que l’ado nous raconte ce qu’il a vu, qu’on en discute et que ce soit résolu- ne suffit à mon avis pas toujours, car la simple exposition à certaines images peut être traumatisante (je parle d’expérience: j’ai surpris il y a qq temps mon jeune ado devant des vidéos de dessins animés inoffensifs -en apparence, car en vrai cela présentait une histoire dystopique, mise en scène comme si elle était vraie. Mon fils m’a avoué qu’il en avait déjà vu quelques épisodes, que cela le travaillait et l’angoissait – surtout la nuit). Comment faire donc pour mettre en place des garde-fous (comme on mettrait en vie réelle des clôtures autour des zones de chantier dangereuses) sans entrer dans le contrôle ?
L’absence de contrôle n’implique pas une absence d’éducation effectivement. Faire de la prévention, parler des risques est nécessaire oui.
Bonjour,
Je m’apprête à équiper mon fils de 13 ans d’un téléphone. Ce sera un smartphone, mais totalement bridé dans les premiers temps : uniquement appels, messages et Pronote ! La gestion des écrans est un vrai challenge à la maison, et ce téléphone sera un écran de plus à gérer.
Le contrat c’est qu’il gagnera progressivement le droit d’utiliser d’autres applications après m’avoir montré qu’il parvient à gérer ce qu’il a déjà.
Je vais donc installer un contrôle parental, pour limiter le temps d’utilisation et l’installation d’applis, et je lâcherai la bride petit à petit. Pour moi le contrôle parental sert plus à maintenir les limites qu’à contrôler.
Comme le dit « little », il n’est pas question pour moi de surveiller à qui il écrit ou téléphone ni de lire ses messages. Loin de moi également l’idée de le géolocaliser. Mais il n’est pas imaginable de lui laisser dans les mains une bombe à retardement sans lui apprendre comment la désamorcer. Tout comme je ne l’ai pas lancé sur la route sans casque avec son premier vélo en lui disant d’aller voir ses potes 😉
Je considère que l’éducation passe dans un premier temps par une certaine dose de contrôle. Tout est dans le dosage ! Et c’est là que c’est difficile. J’ai une idée des critères qui me permettront de lui laisser de plus en plus d’autonomie, mais je ne sais pas du tout comment il va se comporter. J’ai envie de lui faire confiance, et j’espère que ça va marcher !