Conversation sur la colère
Cet article est le 1er d’un série de 4 consacrés à la colère. Il est un peu différent de mes épisodes habituels puisque j’y reçois une collègue et amie, Cécile Guinnebault. Nous avions déjà collaboré autour d’un article sur le traumatisme, que vous pouvez trouver ici. Nous avons eu envie de réitérer l’expérience en parlant ensemble de colère. La colère est en effet une émotion qui nous tient à cœur et sur laquelle nous avions toutes les 2 beaucoup à dire !
Quelques mots sur Cécile par elle-même :
Cécile : Je suis Cécile Guinnebault. Je suis coach en entreprise depuis une vingtaine d’années. Plus précisément, j’accompagne les managers depuis plus de trente ans. J’ai été formatrice, consultante en organisation, et ma carrière entière a consisté à épauler des managers, que ce soit dans leurs moments de réussite ou dans leurs périodes plus complexes. Les émotions, et en particulier la colère, occupent une place importante dans ces accompagnements.
Vous pouvez aussi retrouver Cécile sur son site « Bridge The Gap – Coaching »
J’ai gardé la forme du dialogue pour la retranscription des points clés de cet épisode. Si vous voulez bénéficier de l’intégralité du contenu, je vous invite à écouter l’épisode de podcast (ou à regarder la vidéo sur Youtube)
EP. 9 Conversation sur la colère – Du côté des parents !
Le premier problème avec la colère : différencier colère et violence et l’évolution de la place de la colère
Cécile : j’ai grandi dans un environnement où aucune distinction n’était faite entre les deux. Et j’ai dû apprendre à faire la distinction entre colère et violence un peu à mes dépens. Quand j’étais gosse, quand j’étais adolescente, même quand j’étais jeune adulte, exprimer sa colère de manière vraiment explosive, c’était absolument normal.
Et progressivement, à force de me prendre des murs, et en particulier dans le monde professionnel, je me suis rendu compte qu’être en colère, d’accord, à condition que ce soit exprimé de manière calme, contrôlée, civilisée, etc. Ce qui représente toujours un challenge pour moi.
Mais j’ai quand même appris à faire cette distinction-là, parce que l’expression violente des sentiments, des émotions, etc. est absolument proscrite en entreprise, et de plus en plus.
Quand j’ai commencé à bosser il y a trente ans s’engueuler, c’était normal.
Aujourd’hui, c’est absolument carton rouge. Et ça, vraiment, c’est une évolution que j’ai vue dans les trente dernières années.
Sandrine : C’est une évolution qu’on retrouve aussi dans la parentalité. Justement, parce que, et à juste titre, on veut moins de violence dans les rapports.
Voici une clarification des différences entre les 2 :
La colère, c’est une émotion qui signale qu’une de nos limites, Et il y a quelque chose qui dit « ça, c’est pas acceptable, ça me pose un problème ». Donc ça, en soi, ça n’a rien de mal à ressentir de la colère. C’est même très utile mais on y reviendra dans la suite de cet épisode.
La violence, c’est quand il y a prise de pouvoir sur l’autre et/ou de comportement qui peut faire mal à l’autre.
Cette confusion amène à discréditer la colère, alors que c’est la violence, à juste titre, qu’on rejette.
C’est particulièrement présent dans la parentalité, parce qu’à juste titre, on s’est rendu compte que les rapports violents avec ses enfants, au sens large, c’est-à-dire strictement basés sur la domination, sur « tu fais comme je dis parce que c’est comme ça et c’est pas autrement », ce n’était pas favorable pour le bon développement des enfants.
Cécile : Pour la limite pas respectée, ça crée tellement de raisons d’être en colère dans la vie professionnelle ! Parce qu’on est en permanence soumis aux contraintes des autres, à des injustices, etc. , à des règles qui n’ont aucun sens, qui ne sont pas forcément justes, on cotoie des gens qui sont plus ou moins scrupuleux dans leur respect des limites des autres, etc.
Tout ça, ça crée de très nombreuses occasions tout à fait légitimes de ressentir de la colère au travail. Et ça, c’est vraiment quelque chose que je rencontre quotidiennement.
Les éclats de voix sont de plus en plus proscrits en entreprise comme je le disais. Et cette violence « visible » est remplacée par une forme beaucoup plus insidieuse de violences, qu’on voit d’ailleurs aussi dans les phénomènes de harcèlement à l’école, mais qui sont de la violence par le silence, par l’exclusion, par la manipulation, etc..
Ce sont des choses extrêmement difficiles à contrer et qui parfois aggravent de manière très forte la colère et la colère légitime.
Sandrine : Dans la parentalité aussi, l’éclat de voix, le fait de s’énerver est de plus en plus proscrit. Ca me permet d’amener une nuance par rapport à l’entreprise, parce que le contexte n’est pas tout à fait le même.
L’immense majorité des parents, effectivement, n’a pas envie de crier sur ses enfants.
Les parents ont à cœur de ne pas crier sur leurs enfants, de garder une bonne qualité de relation.
Le 1er parallèle que je vois avec l’entreprise, c’est le fait de se voir imposer un rythme qui n’est pas le nôtre.
Vivre avec un enfant, ce sont des contraintes liées au développement de l’enfant, à son emploi du temps, etc. , qui font qu’on ne peut pas strictement respecter son propre rythme. Ca crée de la frustration, qu’on le veuille ou non, et même si on aime son enfant très fort.
Avoir un enfant, c’est aussi cohabiter avec quelqu’un qui n’a pas encore toutes les compétences pour ranger tout ce qui traîne, pour tenir compte de toutes les règles, notamment chez les enfants en bas âge. Là aussi c’est une forme de frustration et de colère (mes limites dépassées, mes besoins non respectés).
Il y a donc dans la parentalité de multiples occasions d’en avoir à le bol et d’avoir besoin de poser des limites.
Mais si on ne s’autorise pas à les exprimer ou les faire respecter à cause de cette confusion entre colère et violente, on est face à un dilemme très difficile.
Cécile : En entreprise, il y a un truc qui est hyper à la mode en ce moment, c’est le concept de « manager toxique ». Et ça, c’est quelque chose qui m’inquiète beaucoup parce que depuis 30 ans que je les fréquente, je connais vraiment très peu de gens qui sont de manager toxique. Je ne peux pas me souvenir d’un individu, quel qu’il soit, qui me dise « moi, j’ai envie de gueuler sur mes équipes, j’ai envie de les punir, j’ai envie de les sanctionner, j’ai envie de les mettre en échec ».
Alors oui, évidemment, comme partout, on va trouver quelques très rares personnes qui ont des tendances perverses, etc. Mais ce n’est tellement pas la majorité de l’espèce. Tous les jours, depuis plus de 30 ans, je rencontre des gens qui veulent bien faire et qui veulent être juste et qui veulent être appréciés, qui veulent être respectés, qui respectent les gens, etc. Mais qui se retrouvent en difficulté dans certaines interactions, ce qui peut les amener à réagir d’une manière qui peut être problématique ou être mal vue.
Sandrine : C’est très important de le souligner aussi bien en entreprise que dans la parentalité là aussi. C’est exactement la même chose : malgré une volonté d’être bienveillants, les parents se retrouvent malgré eux à faire des choses qui vont à l’inverse de leur idéal.
Et il arrive parfois que les parents se sentent horriblement coupables : ils ont un besoin qu’ils ne parviennent pas à faire respecter. Ils essaient des tas de choses encore et encore, espérant que leur entourage – enfants notamment – vont finir par comprendre ce qu’ils attendent d’eux. Et la colère monte encore et encore. Il arrive alors que cette colère se transforme en une forme d’amertume et d’envie de « faire mal » à l’autre. Pas pour le plaisir de faire mal, mais pour le secouer, le faire réagir, pour faire prendre conscience à l’autre qu’il doit changer.
Et dans la relation parent-enfant, les parents qui en arrivent là se sentent horriblement coupables. Certains se demandent s’ils aiment encore leurs enfants. Et c’est souvent le résultat de colères régulées inefficacement.
Cécile : A la maison et au bureau, les enjeux sont un peu différents. Les enfants, on a une responsabilité vitale vis-à-vis d’eux, ce qui suppose un investissement affectif et émotionnel très fort. Ce qui n’est quand même pas le cas des relations de travail, même si beaucoup d’entre nous investissent une quantité d’émotion, d’investissement affectif, etc. , extrêmement élevée au travail.
C’est d’ailleurs une des sources de la colère : quand on a le sentiment d’avoir investi quelque chose de fort – d’autant qu’en plus les entreprises viennent nous chercher sur les valeurs, sur l’engagement, « ne soyez pas des mercenaires« , etc – et qu’on est déçu.
Mais quand cet investissement affectif attendu en entreprise montre son côté un petit peu plus sombre, l’entreprise n’en veut plus. Et ça met les gens en difficulté et ça génère beaucoup de colère.
Sandrine : La différence, c’est qu’en tant que parent, on ne peut pas « divorcer » de ses enfants. On peut quitter son travail, on peut quitter son conjoint ou le reste de sa famille, mais pas ses enfants. Et ça rajoute parfois des difficultés supplémentaires parce qu’il faut trouver le moyen de rester, même quand c’est extrêmement douloureux.
Cécile : Absolument. Et c’est vrai qu’on peut quitter son entreprise. Je me souviens d’une exception . C’était il y a 20 ans à l’Opéra de Paris et quitter la relation n’était pas une option. Et donc tous les protagonistes savaient qu’ils travailleraient toute leur vie ensemble. Partout ailleurs, dans les situations de conflits, la rupture de la relation est toujours une option.
Elle est rarement prise parce qu’il y a des tas d’autres options possibles. Mais justement, le fait même de pouvoir poser sur la table la rupture de la relation est une ressource absolument précieuse.
De la difficulté de poser ses limites dans un contexte où l’individu prime
Sandrine : Maintenant qu’on a exprimé cette différence entre colère et violence, je voulais souligner l’évolution vers une moindre tolérance à la frustration, dûe à un phénomène d’individualisation de la société. Je ne parle pas au sens « chacun pour soi », mais au sens « chaque individu a le droit de voir ses ressentis, ses envies, ses besoins respectés ». C’est extrêmement chouette sur plein d’aspects.
Comme on l’a dit, la colère, c’est une émotion qui amène à poser ses limites.
Mais dans le contexte où les besoins et les envies de chacun sont respectables, ça devient difficile pour les parents de savoir quelles limites poser : « Si mon enfant manifeste de la frustration, n’est pas d’accord, veut négocier, est-ce que je dois accéder à sa demande ou pas ? «
Ça met les parents dans une grande difficulté pour poser leurs limites. C’est vraiment un abîme de réflexion, un dilemme éthique.
Est-ce la même chose en entreprise ?
Cécile : oui, absolument. Et ces dernières années, j’ai vu monter quelque chose de tout à fait étonnant : le harcèlement ascendant. Parfois, quand que le ou la manager pose une limite, il existe un risque réel, est de se prendre une enquête QVT, une alerte harcèlement, sous prétexte que cette personne aurait posé des limites trop stricte à des salariés. Et ça, vraiment, c’est quelque chose de nouveau, qui se multiplie un petit peu partout.
Cela m’amène à faire un parallèle entre les dangers d’assumer les responsabilités de managers et le fait que de moins en moins de gens veulent être managers. On a perdu le statut, on a perdu l’argent, etc. Donc, finalement, si c’est pour avoir un statut à peine différent, un salaire à peine différent de ses équipes, et en plus, prendre le risque de se faire épingler quand on essaie de faire son job , alors ça ne vaut vraiment plus le coup.
Sandrine : Ça m’amène à un parallèle identique, que je n’avais pas fait du tout jusqu’ici. On constate aussi que les jeunes, aujourd’hui, ont de moins en moins envie d’être parents. Outre des considérations environnementales et féministes (les femmes se rendent compte de l’impact sur leur vie et leur carrière que peut avoir le fait de devenir mère), ta remarque sur les managers m’amène à me poser la question suivante : cette difficulté de trouver l’équilibre entre respecter son enfant et pouvoir quand même faire respecter ses propres besoins ne jouerait-elle pas aussi un rôle dans la difficulté à envisager d’être parent ? Je ne suis pas sociologue, mais ça serait intéressant de creuser cette question !
Cécile : Pourquoi pas ? En tout cas, ce que tu soulignais tout à l’heure de l’individualisation de la société, je trouve qu’il y a vraiment des points de friction très forts entre le désir d’expression individuelle et des règles collectives qui s’appliquent de manière parfois de plus en plus aveugle.
Ce n’est peut-être pas le cas dans les familles, mais en tout cas, les processus de décision sont tellement désincarnés dans les entreprises que, si tu rentres dans le process très bien, mais si tu ne rentres pas dans le process, on n’est pas là pour gérer les exceptions. Tant pis si tes limites, tes valeurs, tes machins, tes orteils sont un peu écrasés au passage !
Sandrine : c’est un gros paradoxe ! Dans la famille, on n’a pas ce type de processus décidés ailleurs. Mais on a de très grosses injonctions à être tel ou tel type de parent, à respecter tel ou tel modèle, chacun se revendiquant comme le meilleur.
Quand le respect de l’individu empêche de faire respecter ses limites
Sandrine : j’aimerai revenir sur la notion de « poser ses limites ». On a vu que la colère est une émotion qui dit « tiens, là, il y a quelque chose qui ne me convient pas, une limite qui est dépassée et que je devrais peut-être faire respecter ».
Ca suppose, pour que la colère soit régulée, qu’on puisse exprimer cette limite et la faire respecter. Cela implique d’exprimer sa limite. Ce qui n’est pas facile !
Poser une limite consiste à demander à quelqu’un de faire quelque chose qu’à priori, cette personne n’est pas d’accord pour faire. C’est-à-dire de lui imposer quelque chose de désagréable (pas de violent mais de désagréable !
Quand on exprime une limite – je parle même pas de la faire respecter, mais d’exprimer son besoin – implicitement, ça dit : « ce que tu fais, ça me pose un problème. Tu vas devoir changer de comportement« .
C’est forcément désagréable pour celui à qui j’exprime cette limite. Et ça, ça pose un problème comme je le disais précédemment : « de quel droit je vais imposer aux autres de faire telle ou telle chose, y compris à mes enfants ? »
Cécile : Oui, je retrouve cette problématique, d’autant plus que la peur du conflit est omniprésente. Le conflit, c’est très mauvais pour les réputations professionnelles, et donc l’évitement du conflit fait partie des stratégies, avec parfois de bons, parfois de moins bons résultats.
Sandrine : Ce que j’observe moi dans la famille, c’est pas forcément la peur du conflit, mais c’est une importance très grande accordée à la qualité de la relation.
Il y a une sorte de règle qui dit qu’on doit être en relation avec son enfant de manière sereine : chacun doit pouvoir s’exprimer, être écouté, etc. C’est une injonction assez forte d’avoir de bonnes relations familiales. Et quand il y a des tensions, il y a beaucoup d’inquiétudes.
Dans ce contexte, quand on « s’engueule » avec son enfant, que pendant quelques jours, on est à couteaux tirés, c’est très difficile à vivre. Et ça peut fortement compliquer le fait de poser ou même d’exprimer des limites.
Donc je te rejoins sur cette peur du conflit, ou plutôt cette peur de la dégradation de la relation.
Elle va amener, dans certains cas, à reculer sur la limite, ou à se prendre la tête pendant des heures pour savoir comment faire.
Je me souviens d’une maman d’adolescents qui me demandait « s’il vous plaît, dites-moi quelle est la bonne limite à poser ? ». Elle ne savait pas si elle devait limiter certaines choses ou ne pas les limiter, laisser sortir ses ados ou pas.
J’avais été interpellée vers cette formulation. Je n’ai aucune idée de ce qu’est LA limite à poser : les limites varient en fonction du parent, de l’enfant, de leur relation du contexte, etc. Aucune limite ou absence de limite n’est bonne ou mauvaise dans l’absolu !
Je lui avais alors demandé « mais selon vous, ça serait quoi une bonne limite ? Comment vous sauriez que vous avez trouvé une bonne limite ? ». Et elle m’avait répondu cette chose tout à fait surprenante : «c’est une limite que mes enfants vont respecter sans discuter ».
Mais ça, c’est totalement utopique ! Comme nous le disions plus haut : faire respecter son besoin ou poser sa limite implique de demander à l’autre de faire quelque chose qui ne lui est pas spontané et généralement lui est désagréable.
Cécile : en entreprise, des managers disent « voilà, là il y a une limite d’un comportement intolérable ou un manque de performance qui n’est pas dans les clous, etc. ». Sauf qu’ils doutent : « quand je vais poser telle ou telle limite, si jamais elle n’est pas respectée, quel va être le soutien que je vais obtenir de mon manager, ma DRH, mon service juridique, etc ?« .
Je ne sais pas si c’est une majorité, mais dans beaucoup de cas, les managers finissent par rétropédaler faute de soutien. Donc la limite, ce n’est pas celle qu’on leur demande de faire tenir, c’est celle finalement pour laquelle ils sont soutenus.
Y a-t-il « une bonne manière » d’exprimer ses limites ?
Sandrine : il y a aussi une exigence forte sur la manière d’exprimer ces limites. Je le vois dans la parentalité où on essaye de trouver des formulations « parfaites ». Souvent, des parents me disent « je suis formée à la CNV, donc communication non-violente, tout ça, j’essaye de trouver, mais ça ne marche quand même pas », comme s’ils attendaient que la forme fasse tout. Et s’ils n’ont pas trouvé la forme absolument non violente, ils ne posent pas de limites.
Moi, je leur dis souvent de manière très provoc : « tant que vous ne vous sentez pas capable de dire « vous me faites tous chier, allez vous faire voir », ça va être dur pour vous de poser une limite.
Tant qu’on n’assume pas qu’on va imposer quelque chose à quelqu’un, tous les beaux outils du monde, ça sert juste à essayer d’emballer un truc qu’au fond, on ne veut pas donner à l’autre. Donc, il faut arrêter de l’emballer à un moment donné parce que ça ne va pas résoudre le problème !
Faire à la place des autres augmente notre colère. Cesser de le faire implique de prendre des risques !
Cécile : Quand tu parles de la manière, ça me rappelle une histoire très drôle que j’ai vécue il y a quelques années. On m’a demandé de coacher un salarié – qu’on appellera Gaston – qui empilait, empilait, empilait du travail sur son bureau, au point que son travail n’était jamais terminé. Résultat des courses. : c’était son manager qui terminait pendant le week-end le travail de mon coaché.
Et donc, on m’appelle pour que je coache ce brave Gaston en me disant : « il faut que Gaston apprenne à dire non« . Je commence à travailler avec Gaston, qui joue les coachés modèles. Au bout d’un moment, je finis par comprendre qu’en fait, ne pas dire non, pour lui, c’était une solution merveilleusement bien adaptée à son environnement professionnel. En effet son entreprise plaçait la bienveillance et la qualité des relations en numéro un des valeurs de l’entreprise.
Et donc, Gaston m’a dit, mais vraiment avec une candeur désarmante : « mais enfin, Cécile, dire non chez nous, c’est mal vu. Et donc, je dis oui à tout le monde et je fais le tri sans rien dire à personne. Et, moi, je. n’ai pas de problème, c’est mon manager qui en a un.«
Et le pire de tout, c’est que la solution pour Gaston, c’était une réduction de son périmètre qu’il a obtenue sans réduction de salaire et sans modification de son titre.
La seule personne qui a vu un changement, c’est son manager qui s’est retrouvé avec une partie du travail de Gaston à faire officiellement et non plus officieusement le dimanche.
Inutile de dire que le manager a fini en burn-out et que franchement, j’étais vraiment pas fière de moi là-dessus …
Mais, même s’il ne prononçait jamais le mot « non », l’entreprise n’avait pas vu que Gaston posait en réalité très fermement ses limites.
Sandrine : ah oui Gaston en effet ! Le manager, un peu moins ! Je rebondis là-dessus parce que c’est une situation que je retrouve extrêmement souvent. Les parents sont dans la position du manager que tu viens de décrire et ont à manager des enfants qui savent très bien poser leurs limites, c’est-à-dire ne pas faire ce qu’ils n’ont pas envie de faire !
J’appelle ça le cercle vicieux de la râlerie.
Les enfants – mais parfois aussi le partenaire de vie – ne font pas ce qu’on attend. On demande, mais rien ne se fait. C’est agaçant. On réitére la demande, en s’énervant un peu plus.
Au bout d’un moment, on fait à la place de l’autre. Parce qu’on se dit : « je ne vais quand même pas laisser traîner les affaires » ou « mais quand même, le pauvre, s’il n’a pas son sac pour aller au sport« , etc. Mais en faisant ça, on compense et on déresponsabilise !
Quelqu’un d’intelligent se dit : « si je ne le fais pas et que quelqu’un finit par le faire à la place, mais pourquoi je me forcerais à le faire ? » (Mon fils, qui est d’une honnêteté désarmante, m’a déjà dit ça !
Le premier cercle vicieux ici est : plus je fais à la place, plus l’autre se déresponsabilise et moins il a intérêt à faire par lui-même.
Mais il y a une deuxième couche au cercle vicieux : comme ma colère monte, je râle et je m’énerve. Et après, je suis discréditée, on ne m’écoute plus parce que je râle.
On me renvoit des choses comme : « Oui, mais tu as vu comment tu me parles ! » ou « Oui, mais de toute façon, tu râles tout le temps, donc je ne t’écoute plus« .
Et donc plus je fais en râlant à la place de l’autre, moins l’autre fait et plus je m’énerve, moins il fait.
La question est : que se passerait-il si on arrêtait de faire ? Dans ton exemple, on ne sait pas ce qui se serait passé si le manager avait arrêté de compenser ?
Cécile : Dans le cas du manager, on sait très bien. C’est qu’en fait, le manager, il touche son bonus en fonction d’indicateurs, de productivité, de performance, de tout ce que tu veux. Et s’il ne fait pas à la place de son collaborateur, les indicateurs en question sont dégradés et c’est sa prime qui saute ou son évaluation de fin d’année.
En entreprise, les conséquences peuvent donc être extrêmement dommageables. Et c’est ce qui fait d’ailleurs que dans beaucoup d’entreprises où je travaille, je vois que jusqu’à des postes de direction générale, je vois des gens faire le boulot de leur N-1, N-2, N-3 sans sourciller.
Comment se préparer à compenser moins ?
Sandrine : En famille, c’est un peu différent. Mais il y a quand même la notion de responsabilité : « je suis responsable de mon enfant, je dois faire des choses pour lui« .
Mais aussi, les parents se sentent souvent obligés à continuer de compenser par peur que les conséquences négatives atteignent l’enfant. Et parce qu’ils se sentent coupables si on n’empêche pas ça ou qu’on les prive » de leur vie d’enfant ».
Un exemple : mes enfants font leur lessive depuis déjà très longtemps (à leur entrée respective en 6e). Beaucoup de gens me disent : « Mais comment es-tu arrivé à ce résultat ? » (qui leur semble exceptionnel !)
La réponse est simple : je ne leur aurais pas laissé le choix. Je leur ai dit « Si vous ne vous occupez pas vous-même de votre linge, il n’y aurait pas de linge propre« .
Et là, j’ai beaucoup de réactions de parents qui disent « Ah mais c’est horrible, les pauvres ! » ou « mais ce n’est pas leur boulot de faire ça, c’est le vôtre ! » ou encore « Et s’ils s’étaient fait harceler parce qu’ils avaient des vêtements sales ?« .
C’est une crainte légitime, que je comprends tout à fait. Mais on n’a rien sans prendre de risques, hélas.
La décision de continuer à compenser ou d’arrêter se prend en évaluant les risques des deux options. On a souvent l’impression qu’il n’y a que des avantages à continuer de compenser, à part notre agacement.
C’est possible qu’il y ait des inconvénients, mais qu’ils ne soient pas très embêtants – « ça m’agace un peu de faire à la place, mais en fait, ça va, ça ne me pose pas de problème« . Ou dans l’entreprise : « je compense, ça m’agace mais je ne suis pas en burnout. Et puis ça me permet, ça permet au service d’atteindre ses objectifs. Et du coup, j’ai mes récompenses, mes bonus, etc.«
Par contre, quand l’inconvénient de compenser prend le dessus – ça commence à devenir vraiment douloureux et la colère monte – là on va devoir se poser la question de savoir si on continue de compenser ou non.
C’est là que je parle de « plan A, plan B ». C’est une manière de réfléchir à la situation … et c’est aussi un réflexe d’acheteuse – mon ancien métier !
Dans les achats ou le commercial, on rentre dans une négociation uniquement si on a une meilleure solution de repli. En quoi consiste cette meilleure solution de repli ?
On la trouve en répondant à la question : « Que se passe-t-il si je ne rentre même pas dans la négociation ? ».
On envisage alors toutes les options, on les prépare même ! Le résultat attendu de la négociation doit être meilleur que cette solution de repli. Même si l’autre dit non à tout lorsque je lui demande quelque chose, je dois arriver au même niveau de satisfaction qu’avec cette solution de repli. Et même mieux sinon ce n’est même pas la peine de perdre du temps à discuter et à formuler des demandes.
Ca oblige à se poser des questions très concrètes : « Ok, je fais quoi si l’autre ne respecte pas mes consignes ? Ou ne fait pas ce que je lui demande, n’accepte pas ma demande ? Quelles sont mes différentes options ? Je serai frustrée mais qu’est-ce que je vais faire ? Est-ce que je vais laisser tomber ou pas ? Et si je ne compense pas, que se passe-t-il ? etc »
Poser ces options permet de mieux peser les avantages et les inconvénients, les risques et les bénéfices, et de mieux décider ce qu’on est prêt à lâcher ou pas.
L’idée, ce n’est pas forcément d’arrêter de compenser sur tout, mais de changer un peu la dynamique, pour faire évoluer les choses. Ça peut être extrêmement intéressant de voir l’évolution quand on fait ce travail.
Cécile : Oui, absolument. Et c’est d’ailleurs l’outil que j’utilise principalement en entreprise, justement dans les situations où les gens me disent : « il faut absolument que je pose mes limites ».
Note : vous trouverez des éléments complémentaires dans cet article "quelle est la différence entre menacer et poser ses limites ?"
Cécile : Bien évaluer les inconvénients, les risques de chaque option est important. Dans les options, j’inclue très souvent le « est-ce que tu peux virer cette personne ? » ou « est-ce que tu peux partir ?« . Cela permet vraiment d’ouvrir le choix. La personne peut choisir la solution qui sera la moins douloureuse pour elle. Et je rappelle qu’il n’y a pas de solution simple et facile. S’il y en avait, mes clients ne m’appelleraient pas !
C’est : « comment est-ce que parmi un éventail de solutions qui sont toutes plus imparfaites les unes que les autres, je vais choisir la moins douloureuse et la moins dommageable et celle finalement que je vis le moins mal ? »
C’est aussi une des choses pour lesquelles je milite : les experts ont tendance à défendre leur modèle en disant « le modèle A, c’est le meilleur, il faut faire comme ça« , ou à l’inverse « non, c’est le modèle B qui est le meilleur« . Les parents sont écartelés entre les deux et culpabilisés : s’ils choisissent A ils sont de mauvais parents parce qu’ils n’ont pas choisi B et vice versa.
Pourtant le modèle A, il marche dans certains cas, dans certaines situations, dans certains contextes. Et le modèle B, il marche aussi très bien dans d’autres cas, dans d’autres situations.
Sandrine : Je dis souvent : « depuis le temps qu’on fait des enfants, s’il y avait une bonne manière de faire, il y a longtemps qu’on l’aurait trouvée ». Faire ce travail de choix, c’est au fond une manière assez directe de faire dégonfler le ballon émotionnel.
Les parents devraient pouvoir prendre des décisions adaptées à leur contexte spécifique, à leur enfant. C’est important de leur donner les moyens d’y réfléchir. Faute de quoi ils sont en échec et leur colère ne risque pas de baisser !
Cette question des avantages et des inconvénients en regardant très concrètement ce que je fais et les résultats que j’obtiens, et le coût que ça a pour moi, elle permet justement cette décision.
Retour sur le ballon émotionnel
Sandrine : Je reviens à l’outil du ballon émotionnel que tu as évoqué. C’est un outil qui vient de Thomas Gordon dans un livre sur le management « Leader efficace » (même s’il est surtout connu pour ses livres sur la parentalité, Thomas Gordon a aussi écrit sur le management).
Note : vous pouvez retrouver plus d'infos sur le ballon émotionnel ici.
Le ballon émotionnel, c’est une image qui traduit la manière dont nos émotions fonctionnent.
C’est un peu comme si notre cerveau était un ballon de baudruche rempli de 2 types de choses : dans la partie basse on retrouve des émotions associées à la protection individuelle, à la satisfaction des besoins individuels.
C’est là qu’on retrouve par exemple le respect de ses limites, la peur, etc.
Dans la partie haute, ça va être plutôt les émotions qui sont orientées sur l’appartenance au groupe : « est-ce que je me conduis d’une manière socialement acceptable ? ». C’est pour ça qu’on peut avoir l’impression que cette partie haute est plus « rationnelle » ou « plus raisonnable ». Pourtant il s’agit uniquement de 2 familles d’émotions.
A l’équilibre entre ces deux parties, on peut avoir des émotions « individuelles », des besoins, des inquiétudes. Mais on va les exprimer d’une manière qui est socialement acceptable. On va aussi avoir des stratégies de régulation plus efficaces ou en tout cas se questionner sur leur efficacité.
Mais quand ces stratégies permettant de respecter les règles du groupe ne fonctionnent pas, le niveau des émotions primaires monte. On se retrouve envahi par les émotions de la partie basse.
La partie « haute » est réduite à la portion congrue. C’est là où on va déborder, s’énerver. Et même faire des trucs qui n’ont aucun sens.
Les parents, c’est dans cet état vous allez vous mettre à crier sur vos enfants, tout en vous disant que c’est nul et que ça ne sert à rien.
C’est un outil intéressant pour apprendre à identifier le moment où on s’approche de l’explosion. Parce que c’est avant ça qu’il faut agir ! Si on attend, on ne retiendra pas l’émotion.
Quelques stratégies de contrôle de la colère et leurs limites
Cécile : Au bureau, la pression sociale est tellement forte que le contrôle est lui aussi très fort. Mais plus on contrôle, plus il risque d’exploser très fortement.
Dans ces stratégies de contrôle, on trouve des techniques pour canaliser justement la colère avant qu’elle ne déborde. En télétravail, on peut couper son micro ou sa caméra, tu peux dire : « attendez, ne bougez pas, j’ai un livreur qui arrive » ou « il faut que je fasse sortir le chien« . Ce sont des petits stratagèmes tout bêtes. Ils te donnent les quelques secondes dont tu as besoin pour respirer un coup. Alors que, dans une salle de réunion, brusquement tu as le rouge qui te montes au visage, c’est plus compliqué : ton corps a parlé pour toi.
Ces manières de canaliser la colère dans l’instant peuvent être utiles. Et puis, il y a ce mail que tu vas écrire ce soir et que tu n’enverras que demain. Ou que tu n’en verras pas !
Sandrine : l’inconvénient, c’est que ces techniques ne « soignent » pas les causes de la colère.
Cécile : On est bien d’accord. En revanche, elles permettent de limiter les risques sociaux d’exclusion du groupe, de dommages sur la réputation, etc qui sont attachés à l’expression de la colère. Et qui sont attachés au fait que, quand tu poses des limites, et bien tu déranges la limite de l’autre.
Dans la vie en entreprise, un des rôles des personnes à responsabilité semble être de gérer une sorte d’injustice permanente – donc de raisons permanentes d’être en colère, soi-même ou les autres.
Et puisqu’il faut composer avec cette injustice permanente ou ces incohérences permanentes génératrices de colère, alors les outils pour canaliser et rendre ça socialement gérable sont utiles.
Sandrine : Ca me fait penser à plusieurs accompagnements. C’est important d’avoir des soupapes de sécurité, des moyens de canaliser sa colère pour la faire baisser, pour rendre son expression plus entendable et plus respectueuse.
Mais se limiter à ça serait très dangereux. Je vois énormément de parents qui s’énervent trop à leur goût. Et souvent ils ne font que multiplier des manières de canaliser et d’éteindre leur colère. Ils font de la méditation, du yoga, ils respirent, … tout un tas de techniques pour prendre sur eux, uniquement dans l’idée d’adoucir l’expression de leur colère,
Ils ne cherchent pas comment ils peuvent être plus efficace pour faire respecter leurs limites mais uniquement comment ils peuvent les exprimer de manière plus douce.
Ça me fait penser à une de coaching professionnel ( j’en fais aussi !). Cette personne était au bord du burn-out, qui ne dormait plus. Elle était devenue aussi irascible avec ses collègues : elle critiquait tout, tout le temps, en supportait plus rien. Et c’est précisément pour ça que sa direction a fait appel à moi.
Il y avait une grosse problématique de colère sous jacente (des comportements à la limite de l’honnêteté, très difficile à supporter car en contradiction avec ses valeurs). Elle avait signalé à ses supérieurs. On lui avait répondu d’être juste un peu patiente, que la personne concernée ne serait plus là pour très longtemps (2 ans quand même !).
Elle prenait sur elle. Mais retenir cette colère lui était très difficile. Et petit à petit cette colère orientée vers une seule personne était devenue envahissante. Elle sautait en réunion sur tout ce qui n’était pas au top et elle critiquait tout. C’était très mal reçu … et ça lui avait fait perdre toute crédibilité. Donc même sur des sujets où ses critiques étaient parfaitement légitimes, elle n’était plus entendue. Ce qui faisait grossir encore et encore la colère.
Nous avons travaillé sur la colère de fond (une sorte de deuil à faire). Mais je lui avais proposé de noter tout ce qui lui posait problème sans l’exprimer sur le moment, en réunion notamment (une technique pour canaliser sa colère). Puis d’exprimer UNE SEULE CHOSE à la fin de la réunion.
Au rendez-vous suivant, elle m’a dit : « je n’aurais jamais pensé que me retenir de dire les choses auraient pu me soulager. ».
Note : vous pouvez lire mon article à propos de ce coaching ici.
Mais ça a été soulageant parce qu’elle avait été mieux entendue et avait retrouvé de la crédibilité, pas parce qu’elle s’était retenue.
C’est aussi une chose que je peux proposer parfois aux parents : quand on se se sent inefficace, le moindre truc que les enfants ne font pas vient réactiver la colère. Et ça nous met en rage. Et on est encore moins entendus (les enfants trouvent qu’on abusent)
Faire le tri sur un certain nombre de règles – choisir ses combats – peut avoir un effet apaisant. Ou parfois même de faire tenir les règles à temps partiel seulement !
Un exemple : je reçois une maman enseignante. Ca ne se passe pas très bien avec les enfants qui ne l’écoutent pas trop et elle s’énerve souvent. Les vacances scolaires arrivent et elle appréhende horriblement ce temps : « ça va être l’enfer. Je ne me sens pas capable de vivre avec eux pendant deux mois à temps plein. »
Je lui propose donc de tenir les règles un jour sur deux : « un jour, c’est les règles strictes, comme vous voudriez que ce soit. Vous savez que ça va vous demander de l’énergie, que vous allez devoir répéter et insister. Et le lendemain, c’est « vacances », ils font ce qu’ils veulent. Vous expliquez bien aux enfants au préalable que tenir les règles à temps plein, c’est trop fatigant pour vous, et que vous comprenez que c’est aussi très frustrant pour eux. Et que donc vous allez les tenir un jour sur deux« .
Elle a passé de très bonnes vacances ! Beaucoup moins fatigantes que d’habitude parce qu’un jour sur deux, elle était moins frustrée, elle savait qu’ils ne feraient rien.
Et puis, ça lui a permis de voir que ses enfants n’étaient pas si ingrats ou irresponsables : les jours où elle lâchait, finalement ils en faisaient plus que ce qu’elle avait pensé.
Aussi surprenant que ça puisse paraître, relâcher un peu les exigences quand on commence à en vouloir à ses enfants, ça peut aussi apaiser la colère. Ca revient à arrêter de l’alimenter soi-même (les autres dont déjà assez frustrants comme ça sans qu’on en rajoute)
Pour les soupapes de sécurité, il m’arrive parfois de proposer aux gens qui ont envie de s’énerver, en fait, d’écrire ce qu’ils voudraient dire : « Avant de le dire, écrivez-le, jetez sur le papier, prenez un carnet, allez aux toilettes, faites ce que vous voulez. Et après, vous décidez ce que vous voulez dire ou pas dire.«
Cécile : Je travaille beaucoup avec des gens qui doivent contrôler jusqu’à leur langage non verbal. Et la stratégie la plus couramment employée dans les entreprises où j’interviens, c’est le silence. C’est-à-dire que silence égale mauvais signe : « Je ne réponds pas à tes mails, je ne réponds pas à ta remarque en réunion« .
Ca ressemble au ghosting dont on parle beaucoup dans les relations amoureuses. C’est aussi présent dans les relations de travail entre collègues : « tu fais chier, je ne te calcule plus, je ne te réponds plus. Je ne suis plus là ».
Sandrine : Oui, ça met la personne qui subit le silence dans une situation d’impuissance qui est horrible. On perd tout pouvoir d’agir sur la situation face à quelqu’un qui ne nous calcule pas, qui ne réagit pas.
Cécile : Dans des entreprises où la collaboration est une valeur importante, c’est une espèce de sceau d’infamie. Trouver des manières de maintenir le dialogue est une nécessité vitale pour beaucoup. Ce qui peut être très coinçant.
Sandrine : En famille, on voit beaucoup moins ça, même si on peut avoir, notamment à l’adolescence, parfois des ados qui font un peu ce genre de choses, c’est-à-dire qu’ils ne répondent pas aux sollicitations, ils se murent dans le silence.
Mais la plupart du temps, on est plutôt dans des dynamiques très conflictuelles. Ce qui est plutôt bon signe : quand on est dans le conflit, on est encore dans la relation.
On a envie que cette relation change quand on est dans le conflit. On essaie de la faire changer.
Quand on est dans le silence, ce n’est pas du tout pareil. Ca peut être le signe qu’on a renoncé à la relation. Est-ce que tu l’interprètes comme moi ?
Cécile : Absolument. Les possibilités de ne plus être en relation les uns avec les autres se sont multipliées avec la multiplication des canaux de communication.
J’ai un souvenir vraiment précis d’un client avec lequel j’ai senti que quelque chose m’échappait au délai de réponse à mes mails ou à mes messages téléphoniques. Pendant trois mois, il me répondait dans les minutes ou dans l’heure qui suivait.
Et puis brusquement, j’ai vu des journées entières passer. Rien que ça, et ça peut provoquer des angoisses épouvantables.
Sandrine : Oui. Et ces messageries internes, les groupes WhatsApp, les Slack et autres, ça interroge beaucoup sur la relation : trop, pas assez, trop vite, trop tard. C’est pas mal source de colère, de conflits, d’incompréhension, de difficultés.
En famille, je le vois avec les groupes Whatsapp familiaux ou les échanges par messages qui sont sources de beaucoup de colère et de frustration notamment pour la famille plus éloignée.
Des parents d’enfants adultes ou des grand-parents ne savent plus comment garder le contact avec leurs enfants quand ils sont éloignés géograpqhiement. On a souvent des communications par messagerie, etc. Mais quand il y a un problème dans la relation, il suffit de rompre la relation numérique pour qu’il n’y ait plus de relation du tout. Et les parents / grand-parents se retrouvent dans l’impuissance, l’incompréhension, le sentiment d’injustice, la colère.
Ils me demandant quoi faire ? Faut-il insister ?
Et c’est très difficile de réparer une relation quand l’autre nous donne peu de moyens de le faire. C’est-à-dire que ça prend souvent pas mal de temps et ça demande d’être extrêmement prudent, surtout quand on n’a pas très bien compris ce qui posait problème. Cette mise à distance peut générer beaucoup de colère et parfois l’envie de ruer dans les brancards : « Est-ce que je tape un scandale pour faire éclater le bazar ? » me demandent-ils « ou bien « j’y vais prudemment ?« .
C’est difficile de déterminer la conduite à tenir parce que, quoi qu’on fasse, on prend le risque d’abimer encore plus la relation et d’arriver à une rupture totale et définitive. Et je comprends que les parents ne veuillent pas prendre ce risque et qu’ils continuent de subir une situation qui ne leur convient pas. C’est très douloureux, mais ça revient aussi à choisir ses options avec leurs inconvénients comme je l’ai évoqué plus haut.
En résumé, c’est qu’il faut retenir de cet épisode sur la colère
Sandrine : On a abordé pas mal de choses autour de la colère . Nous avons parlé :
- de la différence entre colère et violence.
- du message de la colère : c’est l’émotion qui nous incitait à poser nos limites
- du fait que poser ses limites c’est souvent compliqué, que ce soit en entreprise ou que ce soit dans la parentalité : par peur d’abîmer la relation, pour l’image que ça peut donner, etc.
- quand on ne pose pas suffisamment ses limites on risque d’exploser. A l’inverse si on en pose trop, elles peuvent être moins respectées, ça peut là aussi amener à une montée de la violence. Dans les 2, cela peut conduire à des explosions de violence, à de la souffrance, à de l’amertume.
Est-ce que tu vois quelque chose à ajouter par rapport à tout ce qu’on a dit ici ? Un peu pour conclure.
Cécile : Oui ! Je voudrais réhabiliter la colère. La colère, c’est une émotion, elle nous dit quelque chose. Et la diabolisation de la colère – dire « mais être en colère, ce n’est pas bien » – c’est très culpabilisant et très contre-productif. V
oilà, la colère, elle nous envoie un message, elle nous dit « il y a quelque chose à faire à cet endroit-là : tu as besoin de défendre quelque chose. Tu vas le faire ou pas, mais il faut que ce soit ton choix ». Et ce que la colère indique c’est qu’on doit choisir.
Diaboliser la colère, c’est la meilleure manière pour retourner sa violence contre soi.
Donc voilà, pour moi, c’est une énergie formidable aussi, la colère, même si elle peut coûter cher socialement. Alors écoutons-la et ne la diabolisons pas trop.
Sandrine : Je te rejoins à 100%. Je ne saurais dire mieux.
La colère, c’est vraiment, c’est beaucoup d’énergie. Energie qu’on peut mettre au service de choses extrêmement positives.
Et je te rejoins aussi sur le fait que le problème n’est pas la colère, mais comment est-ce qu’on la régule et qui peut amener à soit elle explose, soit elle se retourne contre nous.
En effet, il y a des moments où on doit faire un choix : « est-ce que je continue à dire en sachant que ce n’est pas écouté ou est-ce que j’arrête de dire ? » Ou « est-ce que je continue à ne pas dire en sachant que ma colère me ronge ?« . Et encore : « Qu’est-ce que je choisis de dire ?« .
C’est une conclusion magnifique. Merci beaucoup, Cécile !
On va laisser les auditeurs et les auditrices nous faire leur retour et nous dire si cet épisode leur a plu.
À très bientôt. Vous l’avez vu, le contenu est extrêmement dense. Il y a énormément de fils à tirer autour de la colère.
C’est pour quoi que j’ai prévu, à la suite de ce premier épisode introductif, de vous faire au moins 3 épisodes supplémentaires sur la colère :
- un épisode de généralités pour reprendre les mécanismes de la colère
- un épisode sur la colère chez les enfants, principalement les plus jeunes (pourquoi ils explosent, pourquoi ils font des crises, comment y réagir)
- un épisode sur la colère chez les parents : d’où elle vient et comment la réguler plus efficacement
Retranscription faite grâce à WhisperTranscribe (lien affilié)
Pour finir …
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