Conversation sur la colère

Cet article est le 1er d’un série de 4 consacrés à la colère. Il est un peu différent de mes épisodes habituels puisque j’y reçois une collègue et amie, Cécile Guinnebault. Nous avions déjà collaboré autour d’un article sur le traumatisme, que vous pouvez trouver ici. Nous avons eu envie de réitérer l’expérience en parlant ensemble de colère. La colère est en effet une émotion qui nous tient à cœur et sur laquelle nous avions toutes les 2 beaucoup à dire !

Quelques mots sur Cécile par elle-même :

Cécile : Je suis Cécile Guinnebault. Je suis coach en entreprise depuis une vingtaine d’années. Plus précisément, j’accompagne les managers depuis plus de trente ans. J’ai été formatrice, consultante en organisation, et ma carrière entière a consisté à épauler des managers, que ce soit dans leurs moments de réussite ou dans leurs périodes plus complexes. Les émotions, et en particulier la colère, occupent une place importante dans ces accompagnements.

Vous pouvez aussi retrouver Cécile sur son site « Bridge The Gap – Coaching »

J’ai gardé la forme du dialogue pour la retranscription des points clés de cet épisode. Si vous voulez bénéficier de l’intégralité du contenu, je vous invite à écouter l’épisode de podcast (ou à regarder la vidéo sur Youtube)

EP. 9 Conversation sur la colère Du côté des parents !

Episode 9 – "Du côté des parents !" : Une conversation à propos de la colère, avec mon amie et collègue Cécile Guinnebault, coach en entreprise. Nous y faisons des parallèles entre le monde de l'entreprise et la parentalité pour identifier les mécanismes de la colère, ses pièges et son utilité. Pour retrouver Cécile : Son site : https://bridge-the-gap-coaching.com/ son profil LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/c%C3%A9cile-guinnebault/ — 🔗 LIENS ET RESSOURCES 🔗 —- mon blog la retranscription de l'épisode : https://blog.scommc.fr/conversation-sur-la-colere/ vous abonner à ma newsletter : ⁠⁠⁠⁠⁠https://mailchi.mp/scommc/podcast⁠⁠⁠⁠⁠ pour en savoir plus sur mon travail (conférences, formations et accompagnements) : ⁠⁠⁠⁠⁠https://scommc.fr/⁠⁠⁠⁠⁠ Pour faire un don : ⁠⁠⁠⁠⁠https://bit.ly/donducotedesparents⁠⁠⁠⁠⁠ — 📩 POUR ME CONTACTER 📩 —- par mail : ⁠⁠⁠⁠⁠sandrine@scommc.fr⁠⁠⁠⁠⁠ sur Facebook : ⁠⁠⁠⁠⁠https://www.facebook.com/SandrineDonzelSCommC/⁠⁠⁠⁠⁠ sur Instagram : ⁠⁠⁠⁠⁠https://www.instagram.com/sandrinedonzel/⁠⁠⁠⁠⁠ sur LinkedIn : ⁠⁠⁠⁠⁠https://www.linkedin.com/in/sandrinedonzeljuge/⁠⁠⁠⁠⁠ — CREDITS —– Musique : Guiton Sketch de Kevin MacLeod , licence : ⁠⁠⁠⁠⁠https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/⁠⁠⁠⁠⁠ Source : ⁠⁠⁠⁠⁠http://incompetech.com/music/royalty-free/index.html?isrc=USUAN1100473⁠⁠⁠⁠⁠ Artiste : ⁠⁠⁠⁠⁠http://incompetech.com/⁠
https://youtu.be/nZ4BDNEDNSs

Le premier problème avec la colère : différencier colère et violence et l’évolution de la place de la colère

ras le bol des demandes de bonbons des enfants !

La colère, c’est une émotion qui signale qu’une de nos limites, Et il y a quelque chose qui dit « ça, c’est pas acceptable, ça me pose un problème ». Donc ça, en soi, ça n’a rien de mal à ressentir de la colère. C’est même très utile mais on y reviendra dans la suite de cet épisode.

La violence, c’est quand il y a prise de pouvoir sur l’autre et/ou de comportement qui peut faire mal à l’autre.

C’est particulièrement présent dans la parentalité, parce qu’à juste titre, on s’est rendu compte que les rapports violents avec ses enfants, au sens large, c’est-à-dire strictement basés sur la domination, sur « tu fais comme je dis parce que c’est comme ça et c’est pas autrement », ce n’était pas favorable pour le bon développement des enfants.

Sandrine : Dans la parentalité aussi, l’éclat de voix, le fait de s’énerver est de plus en plus proscrit. Ca me permet d’amener une nuance par rapport à l’entreprise, parce que le contexte n’est pas tout à fait le même.

L’immense majorité des parents, effectivement, n’a pas envie de crier sur ses enfants.

Les parents ont à cœur de ne pas crier sur leurs enfants, de garder une bonne qualité de relation.

Le 1er parallèle que je vois avec l’entreprise, c’est le fait de se voir imposer un rythme qui n’est pas le nôtre.

Vivre avec un enfant, ce sont des contraintes liées au développement de l’enfant, à son emploi du temps, etc. , qui font qu’on ne peut pas strictement respecter son propre rythme. Ca crée de la frustration, qu’on le veuille ou non, et même si on aime son enfant très fort.

Avoir un enfant, c’est aussi cohabiter avec quelqu’un qui n’a pas encore toutes les compétences pour ranger tout ce qui traîne, pour tenir compte de toutes les règles, notamment chez les enfants en bas âge. Là aussi c’est une forme de frustration et de colère (mes limites dépassées, mes besoins non respectés).

Il y a donc dans la parentalité de multiples occasions d’en avoir à le bol et d’avoir besoin de poser des limites.

Mais si on ne s’autorise pas à les exprimer ou les faire respecter à cause de cette confusion entre colère et violente, on est face à un dilemme très difficile.

Sandrine : C’est très important de le souligner aussi bien en entreprise que dans la parentalité là aussi. C’est exactement la même chose : malgré une volonté d’être bienveillants, les parents se retrouvent malgré eux à faire des choses qui vont à l’inverse de leur idéal.

Et il arrive parfois que les parents se sentent horriblement coupables : ils ont un besoin qu’ils ne parviennent pas à faire respecter. Ils essaient des tas de choses encore et encore, espérant que leur entourage – enfants notamment – vont finir par comprendre ce qu’ils attendent d’eux. Et la colère monte encore et encore. Il arrive alors que cette colère se transforme en une forme d’amertume et d’envie de « faire mal » à l’autre. Pas pour le plaisir de faire mal, mais pour le secouer, le faire réagir, pour faire prendre conscience à l’autre qu’il doit changer.

Et dans la relation parent-enfant, les parents qui en arrivent là se sentent horriblement coupables. Certains se demandent s’ils aiment encore leurs enfants. Et c’est souvent le résultat de colères régulées inefficacement.

Sandrine : La différence, c’est qu’en tant que parent, on ne peut pas « divorcer » de ses enfants. On peut quitter son travail, on peut quitter son conjoint ou le reste de sa famille, mais pas ses enfants. Et ça rajoute parfois des difficultés supplémentaires parce qu’il faut trouver le moyen de rester, même quand c’est extrêmement douloureux.

De la difficulté de poser ses limites dans un contexte où l’individu prime

Sandrine : Maintenant qu’on a exprimé cette différence entre colère et violence, je voulais souligner l’évolution vers une moindre tolérance à la frustration, dûe à un phénomène d’individualisation de la société. Je ne parle pas au sens « chacun pour soi », mais au sens « chaque individu a le droit de voir ses ressentis, ses envies, ses besoins respectés ». C’est extrêmement chouette sur plein d’aspects.

Comme on l’a dit, la colère, c’est une émotion qui amène à poser ses limites.

Mais dans le contexte où les besoins et les envies de chacun sont respectables, ça devient difficile pour les parents de savoir quelles limites poser : « Si mon enfant manifeste de la frustration, n’est pas d’accord, veut négocier, est-ce que je dois accéder à sa demande ou pas ? « 

Ça met les parents dans une grande difficulté pour poser leurs limites. C’est vraiment un abîme de réflexion, un dilemme éthique.

Est-ce la même chose en entreprise ?

Sandrine : Ça m’amène à un parallèle identique, que je n’avais pas fait du tout jusqu’ici. On constate aussi que les jeunes, aujourd’hui, ont de moins en moins envie d’être parents. Outre des considérations environnementales et féministes (les femmes se rendent compte de l’impact sur leur vie et leur carrière que peut avoir le fait de devenir mère), ta remarque sur les managers m’amène à me poser la question suivante : cette difficulté de trouver l’équilibre entre respecter son enfant et pouvoir quand même faire respecter ses propres besoins ne jouerait-elle pas aussi un rôle dans la difficulté à envisager d’être parent ? Je ne suis pas sociologue, mais ça serait intéressant de creuser cette question !

Sandrine : c’est un gros paradoxe ! Dans la famille, on n’a pas ce type de processus décidés ailleurs. Mais on a de très grosses injonctions à être tel ou tel type de parent, à respecter tel ou tel modèle, chacun se revendiquant comme le meilleur.

Quand le respect de l’individu empêche de faire respecter ses limites

Sandrine : j’aimerai revenir sur la notion de « poser ses limites ». On a vu que la colère est une émotion qui dit « tiens, là, il y a quelque chose qui ne me convient pas, une limite qui est dépassée et que je devrais peut-être faire respecter ».

Ca suppose, pour que la colère soit régulée, qu’on puisse exprimer cette limite et la faire respecter. Cela implique d’exprimer sa limite. Ce qui n’est pas facile !

Poser une limite consiste à demander à quelqu’un de faire quelque chose qu’à priori, cette personne n’est pas d’accord pour faire. C’est-à-dire de lui imposer quelque chose de désagréable (pas de violent mais de désagréable !

Quand on exprime une limite – je parle même pas de la faire respecter, mais d’exprimer son besoin – implicitement, ça dit : « ce que tu fais, ça me pose un problème. Tu vas devoir changer de comportement« .

C’est forcément désagréable pour celui à qui j’exprime cette limite. Et ça, ça pose un problème comme je le disais précédemment : « de quel droit je vais imposer aux autres de faire telle ou telle chose, y compris à mes enfants ? »

Sandrine : Ce que j’observe moi dans la famille, c’est pas forcément la peur du conflit, mais c’est une importance très grande accordée à la qualité de la relation.

Il y a une sorte de règle qui dit qu’on doit être en relation avec son enfant de manière sereine : chacun doit pouvoir s’exprimer, être écouté, etc. C’est une injonction assez forte d’avoir de bonnes relations familiales. Et quand il y a des tensions, il y a beaucoup d’inquiétudes.

Dans ce contexte, quand on « s’engueule » avec son enfant, que pendant quelques jours, on est à couteaux tirés, c’est très difficile à vivre. Et ça peut fortement compliquer le fait de poser ou même d’exprimer des limites.

Donc je te rejoins sur cette peur du conflit, ou plutôt cette peur de la dégradation de la relation.

Elle va amener, dans certains cas, à reculer sur la limite, ou à se prendre la tête pendant des heures pour savoir comment faire.

Je me souviens d’une maman d’adolescents qui me demandait « s’il vous plaît, dites-moi quelle est la bonne limite à poser ? ». Elle ne savait pas si elle devait limiter certaines choses ou ne pas les limiter, laisser sortir ses ados ou pas.

J’avais été interpellée vers cette formulation. Je n’ai aucune idée de ce qu’est LA limite à poser : les limites varient en fonction du parent, de l’enfant, de leur relation du contexte, etc. Aucune limite ou absence de limite n’est bonne ou mauvaise dans l’absolu !

Je lui avais alors demandé « mais selon vous, ça serait quoi une bonne limite ? Comment vous sauriez que vous avez trouvé une bonne limite ? ». Et elle m’avait répondu cette chose tout à fait surprenante : «c’est une limite que mes enfants vont respecter sans discuter ».

Mais ça, c’est totalement utopique ! Comme nous le disions plus haut : faire respecter son besoin ou poser sa limite implique de demander à l’autre de faire quelque chose qui ne lui est pas spontané et généralement lui est désagréable.

Y a-t-il « une bonne manière » d’exprimer ses limites ?

Sandrine : il y a aussi une exigence forte sur la manière d’exprimer ces limites. Je le vois dans la parentalité où on essaye de trouver des formulations « parfaites ». Souvent, des parents me disent « je suis formée à la CNV, donc communication non-violente, tout ça, j’essaye de trouver, mais ça ne marche quand même pas », comme s’ils attendaient que la forme fasse tout. Et s’ils n’ont pas trouvé la forme absolument non violente, ils ne posent pas de limites.

Moi, je leur dis souvent de manière très provoc : « tant que vous ne vous sentez pas capable de dire « vous me faites tous chier, allez vous faire voir », ça va être dur pour vous de poser une limite.

Tant qu’on n’assume pas qu’on va imposer quelque chose à quelqu’un, tous les beaux outils du monde, ça sert juste à essayer d’emballer un truc qu’au fond, on ne veut pas donner à l’autre. Donc, il faut arrêter de l’emballer à un moment donné parce que ça ne va pas résoudre le problème !

Faire à la place des autres augmente notre colère. Cesser de le faire implique de prendre des risques !

Sandrine : ah oui Gaston en effet ! Le manager, un peu moins ! Je rebondis là-dessus parce que c’est une situation que je retrouve extrêmement souvent. Les parents sont dans la position du manager que tu viens de décrire et ont à manager des enfants qui savent très bien poser leurs limites, c’est-à-dire ne pas faire ce qu’ils n’ont pas envie de faire !

J’appelle ça le cercle vicieux de la râlerie.

Les enfants – mais parfois aussi le partenaire de vie – ne font pas ce qu’on attend. On demande, mais rien ne se fait. C’est agaçant. On réitére la demande, en s’énervant un peu plus.

Au bout d’un moment, on fait à la place de l’autre. Parce qu’on se dit : « je ne vais quand même pas laisser traîner les affaires » ou « mais quand même, le pauvre, s’il n’a pas son sac pour aller au sport« , etc. Mais en faisant ça, on compense et on déresponsabilise !

Quelqu’un d’intelligent se dit : « si je ne le fais pas et que quelqu’un finit par le faire à la place, mais pourquoi je me forcerais à le faire ? » (Mon fils, qui est d’une honnêteté désarmante, m’a déjà dit ça !

Le premier cercle vicieux ici est : plus je fais à la place, plus l’autre se déresponsabilise et moins il a intérêt à faire par lui-même.

Mais il y a une deuxième couche au cercle vicieux : comme ma colère monte, je râle et je m’énerve. Et après, je suis discréditée, on ne m’écoute plus parce que je râle.

On me renvoit des choses comme : « Oui, mais tu as vu comment tu me parles ! » ou « Oui, mais de toute façon, tu râles tout le temps, donc je ne t’écoute plus« .

Et donc plus je fais en râlant à la place de l’autre, moins l’autre fait et plus je m’énerve, moins il fait.

La question est : que se passerait-il si on arrêtait de faire ? Dans ton exemple, on ne sait pas ce qui se serait passé si le manager avait arrêté de compenser ?

Comment se préparer à compenser moins ?

Sandrine : En famille, c’est un peu différent. Mais il y a quand même la notion de responsabilité : « je suis responsable de mon enfant, je dois faire des choses pour lui« .

Mais aussi, les parents se sentent souvent obligés à continuer de compenser par peur que les conséquences négatives atteignent l’enfant. Et parce qu’ils se sentent coupables si on n’empêche pas ça ou qu’on les prive  » de leur vie d’enfant ».

Un exemple : mes enfants font leur lessive depuis déjà très longtemps (à leur entrée respective en 6e). Beaucoup de gens me disent : « Mais comment es-tu arrivé à ce résultat ? » (qui leur semble exceptionnel !)

La réponse est simple : je ne leur aurais pas laissé le choix. Je leur ai dit « Si vous ne vous occupez pas vous-même de votre linge, il n’y aurait pas de linge propre« .

Et là, j’ai beaucoup de réactions de parents qui disent « Ah mais c’est horrible, les pauvres ! » ou « mais ce n’est pas leur boulot de faire ça, c’est le vôtre ! » ou encore « Et s’ils s’étaient fait harceler parce qu’ils avaient des vêtements sales ?« .

C’est une crainte légitime, que je comprends tout à fait. Mais on n’a rien sans prendre de risques, hélas.

La décision de continuer à compenser ou d’arrêter se prend en évaluant les risques des deux options. On a souvent l’impression qu’il n’y a que des avantages à continuer de compenser, à part notre agacement.

C’est possible qu’il y ait des inconvénients, mais qu’ils ne soient pas très embêtants – « ça m’agace un peu de faire à la place, mais en fait, ça va, ça ne me pose pas de problème« . Ou dans l’entreprise : « je compense, ça m’agace mais je ne suis pas en burnout. Et puis ça me permet, ça permet au service d’atteindre ses objectifs. Et du coup, j’ai mes récompenses, mes bonus, etc.« 

Par contre, quand l’inconvénient de compenser prend le dessus – ça commence à devenir vraiment douloureux et la colère monte – là on va devoir se poser la question de savoir si on continue de compenser ou non.

C’est là que je parle de « plan A, plan B ». C’est une manière de réfléchir à la situation … et c’est aussi un réflexe d’acheteuse – mon ancien métier !

Dans les achats ou le commercial, on rentre dans une négociation uniquement si on a une meilleure solution de repli. En quoi consiste cette meilleure solution de repli ?

On la trouve en répondant à la question : « Que se passe-t-il si je ne rentre même pas dans la négociation ? ».

On envisage alors toutes les options, on les prépare même ! Le résultat attendu de la négociation doit être meilleur que cette solution de repli. Même si l’autre dit non à tout lorsque je lui demande quelque chose, je dois arriver au même niveau de satisfaction qu’avec cette solution de repli. Et même mieux sinon ce n’est même pas la peine de perdre du temps à discuter et à formuler des demandes.

Ca oblige à se poser des questions très concrètes : « Ok, je fais quoi si l’autre ne respecte pas mes consignes ? Ou ne fait pas ce que je lui demande, n’accepte pas ma demande ? Quelles sont mes différentes options ? Je serai frustrée mais qu’est-ce que je vais faire ? Est-ce que je vais laisser tomber ou pas ? Et si je ne compense pas, que se passe-t-il ? etc »

Poser ces options permet de mieux peser les avantages et les inconvénients, les risques et les bénéfices, et de mieux décider ce qu’on est prêt à lâcher ou pas.

L’idée, ce n’est pas forcément d’arrêter de compenser sur tout, mais de changer un peu la dynamique, pour faire évoluer les choses. Ça peut être extrêmement intéressant de voir l’évolution quand on fait ce travail.

Note : vous trouverez des éléments complémentaires dans cet article "quelle est la différence entre menacer et poser ses limites ?"

C’est aussi une des choses pour lesquelles je milite : les experts ont tendance à défendre leur modèle en disant « le modèle A, c’est le meilleur, il faut faire comme ça« , ou à l’inverse « non, c’est le modèle B qui est le meilleur« . Les parents sont écartelés entre les deux et culpabilisés : s’ils choisissent A ils sont de mauvais parents parce qu’ils n’ont pas choisi B et vice versa.

Pourtant le modèle A, il marche dans certains cas, dans certaines situations, dans certains contextes. Et le modèle B, il marche aussi très bien dans d’autres cas, dans d’autres situations.

Sandrine : Je dis souvent : « depuis le temps qu’on fait des enfants, s’il y avait une bonne manière de faire, il y a longtemps qu’on l’aurait trouvée ». Faire ce travail de choix, c’est au fond une manière assez directe de faire dégonfler le ballon émotionnel.

Les parents devraient pouvoir prendre des décisions adaptées à leur contexte spécifique, à leur enfant. C’est important de leur donner les moyens d’y réfléchir. Faute de quoi ils sont en échec et leur colère ne risque pas de baisser !

Cette question des avantages et des inconvénients en regardant très concrètement ce que je fais et les résultats que j’obtiens, et le coût que ça a pour moi, elle permet justement cette décision.

Retour sur le ballon émotionnel

Sandrine : Je reviens à l’outil du ballon émotionnel que tu as évoqué. C’est un outil qui vient de Thomas Gordon dans un livre sur le management « Leader efficace » (même s’il est surtout connu pour ses livres sur la parentalité, Thomas Gordon a aussi écrit sur le management).

Note : vous pouvez retrouver plus d'infos sur le ballon émotionnel ici.

Le ballon émotionnel, c’est une image qui traduit la manière dont nos émotions fonctionnent.

C’est un peu comme si notre cerveau était un ballon de baudruche rempli de 2 types de choses : dans la partie basse on retrouve des émotions associées à la protection individuelle, à la satisfaction des besoins individuels.

C’est là qu’on retrouve par exemple le respect de ses limites, la peur, etc.

Dans la partie haute, ça va être plutôt les émotions qui sont orientées sur l’appartenance au groupe : « est-ce que je me conduis d’une manière socialement acceptable ? ». C’est pour ça qu’on peut avoir l’impression que cette partie haute est plus « rationnelle » ou « plus raisonnable ». Pourtant il s’agit uniquement de 2 familles d’émotions.

A l’équilibre entre ces deux parties, on peut avoir des émotions « individuelles », des besoins, des inquiétudes. Mais on va les exprimer d’une manière qui est socialement acceptable. On va aussi avoir des stratégies de régulation plus efficaces ou en tout cas se questionner sur leur efficacité.

Mais quand ces stratégies permettant de respecter les règles du groupe ne fonctionnent pas, le niveau des émotions primaires monte. On se retrouve envahi par les émotions de la partie basse.

La partie « haute » est réduite à la portion congrue. C’est là où on va déborder, s’énerver. Et même faire des trucs qui n’ont aucun sens.

Les parents, c’est dans cet état vous allez vous mettre à crier sur vos enfants, tout en vous disant que c’est nul et que ça ne sert à rien.

C’est un outil intéressant pour apprendre à identifier le moment où on s’approche de l’explosion. Parce que c’est avant ça qu’il faut agir ! Si on attend, on ne retiendra pas l’émotion.

Quelques stratégies de contrôle de la colère et leurs limites

Sandrine : l’inconvénient, c’est que ces techniques ne « soignent » pas les causes de la colère.

Sandrine : Ca me fait penser à plusieurs accompagnements. C’est important d’avoir des soupapes de sécurité, des moyens de canaliser sa colère pour la faire baisser, pour rendre son expression plus entendable et plus respectueuse.

Mais se limiter à ça serait très dangereux. Je vois énormément de parents qui s’énervent trop à leur goût. Et souvent ils ne font que multiplier des manières de canaliser et d’éteindre leur colère. Ils font de la méditation, du yoga, ils respirent, … tout un tas de techniques pour prendre sur eux, uniquement dans l’idée d’adoucir l’expression de leur colère,

Ils ne cherchent pas comment ils peuvent être plus efficace pour faire respecter leurs limites mais uniquement comment ils peuvent les exprimer de manière plus douce.

Ça me fait penser à une de coaching professionnel ( j’en fais aussi !). Cette personne était au bord du burn-out, qui ne dormait plus. Elle était devenue aussi irascible avec ses collègues : elle critiquait tout, tout le temps, en supportait plus rien. Et c’est précisément pour ça que sa direction a fait appel à moi.

Il y avait une grosse problématique de colère sous jacente (des comportements à la limite de l’honnêteté, très difficile à supporter car en contradiction avec ses valeurs). Elle avait signalé à ses supérieurs. On lui avait répondu d’être juste un peu patiente, que la personne concernée ne serait plus là pour très longtemps (2 ans quand même !).

Elle prenait sur elle. Mais retenir cette colère lui était très difficile. Et petit à petit cette colère orientée vers une seule personne était devenue envahissante. Elle sautait en réunion sur tout ce qui n’était pas au top et elle critiquait tout. C’était très mal reçu … et ça lui avait fait perdre toute crédibilité. Donc même sur des sujets où ses critiques étaient parfaitement légitimes, elle n’était plus entendue. Ce qui faisait grossir encore et encore la colère.

Nous avons travaillé sur la colère de fond (une sorte de deuil à faire). Mais je lui avais proposé de noter tout ce qui lui posait problème sans l’exprimer sur le moment, en réunion notamment (une technique pour canaliser sa colère). Puis d’exprimer UNE SEULE CHOSE à la fin de la réunion.

Au rendez-vous suivant, elle m’a dit : « je n’aurais jamais pensé que me retenir de dire les choses auraient pu me soulager. ».

Note : vous pouvez lire mon article à propos de ce coaching ici.

Mais ça a été soulageant parce qu’elle avait été mieux entendue et avait retrouvé de la crédibilité, pas parce qu’elle s’était retenue.

C’est aussi une chose que je peux proposer parfois aux parents : quand on se se sent inefficace, le moindre truc que les enfants ne font pas vient réactiver la colère. Et ça nous met en rage. Et on est encore moins entendus (les enfants trouvent qu’on abusent)

Faire le tri sur un certain nombre de règles – choisir ses combats – peut avoir un effet apaisant. Ou parfois même de faire tenir les règles à temps partiel seulement !

Un exemple : je reçois une maman enseignante. Ca ne se passe pas très bien avec les enfants qui ne l’écoutent pas trop et elle s’énerve souvent. Les vacances scolaires arrivent et elle appréhende horriblement ce temps : « ça va être l’enfer. Je ne me sens pas capable de vivre avec eux pendant deux mois à temps plein. »

Je lui propose donc de tenir les règles un jour sur deux : « un jour, c’est les règles strictes, comme vous voudriez que ce soit. Vous savez que ça va vous demander de l’énergie, que vous allez devoir répéter et insister. Et le lendemain, c’est « vacances », ils font ce qu’ils veulent. Vous expliquez bien aux enfants au préalable que tenir les règles à temps plein, c’est trop fatigant pour vous, et que vous comprenez que c’est aussi très frustrant pour eux. Et que donc vous allez les tenir un jour sur deux« .

Elle a passé de très bonnes vacances ! Beaucoup moins fatigantes que d’habitude parce qu’un jour sur deux, elle était moins frustrée, elle savait qu’ils ne feraient rien.

Et puis, ça lui a permis de voir que ses enfants n’étaient pas si ingrats ou irresponsables : les jours où elle lâchait, finalement ils en faisaient plus que ce qu’elle avait pensé.

Aussi surprenant que ça puisse paraître, relâcher un peu les exigences quand on commence à en vouloir à ses enfants, ça peut aussi apaiser la colère. Ca revient à arrêter de l’alimenter soi-même (les autres dont déjà assez frustrants comme ça sans qu’on en rajoute)

Pour les soupapes de sécurité, il m’arrive parfois de proposer aux gens qui ont envie de s’énerver, en fait, d’écrire ce qu’ils voudraient dire : « Avant de le dire, écrivez-le, jetez sur le papier, prenez un carnet, allez aux toilettes, faites ce que vous voulez. Et après, vous décidez ce que vous voulez dire ou pas dire.« 

Sandrine : Oui, ça met la personne qui subit le silence dans une situation d’impuissance qui est horrible. On perd tout pouvoir d’agir sur la situation face à quelqu’un qui ne nous calcule pas, qui ne réagit pas.

Sandrine : En famille, on voit beaucoup moins ça, même si on peut avoir, notamment à l’adolescence, parfois des ados qui font un peu ce genre de choses, c’est-à-dire qu’ils ne répondent pas aux sollicitations, ils se murent dans le silence.

Mais la plupart du temps, on est plutôt dans des dynamiques très conflictuelles. Ce qui est plutôt bon signe : quand on est dans le conflit, on est encore dans la relation.

On a envie que cette relation change quand on est dans le conflit. On essaie de la faire changer.

Quand on est dans le silence, ce n’est pas du tout pareil. Ca peut être le signe qu’on a renoncé à la relation. Est-ce que tu l’interprètes comme moi ?

Sandrine : Oui. Et ces messageries internes, les groupes WhatsApp, les Slack et autres, ça interroge beaucoup sur la relation : trop, pas assez, trop vite, trop tard. C’est pas mal source de colère, de conflits, d’incompréhension, de difficultés.

En famille, je le vois avec les groupes Whatsapp familiaux ou les échanges par messages qui sont sources de beaucoup de colère et de frustration notamment pour la famille plus éloignée.

Des parents d’enfants adultes ou des grand-parents ne savent plus comment garder le contact avec leurs enfants quand ils sont éloignés géograpqhiement. On a souvent des communications par messagerie, etc. Mais quand il y a un problème dans la relation, il suffit de rompre la relation numérique pour qu’il n’y ait plus de relation du tout. Et les parents / grand-parents se retrouvent dans l’impuissance, l’incompréhension, le sentiment d’injustice, la colère.

Ils me demandant quoi faire ? Faut-il insister ?

Et c’est très difficile de réparer une relation quand l’autre nous donne peu de moyens de le faire. C’est-à-dire que ça prend souvent pas mal de temps et ça demande d’être extrêmement prudent, surtout quand on n’a pas très bien compris ce qui posait problème. Cette mise à distance peut générer beaucoup de colère et parfois l’envie de ruer dans les brancards : « Est-ce que je tape un scandale pour faire éclater le bazar ? » me demandent-ils « ou bien « j’y vais prudemment ?« .

C’est difficile de déterminer la conduite à tenir parce que, quoi qu’on fasse, on prend le risque d’abimer encore plus la relation et d’arriver à une rupture totale et définitive. Et je comprends que les parents ne veuillent pas prendre ce risque et qu’ils continuent de subir une situation qui ne leur convient pas. C’est très douloureux, mais ça revient aussi à choisir ses options avec leurs inconvénients comme je l’ai évoqué plus haut.

En résumé, c’est qu’il faut retenir de cet épisode sur la colère

Sandrine : On a abordé pas mal de choses autour de la colère . Nous avons parlé :

  • de la différence entre colère et violence.
  • du message de la colère : c’est l’émotion qui nous incitait à poser nos limites
  • du fait que poser ses limites c’est souvent compliqué, que ce soit en entreprise ou que ce soit dans la parentalité : par peur d’abîmer la relation, pour l’image que ça peut donner, etc.
  • quand on ne pose pas suffisamment ses limites on risque d’exploser. A l’inverse si on en pose trop, elles peuvent être moins respectées, ça peut là aussi amener à une montée de la violence. Dans les 2, cela peut conduire à des explosions de violence, à de la souffrance, à de l’amertume.

Est-ce que tu vois quelque chose à ajouter par rapport à tout ce qu’on a dit ici ? Un peu pour conclure.

Sandrine : Je te rejoins à 100%. Je ne saurais dire mieux.

La colère, c’est vraiment, c’est beaucoup d’énergie. Energie qu’on peut mettre au service de choses extrêmement positives.

Et je te rejoins aussi sur le fait que le problème n’est pas la colère, mais comment est-ce qu’on la régule et qui peut amener à soit elle explose, soit elle se retourne contre nous.

En effet, il y a des moments où on doit faire un choix : « est-ce que je continue à dire en sachant que ce n’est pas écouté ou est-ce que j’arrête de dire ? » Ou « est-ce que je continue à ne pas dire en sachant que ma colère me ronge ?« . Et encore : « Qu’est-ce que je choisis de dire ?« .

C’est une conclusion magnifique. Merci beaucoup, Cécile !

On va laisser les auditeurs et les auditrices nous faire leur retour et nous dire si cet épisode leur a plu.

À très bientôt. Vous l’avez vu, le contenu est extrêmement dense. Il y a énormément de fils à tirer autour de la colère.

C’est pour quoi que j’ai prévu, à la suite de ce premier épisode introductif, de vous faire au moins 3 épisodes supplémentaires sur la colère :

  1. un épisode de généralités pour reprendre les mécanismes de la colère
  2. un épisode sur la colère chez les enfants, principalement les plus jeunes (pourquoi ils explosent, pourquoi ils font des crises, comment y réagir)
  3. un épisode sur la colère chez les parents : d’où elle vient et comment la réguler plus efficacement

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Pour finir …

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Sandrine Donzel

Parentalité, couple, communication, développement personnel ? Votre vie ne ressemble pas à ce qui est décrit dans les livres ? Pas de panique et bienvenue dans la VRAIE VIE, celle qui est abordée sur ce blog ! Je vous y propose des outils concrets, pragmatiques et REALISTES pour répondre à vos interrogations. Bonne lecture !

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