Quelle différence entre poser ses limites et menacer ?
Poser ses limites n’est pas aussi facile qu’on le croit : pour que ce soit efficace, ça suppose notamment d’annoncer les conséquences si ces limites ne sont pas respectées. Dans mes accompagnements – que ce soit dans l’éducation des enfants dans les relations de couple ou dans les relations professionnelles – beaucoup hésitent à le faire, par peur que cela soit perçu comme une menace. Pourtant poser ses limites personnelles de façon claire est indispensable pour avoir des relations de qualité et pour préserver sa santé mentale.
Alors comment différencier menacer et poser ses limites ? C’est que ce je me propose d’aborder dans cet article.
A noter : cet article est disponible ici en version vidéo ⬇️:
Menacer, ça veut dire quoi ?
La limite entre « menacer » et « poser ses limites en annonçant les conséquences de leur non respect » peur sembler effectivement très fine. Commençons par définir la menace …
Menacer, c’est annoncer des conséquences négatives en espérant que la peur de ces conséquences négatives fasse changer le comportement de l’autre.
La menace est marquée par une caractéristique insidieuse : l’absence de choix véritable laissée à la personne visée. Le message implicite est sans équivoque : « Conforme-toi à ma demande … ou subis ma vengance« .
La menace s’inscrit donc dans un cadre où la peur est l’outil principal de persuasion, ce qui construit un rapport de pouvoir déséquilibré : l’un domine et l’autre se soumet (du moins en théorie).
Et qui dit rapport de pouvoir dit enjeu émotionnel : voir l’autre échapper à notre pouvoir nous rend quasi automatiquement furieux. Ce qui est en jeu, ce n’est plus seulement le comportement à changer mais le fait que notre pouvoir est contesté.
Se sentir impuissante rend la personne qui menace furieuse.
Et lui donne envie de retrouver son pouvoir et donc la maitrise de la situation … en aggravant la menace.
L’autre – particulièrement les enfants – identifie alors très facilement qu’il a là un moyen de renverser le rapport de pouvoir : « si je résiste à ta menace, c’est moi qui aie le pouvoir (de t’énerver) »
On se retrouve alors dans une situation où la provocation répond à la colère dans une escalade relationnelle sans fin.
Si vous êtes parent, je crois que je n’ai même pas besoin de vous donner des exemples pour que vous compreniez très bien de quoi je veux parler 😅 …
Maintenant que nous avons exploré ce qu’est la menace et ses implications dans nos relations, voyons maintenant ce que veut dire poser ses limites de manière saine. Comme je le disais, ça peut sembler similaire à première vue – on annonce des conséquences – mais il y a des différences très importantes, notamment dans la posture et les émotions en jeu.
Poser ses limites : le choix … et la liberté de ne pas obéir
Poser ses limites, c’est comme donner à l’autre un plan de la ville en lui indiquant les rues bloquées pour travaux.
Vous n’obligez pas la personne à emprunter un chemin spécifique. Vous lui signalez simplement les caractéristiques de chaque itinéraire : certains chemins sont plus courts en distance mais supposent de devoir escalader les palissades mises autour des travaux, voire de passer par des endroits dangereux.
Mais vous lui laissez cependant la liberté de choisir son parcours … avec les avantages et les inconvénients associés.
Oui, il connait mieux le chemin habituel et ça l’agace vraiment de passer par la grande avenue où il y a beaucoup de monde. En plus ça va être SUUUUPER long de passer par là. Mais le chemin habituel est totalement en travaux et il va devoir marcher dans la boue, les trous et zigzaguer au milieu des engins de chantier pour arriver tout crotté. A lui de choisir.
Ce qui est fondamentalement différent de la menace, ce sont 2 choses :
- la liberté laissée à l’autre de choisir le chemin qu’il souhaite avec ses avantages et ses inconvénients … et pour qu’un enfant apprenne il a besoin aussi d’expérimenter les inconvénients du chemin qu’il choisit. Si vous faites annuler les travaux pour qu’il puisse aller là où il veut sans inconvénients, quand allez-vous donc installer ce tramway qui va rendre service à tout le monde 😅 ?
- l’absence de rapport émotionnel ou de pouvoir : si l’autre décide de ne pas suivre notre demande, ce n’est pas perçu comme une défaite personnelle ou une remise en question de notre autorité ou de notre pouvoir, mais comme une décision autonome à laquelle des conséquences logiques et préalablement communiquées sont attachées.
Tout ceci est évidemment plus facile à dire qu’à faire et la différence entre menacer et fixer des limites vous parait peut-être encore un peu floue … Venons-en donc maintenant à quelque chose de plus concret pour vous aider à mettre en oeuvre cette différence au quotidien.
Le Plan B : L’Antidote au Rapport de Pouvoir
Le secret pour maintenir cette dynamique où vous laisser le choix à l’autre ? Avoir un plan B !
Si vous n’avez qu’un plan A, la moindre anicroche au bon déroulement du plan va vous faire paniquer … Et l’impuissance va vous faire retomber dans le rapport de pouvoir et la menace (si vous pensez avoir du pouvoir sur l’autre) ou vous inciter à laisser tomber vos besoins (si vous êtes la personne plus ou moins « dominée » dans la relation).
Avoir un plan B, c’est avoir les moyens de ne pas se laisser entrainer du côté obscur de la force 😎 …
Ca suppose de dessiner le plan de la ville, avec toutes les rues en travaux : il se passe quoi si on passe par là ? Et par là ? Et par ici ? C’est un travail de réflexion à mener à froid, à distance des problèmes en envisageant le pire : si vraiment l’autre ne se plie pas à ce dont j’ai besoin, il se passe quoi ?
Quelques exemples :
- C’est la guerre tous les matins pour habiller mon enfant pour aller à l’école : s’il persiste à refuser de s’habiller, je serai frustré-e … Mais si j’avais la certitude que RIEN (ni coercition, ni récompense, ni sermons, ni aucune autre méthode ne le décide à s’habiller sans rechigner), quel est mon plan B ? Est-ce que j’assume de le laisser aller à l’école en pyjama ? Au risque qu’il se fasse moquer ? ou que je sois mal vu-e par l’institutrice ? Est-ce que je veux absolument qu’il s’habille au risque de devoir le faire en le contraignant ?
- j’ai besoin que mon conjoint passe s’investisse plus dans des activités ménagères : s’il persiste à refuser de le faire, quelles sont les conséquences pour moi ? Est-ce que je l’accepte en me disant que finalement il a d’autres qualités et je ne change rien ? Est-ce que je l’accepte mais en contrepartie je prends une soirée par semaine (ou un week-end entier de temps en temps) pour moi ? Toutes les options sont à envisager.
Réfléchir à ce plan B vous permettra de prendre le recul nécessaire pour passer à l’étape suivante …
PS : Pour le couple, je vous recommande l’écoute de l’épisode « je voudrais que mon conjoint m’aide davantage » de mes collègues de chez Virages :
La différence entre menacer et poser ses limites ? Annoncer les conséquences sans colère !
La différence fondamentale entre menacer et poser ses limites, je l’ai déjà dit c’est de sortir du rapport de pouvoir qui nous met dans l’émotion.
Je le répète donc : le plan B est un antidote à l’émotion. Si l’autre ne réagit pas positivement, je sais quoi faire.
Il est essentiel d’annoncer les conséquences (les différents chemins possibles) sans colère.
Pourquoi est-il si important ? Parce que la colère, dans cette équation, agit comme un déclencheur.
C’est le « chiffon rouge » qui signale qu’on est dans un rapport de pouvoir et qui presque automatiquement amener à une opposition. C’est qui entraine donc l’autre à chercher des moyens de contournement, souvent au détriment de la résolution constructive du problème.
En restant calme et posé, vous signalez que les conséquences ne sont pas une punition, mais plutôt la suite logique d’un choix. Et que vous êtes prêt ou prête à les assumer quel que soit le choix fait par l’autre.
Ce calme et cette préparation vous permettent de naviguer dans la conversation sans laisser les émotions prendre le dessus. Vous n’êtes pas déstabilisé si l’autre choisit une voie différente de celle que vous aviez espérée, car vous avez déjà anticipé cette éventualité et préparé une réponse adéquate.
Mais surtout : votre interlocuteur se retrouve face à ses responsabilités. Il n’est plus tenté de jouer avec le rapport de pouvoir : il doit simplement choisir une voie et assumer les conséquences de ses actes.
Au début les enfants peuvent être très énervés qu’on les prive de leur jouet favori : le rapport de pouvoir. Le piège ici serait de rentrer à nouveau dans le rapport de pouvoir en voulant les calmer. L’attitude la plus efficace dans ce cas est de laisser la colère s’écouler en disant quelque chose comme : « tu es vraiment fâché pour le moment. Je vais faire à manger, tu me feras savoir tout à l’heure ce que tu as choisi. » (et surtout : partez vraiment faire la cuisine et laissez tomber !).
A noter que tous les inconvénients annoncés pour la punition vienne plutôt du rapport de pouvoir que de la punition elle-même.
(je vous invite à écouter la vidéo, je développe un peu plus ce point … et je vous promets un autre article uniquement sur le sujet de la punition).
Des exemples concrets de différence entre menacer et poser ses limites dans un rapport parent- enfant :
- une situation vécue avec l’un de mes enfants, vers 3/4 ans : il voulait courir partout y compris sur la route. La route en question était très calme et avec peu de voitures (mais quand même quelques voitures qui passent) mais surtout c’était important de lui transmettre qu’on marche sur le trottoir : je lui ai laissé le choix parce que je savais qu’il y avait peu de dangers à aller sur la route (pas de voiture en vue). Dans une rue plus animée, je n’aurais pas laissé de choix. Ma limite a ressemblé à « tu peux choisir entre marcher sur le trottoir ou aller dans la poussette. Tu choisis quoi ? » … il n’a pas répondu et est parti sur la route ➡️ Je l’ai rattrapé et je l’ai installé dans la poussette en lui disant calmement : « OK, je vois que tu as choisi d’aller dans la poussette« . L’enfant était FURIEUX et très en colère. Mais le faire en posant une limite plutôt qu’en menaçant m’a permis d’être très tranquille et de pouvoir accueillir son émotion : « c’est vraiment frustrant de devoir rester dans cette poussette quand on a envie de courir partout, je comprends. »
- avec des ados, on peut faire la même chose dans beaucoup de situations. J’en avais parlé dans l’article « l’ado râleur, comment gérer ? »
Il est souvent assez surprenant de voir à quel point les enfants deviennent raisonnables quand on sort de ce rapport de pouvoir et qu’on les responsabilise 😁 … mais je vous laisse tester pour voir.
Faire la différence entre menacer et poser ses limites, en résumé
Poser ses limites avec clarté et sans colère suppose d’avoir un plan B = quelles sont les conséquences si ma demande n’est pas respectée ? C’est ce plan B associé à la capacité à poser ses limites sans colère qui nous permet de sortir du rapport de pouvoir … et qui transforme l’affrontement en relation posée et constructive.
Vous testez et vous venez m’en donner des nouvelles ?
Un avertissement cependant : dans certaines situations, envisager le plan B est émotionnellement difficile. Ca peut être très douloureux.
Envisager une rupture dans un couple par exemple est sans doute la dernière chose qu’on souhaite. Ou se dire qu’après tout si notre grand ado ne fait rien au lycée, c’est sa vie qui sera pourrie et pas la nôtre. Ou encore lâcher ce qu’on croit être notre devoir de parent.
Ce sont des plans B très difficiles à envisager parce que nos émotions nous mettent des oeillères.
C’est là où on peut avoir besoin d’un accompagnement qui va nous aider à poser les options qu’on n’ose pas poser. Et qui va aussi nous aider à faire un choix plus conscient et plus assumé.
Ca me rappelle ce témoignage suite à une situation de couple : la personne qui me consultait se sentait très mal dans sa relation. Nous avons posé les différentes options en séance, options que je lui ai rappelées dans le mail que j’envoie systématiquement après chaque séance. Voici sa réaction :
« Quand j’ai reçu votre mail, de voir tout posé, écrit comme ça, j’ai ressenti une grande tristesse. Et en même temps, ça m’a libérée et sortie de ma culpabilité. »
Elle a pu ensuite faire un choix plus assumé.
Si vous pensez voir besoin d’un accompagnement par rapport à une situation relationnellement difficile (avec vos enfants, dans votre couple, dans vos relations personnelles ou professionnelles), vous pouvez découvrir mes accompagnements ici ⬇️. Ils sont possibles en visio ou à mon cabinet dans le Nord Isère.
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Quelques ressources pour aller plus loin
Mes collègues de chez Virages ont publié un épisode de podcast sur le même sujet que vous pouvez écouter ici :
Sur ce blog :
- les ados râleurs, comment gérer ?
- L’écoute active (un outil complémentaire à celui abordé dans cet article)
- Quand faut-il arrêter de donner des explications aux enfants ?
- et beaucoup d’autres articles dans la rubrique « dans la vraie vie avec des enfants«
Des livres pour aller plus loin (liens affiliés) :
- le livre « parler quand les enfants n’écoutent pas » de Johanna Faber et Lucie King
- « L’éducation vraiment positive » de Béatrice Kammerer