Désaccords éducatifs : comment éviter que ça dégénère ?
Les désaccords éducatifs dans le couple sont inévitables. Mais faut-il toujours les faire disparaitre et être d’accord pour que les enfants s’y retrouvent ? Dans cet article, je vous propose de regarder autrement ces différences, souvent perçues comme un problème à régler … alors qu’elles ne posent souci que si elles deviennent un terrain de conflit.
Et si on apprenait plutôt à faire avec – justement pour éviter que ça ne devienne des guerres de tranchée – ? À s’écouter, à se positionner clairement — même dans le désaccord — et à expérimenter ce que ça change ?
Voici l’épisode de podcast en audio, accessible sur toutes les plateformes si vous préférez écouter plutôt que lire :

Ep. 18 Désaccords éducatifs : comment éviter que ça dégénère ? – Du côté des parents !
Les désaccords éducatifs font partie intégrante de la parentalité
Je voudrais déjà commencer par normaliser les désaccords éducatifs et en général.
On est des personnes différentes : on a des tempéraments plus ou moins différents, des histoires différentes. On ne réagit donc pas de la même manière à des événements pourtant similaires.
Quand on a des visions assez proches, il y des chances qu’on ait moins de motifs de désaccord. Mais cela n’évite jamais complètement qu’on se retrouve en désaccord.
Les désaccords font partie des choses avec lesquelles on doit vivre à partir du moment où on vit en communauté et où on partage des choses communes. Et on « partage » ses enfants avec l’autre parent, qu’on soit ensemble ou séparés. On doit donc trouver le moyen d’interagir avec eux et avec l’autre parent de façon à ce que ce partage se passe le mieux possible.
D’une certaine manière, ces désaccords, ces divergences dans les manières de faire peuvent être une richesse.
Si on faisait tous exactement de la même manière, qu’on pensait tous la même chose, quand cette manière de faire aurait atteint ses limites, on serait bien coincé et on ne saurait pas quoi faire d’autre.
Avoir des manières de faire différentes peut apporter des solutions à des moments où on a l’impression d’être dans des impasses. C’est pas toujours comme ça qu’on le voit quand on est confronté à la divergence de point de vue. Mais il peut être intéressant de s’en souvenir !
Les désaccords entre les parents posent-ils problème aux enfants ?
Beaucoup de parents s’inquiètent de leur impact sur les enfants. Et cette inquiétude les incite à chercher à les faire disparaitre.
Mais les enfants, même très jeunes, s’adaptent extrêmement bien à différentes façons de faire. C’est même une compétence assez innée chez les enfants que d’essayer de détecter à qui ils ont affaire, comment cette personne se comporte et et comment ils peuvent s’y adapter.
Assez vite, ils comprennent qu’avec maman comme ça, avec papa c’est autrement, avec Papy et Mamie c’est encore autre chose. Et même à la crèche ou à l’école, c’est encore autrement. Chaque contexte a ses règles, son mode de fonctionnement et ils s’y font extrêmement bien.
Je mettrai une nuance ici : celle de la maltraitance ou de la sécurité psychologique.
Une question importante à se poeser est : les enfants sont-ils dans une sécurité affective SUFFISANTE dans ces différentes relations ?
Attention : j’ai dit bien sécurité affective SUFFISANTE.
Rechercher la sécurité affective parfaite est une mauvaise idée : d’une part je suis persuadée qu’elle n’existe pas mais que ce n’est pas grave à partir du moment où l’enfant se sent suffisamment en confiance et en sécurité dans la relation.
Chercher la sécurité affective idéale peut aussi nous amener à tenter de changer des choses qui ne peuvent pas être changées, et donc à arriver à des conflits qui auraient pu être évités.
Et puis d’autre part, cette recherche peut conduire à surprotéger l’enfant inutilement en le privant d’occasions d’apprendre de ces relations.
A condition que l’enfant ait au moins une relation avec une bonne sécurité affective et psychologique, cette variété relationnelle est en effet une richesse.
Ces relations – et éventuellement l’espace qu’on leur propose pour en parler après SI BESOIN – les aide à mieux identifier ce qui leur convient ou pas, ce qui fonctionne et dysfonctionne dans les relations. Cela les aide à prendre du recul.
Cette diversité relationnelle, gérée de manière constructive, aide à développer chez les enfants un répertoire relationnel et une flexibilité relationnelle très utile dans la vie.
A ce sujet, je vous renvoie vers le très intéressant livre d’Emmanuelle Piquet « Votre enfant face aux autres : aider votre enfant dans ses relations difficiles »
Je compare la diversité relationnelle à l’apprentissage de langues étrangères. Quand on a la chance d’avoir des parents qui maîtrisent d’autres langues, on a plusieurs langues maternelles (ou parentales !).
Ce contexte favorise un meilleur développement du langage par la suite. Ca améliore la capacité à apprendre des langues étrangères. La flexibilité, les répertoires relationnels, c’est exactement la même chose : c’est une chance , à conditon que ce soit géré d’une manière constructive.
Evidemment, si l’une des relations est clairement et franchement maltraitante, le problème est différent.
Si, à la question « cette relation est-elle clairement maltraitante ? », votre réponse sincère et honnête est « OUI », la première chose à faire est de poser une limite claire.
Comme ce parent qui avait clairement dit à l’autre : « si tu lèves encore la main sur nos enfants, je te quitte ». Il ne s’agissait pas d’une menace car la personne était clairement prête à le faire mais bien d’une limite.
Pour plus de précision sur la différence entre menacer et poser une limite, je vous renvoie à cet article : « quelle est la différence entre menacer et poser une limite ? »
Cette limite avait permis d’arrêter les comportements problématiques et de pouvoir travailler ensuite sur comment améliorer les choses. Evidemment la question de la maltraitance pose d’autres questions qu’il serait trop long d’aborder ici. Je prévois d’en parler dans un autre article / épisode.
Le vrai problème des désaccords éducatifs ? Le conflit !
Pour les enfants le problème ne sont pas les désaccords, c’est le conflit
Un conflit, c’est quand chacun veut gagner.
Chacun veut convaincre l’autre que sa façon de faire est la meilleure et l’autre mauvaise ou moins bonne. on va souvent prétendre que c’est pour le bien des enfants qu’on demande à l’autre de changer, ou bien que sa façon de faire nous pose des problèmes (autres que la sécurité affective des enfants).
À partir du moment où on est dans cette dynamique « il faut que l’autre change », on rentre dans une dynamique conflictuelle et on met là les enfants en difficulté. Pourquoi ?
Parce que cela met les enfants dans un conflit de loyauté.
S’ils obéissent à l’un, ils trahissent l’autre. S’ils reconnaissent le bien fondé d’une façon de faire, l’autre parent se sent rejeté et désavoué.
Et ils ne veulent pas de ça ! C’est une forme de déchirement, un conflit de loyauté qu’il vaut mieux éviter.
Faut-il forcément réagir en cas de désaccord ?
Les divergences dans les manières de faire peuvent nous poser des problème : nous inquiéter, nous irriter, nous attrister, nous agacer. Elles donnent donc lieu à un inconfort émotionnel.
Inconfort que nous allons essayer d’atténuer ou de faire disparaitre. Ce sont ces manières de faire – et la façon dont l’autre va réagir – qui peuvent entrainer un conflit.
Parfois, on ne dit rien face à cette inconfort émotionnel : on a peur que ça crée des conflits précisément, on ne veut pas abîmer la relation, on ne veut pas envenimer les choses.
Ne rien dire n’est pas forcément une mauvaise chose. Bien au contraire.
Ce qu’il faut regarder c’est ce qui se passe après. Je ne dis rien, je prends sur moi et avec le temps, je me rends compte que finalement ça va et que la différence de façon de faire n’est pas si difficile à vivre.
Attention je ne parle pas ici d’attendre 10 ans en se demandant si oui ou non ça va. Je parle de quelques semaines ou mois.
Ce laps de temps peut me faire voir que, finalement la relation entre l’autre parent et l’enfant n’est pas si problématique que ce que je pensais.
Avoir pris sur moi a effectivement évité ou réduit un conflit. C’est devenu un inconfort supportable.
Dans ce cas-là, c’était une bonne chose de ne rien dire.
Mais si je ne dis rien et qu’au contraire mon inconfort émotionnel ne fait qu’augmenter, il va falloir prendre son courage à deux mains et oser dire ce qui ne va pas … et donc prendre le risque d’un conflit.
Si on ne dit rien alors que notre inconfort persiste ou augmente, on risque l’effet cocotte minute. Et au moment où ça explose, ça peut faire beaucoup de dégats.
Les escalades relationnelles : quand on cherche à mettre son adversaire KO !
Quand on se résout à dire les choses, le premier piège c’est d’attaquer l’autre.
Quand on dit à l’autre « c’est toi qui ne va pas, ton point de vue n’est pas le bon, ta façon de faire n’est pas la bonne », on maximise les risques de s’engager dans une dynamique conflictuelle.
La base de toute communication respectueuse consiste évidemment à ne pas attaquer pas l’autre, ne pas le dénigrer, ne pas le rabaisser ni l’humilier.
Sinon on déclenche une réaction défensive qui empêche l’écoute et la coopération.
Si vous êtes absolument persuadé-e que votre façon de faire est meilleure et que l’autre devrait se rendre à l’évidence, vous êtes dans une position qui risque fort de vous amener vers le conflit.
C’est peut-être vrai … mais ce n’est pas une manière très efficace de collaborer !
Mais hélas, pour résoudre l’inconfort émotionnel généré par les désaccords éducatifs, nous avons souvent tendance à penser que nous devons CONVAINCRE l’autre de se rendre à la raison (c’est à dire plutôt à « notre » raison).
C’est là qu’on sort les arguments massues, ceux qui nous paraissent tellement forts qu’il ne pourra pas les contredire. Mais évidemment, plus je tape fort, plus l’autre va renforcer sa propre défense.
C’est l’escalade de l’armement. Avec le résultat que personne n’écoute personne, que chacun fourbit ses armes en cherchant l’argument ultime qui va assommer son adversaire.
Mais plus vous attaquez le point de vue de l’autre, plus vous l’incitez à défendre le sien et donc à se renforcer dans sa position (et vice versa).
Cela donne des discussions qui durent des heures. Chacun repart frustré, déçu, furieux : « l’autre ne m’écoute pas, ne reconnait pas mon point de vue !!!« .
A ce stade il y a plusieurs modalités :
- les discussions qui escaladent : elles durent des heures, chacun argumente, contre argumente, parfois jusqu’à 2 heures du matin !!! On finit par des arguments extrèmes, parfois un peu irrationnels, et même on peut aller jusqu’à s’énerver fortement l’un contre l’autre.
- les discussions où l’un bascule dans l’émotionnel (pleurs, colère, etc) ou se tait alors que l’autre reste très rationnel (en apparence) : quand on arrive au bout des arguments « raisonnables », l’avalanche d’arguments met l’un ou l’autre des participants dans l’impuissance (ce n’est pas la qualité des arguments qui est en cause mais le fait que quels que soient ces arguments, l’autre n’accepte pas d’écouter). La personne impuissante peut alors basculer dans la colère ou les pleurs alors que l’autre continue d’empiler ses arguments.
Ce n’est pas parce qu’on aligne des arguments rationnels qu’on est rationnel et objectif. Aligner des arguments rationnels dans le but de mettre son adversaire KO, c’est surtout le signe qu’on n’est PAS dans une démarche constructive de comprendre et écouter l’autre.
Donc : ici je m’adresse aux couples qui discutent tous les 2 jours jusqu’à deux heures du matin sans arriver à une solution ou à un compromis, arrêtez de discuter ! (au moins arrêtez de le faire la nuit : quitte à faire un truc qui ne fonctionne pas, essayez de le faire à un moment qui ne vous empêche pas de dormir !)
Comment se sortir de ces dynamiques conflictuelles ?
Voici un exercice que je propose souvent aux couples dans ce type de situations. Il s’agit de communication asynchrone.
Nous avons tendance à croire que, pour qu’une discussion soit productive et efficace, elle doit être synchrone. Autrement dit : que chacun répond à l’autre et qu’on élabore sur le moment ensemble.
L’énorme risque de la discussion synchrone – « à chaud » – c’est l’emballement émotionnel.
Quand l’autre dit quelque chose, ça vient me percuter, ça me fait réagir émotionnellement. Je vais justement réagir – pour arrêter ce qui génère mon émotion – plutôt que de répondre de manière constructive.
Je vais avoir une attitude défensive (ou dans l’attaque mais pour me défendre de ce que je vis comme une attaque) au lieu chercher à collaborer.
Collaborer, ça consiste à reconnaitre ce qui est justifié, légitime et entendable dans le point de vue de l’autre.
Dans la communication asynchrone, l’un parle et l’autre écoute SANS répondre mais en prenant le temps de chercher à comprendre et de réfléchir sincèrement à ce qui est possible et acceptable.
Le fait de s’interdire de répondre permet d’éviter en grande partie les effets de réaction défensive. Cela donne donc plus de chances de se proposer des réponses constructives.
Mais je le redis : cet exercice suppose qu’on s’engage à s’écouter sincèrement et avec honnêteté.
Les règles de base :
- j’écoute avec l’intention sincère de comprendre en me demandant en quoi est-ce que le point de vue, la demande de l’autre est légitime, compréhensible, justifié,
- Je prends le temps de réfléchir sur ce à quoi je peux au moins en partie répondre à cette demande ou adhérer à ce point de vue ou reconnaitre l’intention positive
- je prends le temps aussi de réfléchir à ce que je me sens en capacité de faire ou pas pour rejoindre l’autre afin de pouvoir poser clairement mes limites si nécessaire mais aussi montrer les points où je suis OK de collaborer à fond.
- aux raisons que j’ai de ne pas forcément y répondre complètement mais que je pouvais pouvoir exposer plus tard à l’autre qui va lui aussi ou elle aussi s’engager à écouter pour essayer de comprendre et de cette manière on a plus de chances de construire un compromis, un consensus plutôt que d’être dans la réaction impulsive et ça peut être un exercice intéressant, en tout cas une dynamique intéressante de chercher vraiment à s’écouter pour se comprendre et non pas à s’écouter pour répondre.
Ce sont ces conditions, et l’alternance des points de vue qui permettent de construire un compromis et un consensus.
Les conditions préalables à cet exercice :
- faire ensemble le constat qu’on est d’accord sur le fait qu’on n’est pas d’accord
- Exprimer clairement que les 2 veulent essayer de chercher un compromis d’une manière différente, ce qui implique de s’y prendre différemment pour discuter
- Et donc accepter de faire sincèrement cet effort d’écoute. Donc ça peut valoir le coup de le poser vraiment comme ça pour pouvoir se lancer dans cet exercice.
Ces conditions étant réunies, on peut alors se lancer dans l’exercice. C’est une façon de faire qui se rapproche du bâton de parole.
On croit souvent que le bâton de parole consiste à donner des tours de parole.
En réalité celui qui reçoit le bâton de parole doit d’abord exprimer ce qu’a dit l’autre, afin que son interlocuteur valide qu’il a bien été compris. Une fois cette validation faite, alors celui qui a le bâton de parole peut exprimer son propre point de vue. Et ainsi de suite.
C’est une façon de « forcer » l’écoute et la compréhension mutuelle pour construire une discussion où on s’écoute vraiment. Ecoute qui constitue la base pour éviter ou réduire les conflits.
Quand on est en désaccord, est-ce qu’on peut se faire des remarques à chaud, devant les enfants ?
Evidemment l’exercice précédent fait perdre de la spontanéité dans la discussion. Mais il est surtout utile quand la situation est dégradée.
Même si cela peut choquer les partisans d’une communication très précautionneuse, je suis sincèrement persuadée qu’on peut se faire des remarques à chaud, y compris devant les enfants, même si elles sont maladroite.
Mais cela ne peut fonctionner que dans le cadre d’une bonne relation. Si la personne qui a été maladroite dans sa formulation revient ensuite s’excuser et dire « bon j’ai été maladroit-e ou blessant, je suis sincèrement désolé-e« . Ou si l’autre parent prend du recul en se disant « c’était un peu fort mais en vrai, c’est plutôt justifié comme réflexion.«
Dans ce cadre, cela peut faire partie des maladresses et malentendus communs, y compris dans de très bonnes relations. Si tout le monde le prend bien il n’y a pas forcément raison de s’en formaliser. A partir du moment où cela crée un malaise, une tension plus durable, où l’un des 2 souffre de cette manière de faire, alors il y a lieu de faire différemment.
La formulation devant les enfants peut notamment les mettre eux en difficulté (cf mon propos sur le conflit de loyauté).
Formulez-vous une demande claire ?
Un point qui pose souvent problème : beaucoup de couples ont tendance à dire ce qui ne va pas … mais sans formuler de demande claire et concrète.
Or cette absence de demande peut amener des paradoxes dans la communication : l’autre me dit que ça ne va pas, sans me dire exactement ce qu’il/elle attend plus précisément. Je modifie ma posture. Mais ce n’est visiblement pas encore ça. Si ça se répète trop souvent, je peux finir par avoir l’impression que quoi que je fasse, ça ne va jamais et donc laisser tomber.
C’est un point que j’avais évoqué avec les ados : quand il a à choisir entre faire un effort et se faire engueuler et ne pas faire d’effort et se faire engueuler, en général tout bon humain normalement constitué va choisir ne pas faire d’effort parce que ça lui évite un effort justement !
Cette absence de demande concrète n’est pas forcément volontaire ni mal intentionnée. Elle vient même souvent d’une préoccupation positive : je ne veux pas lui imposer ma manière de faire.
Sauf que ça veut dire qu’on n’assume pas vraiment sa propre demande, qu’on demande sans demander et qu’on voudrait que l’autre change sur notre demande mais que ça vienne de lui. Ce qui, malgré la bonne intention, est potentiellement extrêmement coinçant pour tout le monde.
Je vous invite donc à vous questionner à ce sujet :
- Quelles sont mes demandes concrètes ?
- A quel point je tolère que ça ne soit pas comme je voulais ?
- Est-ce que des réajustements progressifs sont prévus ?
L’écoute + le fait d’exprimer – et d’assumer d’avoir – des demandes claires et concrètes favorisent la résolution des conflits de la manière la plus constructive possible.
Une autre manière de construire un compromis consiste à expérimenter vraiment ce qui se passe si on fait entièrement selon les règles de l’un ou de l’autre pendant un temps long (plusieurs semaines), à condition que chacun accepte de faire un bilan objectif à la fin.
Et si on n’arrive pas à trouver un compromis dans un conflit éducatif ?
L’idée la plus communément admise sur la résolution de conflit, c’est d’arriver à un consensus ou un compromis.
Dans le consensus, on arrive à une solution qui convient à tout le monde.
Dans le compromis, tout le monde fait un pas vers l’autre. La solution n’est pas forcément parfaite, il reste une partie un peu désagréable mais supportable. Mais le résultat obtenu – diminution du conflit, amélioration du climat – vaut la peine de le faire l’effort demandé.
Mais parfois on n’arrive pas à une solution satisfaisante. Et dans ces cas-là, il y a des façons créatives, innovantes, de gérer les désaccords éducatifs.
L’une de ces façons créatives est ce que j’appelle – un peu par provocation – la garde alternée à domicile.
Imaginons qu’un des parents ait à cœur une certaine règle pour les repas par exemple, ou pour le travail scolaire. L’autre parent a une approche différente, plus cool ou plus stricte, peu importe.
C’est devenu un conflit entre les 2. Et malgré les discussions et l’effort fait pour s’écouter, aucun des 2 ne peut se résoudre à revenir sur sa position (parfois même il y a eu des tentatives pour le faire mais qui n’ont pas fonctionné).
Dans ce cas, il peut être utile de faire cesser le conflit. Cela suppose que l’un des 2 accepte – souvent le/la plus cool – de dire à l’autre : « je comprends ton objectif. Mais je ne peux pas le porter de la même manière que toi. J’en suis vraiment désolé-e. Mais si tu veux porter entièrement la responsabilité de ce sujet, c’est ok pour moi. Je ne vais plus intervenir pour te dire d’adoucir, de lâcher prise. Je ne vais plus intervenir non plus en direction des enfants pour leur dire de faire des efforts ou au contraire pour les défendre. Je comprends que ce soit frustrant pour toi, mais vraiment je ne peux pas en faire plus.« .
Une fois cela posé, l’autre parent doit tenir la règle jusqu’au bout et assumer pleinement les avantages ET LES INCONVENIENTS de sa manière de faire.
Quand on attend le soutien de l’autre, on est d’autant plus frustré qu’il ne vienne pas. Si on sait clairement qu’il ne viendra pas et qu’on a décidé que c’était à nous de gérer ça de A à Z, on n’a plus cette attente-là.
Va inévitablement se poser la question du niveau d’exigences :
- le parent concerné choisit-il de garder le même niveau d’exigence en sachant que c’est très coûteux et qu’il/elle est seul-e à le porte ?
- Choisit-il de baisser son niveau d’exigence parce qu’il/elle se rend compte que, en effet, finalement, c’est peut-être trop dur à assumer ?
En tout cas, cela permet de sortir du conflit et cela entraine un réajustement un peu différent.
Dans les familles que j’accompagne, j’ai pu observer plusieurs modalités :
- Par sujet : chacun ses thèmes (le travail scolaire pour l’un, le rangement ou la tenue à table pour l’autre, etc). C’est une forme de spécialisation.
- Par temps « courts » : un jour sur 2, une semaine sur 2 (même si on vit ensemble), l’un le matin l’autre le soir, etc
- Par temps longs :
Ce qui aliment le conflit, c’est ce « mais tu ne fais pas comme il faut, tu devrais faire autrement » ou pire « c’est de ta faute si ce que je fais ne marche pas ».
Si chacun assume ce qu’il a à gérer, la dynamique change. Et évidemment, ça sort les enfants aussi les enfants du conflit de loyauté puisque les règles sont claire : à ce moment, sur ce sujet, c’est papa ou maman qui gère et c’est clair.
Et si ça ne marche toujours pas : l’ultime tentative
Je l’ai déjà abordé, mais je le redirai sans doute à de nombreuses reprises :
dans nos comportements, il y a toujours une part personnelle et une part interactionnelle.
Un exemple concret : Un jour, je reçois un couple avec quatre jeunes enfants. La maman est à la maison avec les enfants. Sa priorité est de passer du temps de qualité avec les enfants : elle joue, elle propose des activités éducatives, etc.
Bien sûr, elle fait aussi à manger, elle fait du ménage et du rangement, mais ce n’est pas sa priorité.
Le soir, quand le papa rentre du travail, la maison est forcément un peu en désordre. 4 enfants en bas âge à occuper toute la journée je vous laisse imaginer le résultat.
Lui, il est frustré : il a l’impression que les jouets sont vite cassés et abimés et que personne ne fait attention aux objets alors qu’il se tue au boulot pour gagner de quoi les payer. C’est ça qui génère de l’inconfort chez lui.
Cet inconfort le pousse à être strict avec les enfants. Il a le sentiment que s’il ne le fait pas, personne ne le fera à sa place. Ca n’a pas fait l’objet d’une discussion pour se comprendre entre les parents. Cela va de soi pour lui et il pense que sa femme devrait le comprendre.
Sa femme, elle, sait qu’il travaille beaucoup … et justement elle trouve dommage qu’après une journée de travail, il ne prenne pas plus de temps pour se détendre, profiter des enfants, s’amuser avec eux.
Quand elle le voit arriver et tout de suite « sauter » sur les enfants pour leur faire ranger les jouets, leur faire respecter les règles, elle est triste. Et elle l’incite à être plus cool, à se détendre. Elle lui rappelle que les enfants sont encore petits, que c’est dur pour eux de ranger, etc.
Mais évidemment le papa ne le vit pas comme une tentative de l’aider à se reposer. Il le vit comme du laxisme et un manque de compréhension et même de considération pour des sujets importants pour lui. Il en est donc d’autant plus frustré et se sent d’autant plus obligé de faire respecter ces règles parce qu’il est le seul à les tenir.
Et c’est d’ailleurs ce que je lui fais remarquer : « ce que vous êtes en train de me dire c’est que vous vous sentez d’autant plus forcée d’être autoritaire et strict que vous avez le sentiment que votre femme est laxiste, c’est bien ça ?«
« Oui » me dit-il.
Ce à quoi je réponds : « mais en fait est-ce que vous avez pensé que l’inverse est vrai aussi ? C’est-à-dire qu’elle se sent d’autant plus forcée à être cool et à minimiser ce que font les enfants qu’elle vous trouve trop exigeant, trop strict ? »
Je me souviens encore de son petit regard surpris, du silence qui a suivi, de son sourire.
Puis de son « C’est vrai j’avais pas du tout pensé à ça !«
Ici chacun des parents alimentait le conflit sans même s’en rendre compte et en pensant faire ce qui était bien pour tout le monde.
Prendre conscience que nous avons, par la manière dont nous gérons ces désaccords éducatifs, un impact sur la posture de l’autre est primordial. A minima se questionner sur la part de responsabilité que nous avons.
Changer cette posture va permettre d’arriver à un équilibre différent (ou pas !). Mais comment faire ?
Les solutions créatives que j’ai proposées plus haut sont une manière de faire mais elles impliquent un accord sur le fait qu’on veut changer les choses.
Mais parfois le conflit est tellement envenimé que même ça, ça n’est pas possible.
Dans cette situation, je propose à celui ou celle qui me consulte (souvent l’autre ne veut pas venir, estimant que c’est à l’autre de changer) de procéder tout autrement.
Au lieu de résister, on peut essayer de rejoindre l’autre totalement dans sa manière de faire.
Par exemple pour celui qui est habituellement plus cool ça peut être de rejoindre à fond le parent jugé un peu autoritaire pour voir ce qu’il se passe. Je ne garantis absolument pas que ça va modifier l’attitude de l’autre. Mais c’est la seule manière de provoquer un changement éventuel sur la part interactionnelle du comportement.
Quelques précautions à prendre si on tente cette expérience :
- prévenir l’autre parent : « je me rends compte qu’en fait ça doit être agaçant que je minimise tout le temps. Je vais essayer de te rejoindre davantage à l’avenir.«
- Si on a peur que les enfants aient le sentiment qu’on les laisse tomber, surtout si on est souvent intervenue en défendant les enfants, on peut les prévenir qu’on tente une expérience : « je me rends compte que je suis toujours en train de dire à papa/maman qu’il/elle devrait faire autrement. Je me demande dans quelle mesure ça ne l’agace pas et ça n’aggrave pas les choses. Je te préviens pour que tu ne soies pas surpris : pendant un moment je vais essayer de me mettre à fond de son côté pour voir si ça change quelque chose. Ne sois donc pas surpris si je te défends un peu moins, je fais une expérience et je déciderai de la suite à donner en fonction de ce qui se produit.«
Cette manière de rejoindre complètement l’autre, c’est une autre une manière de dés-escalader le conflit et de voir ce qui se passe.
Si l’autre parent s’assouplit ou au contraire comprend un peu mieux qu’il y a des règles à faire respecter, tant mieux, on a tout gagné : on a atténué voire supprimé le conflit et on est arrivé à un compromis.
Si ça n’est pas le cas, ce constat signifie qu’il n’y a pas de moyen de faire changer l’autre parent. Et vous aurez alors à décider ce que vous faites de ce constat.
En conclusion : les désaccords éducatifs, un sujet vaste mais quelques règles de base claires !
Ces désaccords éducatifs sont est un sujet extrêmement vaste.
J’attends d’ailleurs vos réactions pour compléter cet article : y a-t-il des aspects que vous aimeriez que j’approfondisse ou éclaircisse davantage ? N’hésitez pas à m’en faire part par mail ou dans les commentaires.
Les désaccords touchent à nos façons de communiquer – à nos capacités d’écoute et à poser des demandes et des limites claires (et à assumer celles-ci) Les désaccords parlent aussi de notre capacités à réguler nos émotions. Ils touchent aussi à notre vision de l’enfant, de l’éducation, de la place de chacun dans le couple, dans la famille. Et tout ça fait que cela peut vite devenir compliqué.
Si vous sentez que ça devient vraiment trop émotionnel, conflictuel, n’hésitez pas à vous faire aider avant que ça se dégrade trop. Parfois on attend trop, la relation s’abime et c’est très difficile à réparer.
Mais quand même pour résumer quelques règles de base qui peuvent vous aider :
- s’écouter et à reconnaître l’intention positive de l’autre
- apprendre à formuler les choses de manière concrète sans attaquer l’autre, sans le/la dénigrer
- se donner le temps de répondre au lieu de réagir.
- se rappeler qu’il peut exister des formes créatives de compromis, pas forcément des consensus mous, mais des compromis comme « chacun sa règle », ou « chacun son moment »,
J’espère que tout ça vous aura aidé à gérer et à voir différemment les désaccords éducatifs. J’attends vos réactions et je vous donne rendez-vous pour un prochain épisode.
Des ressources complémentaires sur les désaccords éducatifs
sur ce blog :
- Désaccords éducatifs, on fait comment ?
- On se dispute « pour rien »
- et d’autres dans la catégorie « couple »
Quelques livres :
- « Comment rater son couple à coup sûr » d’Emmanuelle Piquet pour identifier les pièges relationnels fréquents dans le couple
- « Corrige-moi si je me trompe, stratégies de communication pour déjouer les conflits de couple » de Giorgio Nardone, pour apprendre à construire un dialogue stratégique visant à l’apaisement de la relation
- « Votre enfant face aux autres » d’Emmanuelle Piquet, pour voir comment faire face à des relations jugées nocives pour nos enfants