L’expérience du furet … comment construisons-nous notre monde ?

Tout est relatif …

Le point de vue d’où nous considérons les choses change les choses. J’en avais déjà parlé dans l’article « la mesure perturbe la mesure » mais je voulais revenir sur ce point car il me parait suffisamment important pour être approfondi.

Notre époque, avec l’avènement de la science, tend à nous faire croire qu’il existe « la » vérité et que la démarche scientifique est celle qui nous apporte cette vérité unique et indétrônable. C’est vrai pour toutes les découvertes scientifiques … jusqu’à ce que la découverte suivante vienne démontrer que la précédente était totalement ou partiellement fausse.

Loin de moi l’idée de dire qu’une démarche scientifique n’a pas d’intérêt, au contraire ! Je suis de formation scientifique – ingénieur en mécanique à la base – et une approche pragmatique est justement au coeur de mon approche actuelle.

Mais ce que je trouve intéressant, c’est que, même dans les démarches scientifiques, l’expérimentateur oublie souvent son épistémologie personnelle … et c’est souvent là que se cachent les erreurs justement.

Keeney, dans « Aesthetics of Change » rapporte l’histoire suivante – initialement écrite par Bateson et Jackson – et qui illustre bien cet aspect des choses.

« A l’époque où ils utilisaient tous des rats dans des labyrinthes pour leurs expériences, un étudiant diplômé de Yale dit : « mais pourquoi utilisons-nous des rats ? Pourquoi n’utilisons-nous pas des animaux qui vivent dans des terriers comme les furets ? »

Les furets sont des sortes de petites fouines ou de belettes qui vivent aux dépens des lapins. Les furets vivent sous terre, la plupart du temps dans des terriers de lapins qui sont de vrais labyrinthes. Et ces petites bestioles mordent furieusement !

Il se procura donc un couple de furets, des gants et un sac. Et il construisit ce qui lui semblait être un labyrinthe approprié pour des furets.

Il plaça un morceau de viande de lapin dans la chambre des récompenses et mit le furet à l’entrée du labyrinthe. Le furet commença à explorer chaque impasse jusqu’à ce qu’il parvienne à la salle des récompenses où il mangea le lapin.

Il fut replacé à l’entrée et l’expérimentateur plaça à nouveau un morceau de viande de lapin dans la chambre des récompenses. Le furet explora à nouveau toutes les impasses jusqu’à ce qu’il arrive à la chambre des récompenses où il n’entra pas … puisqu’il avait déjà mangé ce lapin ! L’expérience ne fut jamais publiée, elle a été considérée comme un échec. »

Ce que suggère Keeney – à la suite Bateson et Jackson – c’est que le furet a rejeté l’hypothèse sur laquelle l’expérimentateur avait basé son expérience, à savoir le conditionnement du comportement.

L’expérimentateur ayant fait cette hypothèse n’a alors pu que rejeter le furet comme objet d’expérience car celui-ci refusait de se plier à ce type d’apprentissage.

Keeney suggère que si l’expérimentateur avait poursuivi cette expérience peut-être aurait-il pu dépasser son hypothèse de conditionnement et aurait-il pu émettre une nouvelle théorie sur l’apprentissage … et dans ce cadre, c’est le furet qui aurait « formé » le chercheur 😀

J’aime beaucoup cette façon de voir les choses, car en-dehors de la science elle-même, elle attire notre attention sur notre propre épistémologie personnelle : sur quelles hypothèses est-ce que je me base pour tirer telle ou telle conclusion ?

L’éducation des enfants en est un exemple tout à fait concret. Comme je l’évoquais dans l’article « Ce que tous les parents devraient savoir », le fait de considérer le comportement d’un enfant de telle ou telle façon change complètement la façon dont on peut y répondre. Certaines façons de voir ouvrent plus de possibilités que d’autres.

C’est exactement la même chose dans les relations de couple et les relations professionnelles ou même dans les situations personnelles :

  • si je vois mon responsable comme une personne dure, sans pitié et sans considération, j’aurais du mal à lui dire certaines choses, à aborder des points délicats alors que si je le vois comme une personne coincée entre ses collaborateurs et ses supérieurs, ayant peur de perdre sa place, alors je peux l’aborder d’une façon plus décomplexée en sachant comment m’y prendre
  • si je vois mon conjoint comme une personne désagréable, me traitant mal, rejetant toutes mes demandes d’aide, alors je ne peux que me comporter en retour de façon désagréable, le trouvant injuste, lui en demandant toujours plus alors que si je le vois comme une personne stressée par son travail, ayant besoin de temps et de compréhension, je peux alors proposer des temps de repos communs où nous allons nous retrouver sans aigreur de part et d’autre
  • si je me vois comme étant quelqu’un de malheureux, à qui arrivent tous les malheurs du monde, je trouverai probablement que les choses positives qui m’arrivent sont bien mineures par rapport à mes drames et je m’en désolerai alors que si je me vois comme étant quelqu’un de chanceux, je verrai plutôt les chances que j’ai eu dans mes malheurs et je m’en réjouirais.

Quand nous sommes coincés dans un problème, c’est souvent que nos hypothèses de base ne nous permettent pas d’agir autrement que nous le faisons mais qu’elles ne permettent pas de résoudre le problème.

Ceci étant dit, la chose la plus difficile au monde est probablement justement de découvrir sa propre épistémologie, ses propres biais de pensée.

Ce qui est important dans nos pensées, c’est ce que nous ne disons pas justement, ce qui, pour nous, va de soi et est indiscutable, ce qui fonde notre vision des choses.

Ce sont ces piliers-là qu’il faut parfois déplacer, modifier, changer, …

Et j’ajoute que là, une aide extérieure est très souvent la bienvenue pour nous aider à sortir un peu de notre propre système de pensée, y ouvrir une brèche.

Et vous, quelles sont vos hypothèses sur le monde qui vous entoure 😉 ?

Sandrine Donzel

Parentalité, couple, communication, développement personnel ? Votre vie ne ressemble pas à ce qui est décrit dans les livres ? Pas de panique et bienvenue dans la VRAIE VIE, celle qui est abordée sur ce blog ! Je vous y propose des outils concrets, pragmatiques et REALISTES pour répondre à vos interrogations. Bonne lecture !

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8 thoughts on “L’expérience du furet … comment construisons-nous notre monde ?

  • 1 octobre 2012 à 14:20
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    Merci Sandrine pour ce nouvel article !

    Il est encore une fois remarquable et d’une clarté qui n’a pas besoin d’être démontrée, ni même d’être… mesurée !

    A condition de connaitre le mot « épistémologie » que, j’avoue, je n’utilise pas tous les jours non plus !! ;°)

    A ce propos, je rajouterai que notre épistémologie (donc en clair les outils de compréhension dont nous sommes équipés) nous amène à définir nos… paradigmes !

    Encore un mot barbare qu’on utilise en général autant ou aussi peu que le premier et qui, pour moi, en est la conséquence directe : on « voit » le monde à travers ce que l’on peut en comprendre !!

    Or les paradigmes de notre 21ème siècle, sont différents de ceux du 20ème, du 19ème, etc…. Et seront encore modifiés par ceux – futurs – du 22ème siècle !!

    Or nous « recyclons » en permanence les paradigmes, en en créant de nouveaux à partir des anciens ou en les reniant, même partiellement, ce que fait exactement le processus scientifiquequ tu décris (ou décries ?!).

    Donc en clair, ton article nous amène :

    -1) à enrichir notre épistémologie personnelle via ton expérience et tes réflexions
    -2) à modifier notre paradigme – notre vision du monde – tels des Archimède ou des Galilée de (nos) temps modernes, qui pouvons nous écrier :

    « Eurêka ! »

    ou

    « Et pourtant elle tourne… »

    …qui ont modifié les paradigmes de l’époque (la poussée d’Archimède a permis de comprendre la flotabilité des bateaux), ou même de changer le cours du monde : le modèle héliocentrique de Galilée sur la base des travaux de Copernic, a révolutionné (c’est le cas de le dire!) les normes de croyances en détrônant le modèle géocentrique vieux de 1500 à 2000 ans (Aristote et Ptolémée) à la base de la pensée chrétienne !!! Mais les croyances ont la vie dure…

    C’est dire si cette réflexion doit également inclure la culture de nos civilisations « modernes » qui « prédéfinit » l’épistémologie collective et certains paradigmes comme par exemple « la science est exacte » qu’il conviendrait de modifier par… « la science est exactement fausse » ou « la science est faussement exacte » !!!!

    CQFD?

    A suivre… 😉

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    • 1 octobre 2012 à 14:33
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      Renaud, tu m’as donné mal à la tête … Mais je pense que je peux dire que nous sommes d’accord 😉 …

      Si tu lis l’anglais, je te recommande de lire le livre dont je parle « Aesthetics of Change » de Bradford Keeney, il est excellent.
      Intéresse-toi aussi à Von Foerster qui a écrit des choses très intéressantes sur la science. Keeney le cite dans « Aesthetics of change » quelques pages plus loin que l’histoire du furet et il rappelle que Von Foerster a dit :
      « the claim for objectivity is a non-sens ! »
      (la recherche de l’objectivité est un non-sens !).

      Il explique comment l’objectivité, y compris – et surtout – en science est un leurre car une telle croyance conduit justement les scientifiques à oublier leur propre épistémologie = à oublier les hypothèses sur lesquelles ils basent leurs propres raisonnements.

      Dans une étude « scientifique », le plus intéressant n’est pas ce qui est dit mais ce qui n’est pas dit ;-)…

      Mais surtout, on oublie que dans la vraie vie, nous fonctionnons de la même façon et que notre comportement est basé sur les hypothèses que nous faisons sur les gens, hypothèses que nous oublions parfois de vérifier et qui nous coincent dans de gros problèmes relationnels. Cela arrive parfois avec nous-mêmes quand nous croyons à nos propres hypothèses sur nous-mêmes ;-).

      PS : c’est toujours un plaisir de te lire Renaud 😀 (mais là je vais quand même aller boire un thé parce que je me suis fait des noeuds au cerveau pour te suivre :-D).

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  • 5 avril 2013 à 06:12
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    Et si un jour notre monde s’écroule???
    J’avais 24 ans, j’allais bien, j’avais confiance en moi, dans le monde, dans mes capacités. Je suis partie en voyage, je suis tombée amoureuse, je suis tombée enceinte, je suis tombée malade (mais ca je l’ai su 2 ans plus tard lors de ma deuxieme grossesse). J’ai commencé a lutter contre moi, contre la fatigue qui m’envahissais, allez debout, t’es enceinte, t’es pas malade!!! et puis je n’arrivais plus a avancer, les nausées oui, mais pas seulement, je saignais un peu, mais on pensais tous que c’était des hémoroides. J’ai commencé à déprimer, j’ai perdu confiance en moi… je n’étais plus capable… j’ai échoué dans le domaine professionel, je désesperais et faisais des crises incompréhensibles, j’étais extrèmement irritable. J’ai commencé a avoir des crises d’angoisse, je n’étais plus capable de conduire, et moi et mon hommes, et les autres « La c’étais un sens interdit » Ben non, moi je l’ai pas vu!!!
    Après l’accouchement, je revis, la maladie disparait… je m’en sors bien avec mon petit bonhomme jusqu’a ce que nous décidions de faire un autre enfant. Et la au début c’est juste la fatigue, je dors 15h par jours, et l’irritabilité aussi. Puis un jours, je recommence a saigner mais pas un peu, beaucoup, au bout de 3 mois et un demilitre de sang écoulé par semaine ou plus, finalement je me dis que peut etre le gynéco il a pas tout compris… rectocolite hémoragique… Et on me dit… c’est une maladie chronique, c’est a dire que vous l’aurez toute votre vie… et on sais pas d’ou ca vient… ya pas grand chose à faire…prenez des antiinflamatoire (hyper cher et avec de sacres effets secondaires…) Ah et dans 10 ans vous avez 50% de plus de chances d’avoir un cancer… Et aussi on dit que c’est lié au stress!!!
    Merci Docteur, Au revoir docteur ..:((.Con***!!!
    Bon, mon petit garcon, je le voyais 30mn le soir, je m’asseyais dans sa chambre et je le regardais jouer… je pouvais a peine faire qq pas toute seule… me laver…1x par semaine… manger, peut etre si j’arrive a me lever…
    A coté de ca, pour la 1ere grossesse… bataille avec les médecin pour avoir un accouchement normal et sans médication (ben oui, c’est plus rapide et ca rapporte plus les sesarienne), 2eme grossesse idem. Et puis je voulais accoucher a la maison, alors voila, je suis une meurtriere! bref, le dernier mois de ma 2eme grossesse, je vais un peu mieux, je me prépare pour accoucher et ma petite fille née a la maison, merveilleusement, parfaite!
    Ah oui et aussi en meme temps, on est harceler par les anciens proprietaires de la maison qu’on a acheter, qui occupent notre terrain, nous coupe les canalisations d’eau une semaine avant l’accouchement et j’en passe… avocats et toute la clique, plaintes… (pour destressé!!)
    Bref, la maladie se tasse. Ayun commence dans une nouvelle école, le temps passe les enfants grandissent, mon fils ne dors pas le soir, 1h, 2h parfois plus en l’accompagnant pour qqu’il réussissent a s’endormir(on essaie tout, les fessées aussi). On découvre quelques mois plus tad que 60 % des enfants de l’école on été abusés sexuellement! Mon homme décroche un doc, enfin, on se casse!!! Le jour du départ pour l’aéroport, le portail est cadenasé a double tour, les ancien proprio, et actuel voisin nous empechent de sortir de chez nous (pas mal hein?), finalement, on s’envole, apres d’autre retardements inatendus!!! Nous voila au Canada, Montréaldepuis aout et maintenant cote ouest .
    Et ma question c’est: Je fais quoi pour me reconstruire? Je me sens détruite, trompée, harcelée, décue, désilusionée… Mon petit garcon, je sais pas quoi lui dire, notre histoire a été tellement dure que j’ai du mal a l’aimé, quand je le vois j’ai plus souvent envie de le giflé que de l’embrassé. Et je l’ai déja frappé, fort, pour qu’il ai mal! J’essaie de ne plus le faire… Quand j’ai mon P*** de M*** de symdrome prémenstruel, ca m’arrive que la main parte toute seule, mais pas fort, je commence a retrouver un peu la santé, je n’ai plus besoin de dormir 12 ou 14 h par jour…
    Je voudrais ne plus me mettre en colere, je voudrais sentir a nouveau de l’amour tres fort, infini pour mon fils comme je sentais quand il étais bébé, et que je ne sens plus depuis des mois, je voudrais ne plus sentir de haine contre lui parceque ca a été trop dur, je voudrais ne plus sentir la dépression et les idées suicide quand j’ai les hormones qui déconnent….
    Je peux faire quoi aujourd’hui pour réparer? Me réparer moi, réparer ma relation avec mon fils, croire qu’il va aller bien, qu’il peux aller bien, croire qu’on peut aller bien et qu’on peut etre une belle famille!
    Si tu as des idées pour m’aider… merci! Je ne sais plus ou aller chercher de l’aide…Et je me vois mal aller voir un psy en anglais!!!
    Et merci de me lire!

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    • 5 avril 2013 à 06:38
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      Bonjour

      Ce que tu racontes est très dur en effet. Je n’ai pas beaucoup de temps dans les 2 jours qui viennent mais je reviens vers toi d’ici dimanche.

      Sandrine

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    • 11 avril 2013 à 20:13
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      Oui la vie nous envoie parfois de sacrés injustices :-/ …
      Ce qui t’est arrivé est infiniment difficile : comme si la vie s’écroulait à cause de la maladie et le sentiment qu’elle s’écroule une 2e fois quand tu réagis d’une façon qui ne te convient pas avec ton enfant.
      Je pense effectivement qu’une aide extérieure serait la bienvenue pour toi. Parfois on a besoin d’un regard extérieur pour prendre du recul.

      Ceci étant dit, juste une petite chose : vouloir aimer quelqu’un et s’obliger à ne plus s’énerver est un excellent moyen de s’énerver plus encore.
      J’en avais parlé un peu dans cet article qui te donnera peut-être quelques pistes de réflexion : http://blog.scommc.fr/je-menerve-trop-sur-mon-enfant-je-lui-crie-souvent-dessus/

      Sandrine

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  • 11 avril 2013 à 17:47
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    Merci Sandrine,
    Quand tu as un moment j’apprécierais que tu me donnes des pistes. Dsl pour la rudesse de mon message, falait que ca sorte!

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    • 11 avril 2013 à 19:53
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      Tu fais bien de me rappeler que je devais te répondre !
      Je me replonge dans ton message et je te réponds.

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